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Numéro 14 12/2022

Coacher la légitimité au travail : le coach peut-il rendre le leader légitime ? – Partie 1

Lucie Dessarts

Article de recherche, première publication le 13/12/2022

Lucie Dessarts est Coach Professionnelle Certifiée.

Elle accompagne les managers à naviguer leurs transitions professionnelles avec confiance et à créer la vie professionnelle qui leur ressemble.

Spécialisée en gestion de carrière et en coaching en entreprise, ses thèmes de prédilection sont l’alignement au travail, le leadership, le management, la légitimité, et l’équilibre pro/perso.

Elle utilise les outils du coaching qu’elle associe aux outils de la PNL sensorielle de Bandler, à laquelle elle est certifiée.

Elle intervient auprès des managers particuliers, ou directement en entreprise, un monde qu’elle connait bien pour avoir passé 12 ans dans des grands groupes en tant que manager jusqu’à des postes de direction.


INTRODUCTION

Qui d’entre nous n’a jamais douté de sa légitimité professionnelle ?

Le sujet de la légitimité au travail – et plus particulièrement, le sentiment de « ne pas être légitime », concerne une grande partie d’entre nous. En conséquence, il s’invite très fréquemment dans les processus de coaching ayant trait à la vie professionnelle, qu’il s’agisse de la problématique principale ou d’une thématique annexe à la demande de coaching.

Ce phénomène se manifeste de façon particulièrement intéressante chez les « leaders », qui constituent une population prédominante se tournant vers le coaching professionnel : on fait ici référence aux dirigeants, managers, cadres, entrepreneurs dans le cadre « business » de l’entreprise.

En effet, l’exercice de ces postes de « leaders » présente deux particularités qui rendent la question pertinente :

  • L’exercice de ces métiers n’est pas conditionné à l’obtention préalable d’un diplôme régi par un cadre légal qui accorderait une légitimité de fait (à la différence des métiers de la médecine ou de la justice par exemple, où la légitimité d’un médecin ou d’un avocat à exercer découle de l’obtention de son diplôme). Cette absence de référentiel légal élargit et rend subjective l’interprétation des mécanismes d’évaluation de la légitimité du leader.
  • L’exercice de ces fonctions de leaders requiert des facultés de jugement et de prise de décision (par contraste avec des postes d’exécutants). Cette spécificité attribue au leader un champ et une responsabilité d’action qui nécessitent l’exercice d’un regard critique sur lui-même, ses compétences et son action.

Ces caractéristiques confèrent à la légitimité professionnelle des leaders un caractère éminemment subjectif. Et entrer dans le domaine du subjectif, c’est entrer dans le domaine des croyances – le coaching est dès lors une discipline tout à fait adaptée au travail sur la légitimité.

On remarque d’ailleurs dans la pratique que les diplômes prisés, la reconnaissance publique ou les titres prestigieux, qu’on pourrait considérer comme des indices consensuels d’ « objectivation » de légitimité, ne suffisent pas à épargner les « leaders » face à cette problématique : on peut très bien être le CEO d’une entreprise réputée, sorti des Grandes Ecoles et faire état d’un « Syndrome de l’Imposteur ». Si beaucoup de leaders ne se sentent pas pleinement légitimes dans leur poste, le coaching pourrait-il les rendre légitimes ?

La formule se veut provocatrice, car le coaching ne fait jamais que révéler au client ce qu’il a en lui dans une démarche endogène. Elle vise cependant à inspirer la direction de cette série d’articles, afin d’établir un guide explicatif et pratique pour les coachs confrontés à ce sujet.

Aussi surprenant que cela paraisse et malgré sa centralité en coaching, ce thème est peu traité dans la littérature professionnelle et universitaire. C’est avec l’humble ambition de synthétiser les sources existantes et de les combiner à une étude qualitative dédiée[1], qu’est née cette série d’articles en 3 parties. Cette série a pour objet de mieux appréhender ce phénomène et ses solutions en coaching.

Dans ce premier article, nous poserons les bases de la définition du phénomène chez les leaders, nous modéliserons les ressorts du sentiment de légitimité par une articulation que nous appellerons (α, β, Δ) et son inscription dans des systèmes de croyance.

Dans un deuxième article, nous étudierons l’origine et les mécanismes d’émergence du sentiment d’illégitimité, les circonstances fréquentes de mise en doute de la légitimité, et les comportements et manifestations observables de ce phénomène, dont le fameux syndrome de l’imposteur.

Enfin dans un dernier article, nous étudierons les stratégies et outils pratiques du coach pour agir efficacement sur ces trois paramètres (α, β, Δ), et accompagner le leader dans l’émergence, la conscientisation ou le renforcement de son sentiment de légitimité.

 

« Ce ne sont pas les choses qui troublent

les hommes, mais l’opinion qu’ils en ont » 

Epictète (125 av. J.-C.)

 

  1. Partie 1 – La légitimité professionnelle des leaders : définitions et inscription dans les systèmes de croyances

Dans ce premier article, nous nous attacherons à définir ce qu’est la légitimité, et ce qu’elle recouvre dans le contexte professionnel, en particulier pour ceux que nous caractériserons ici de « leaders » : les managers, dirigeants et entrepreneurs. Nous verrons en quoi cette légitimité est une évaluation subjective pour le leader, issue en grande partie de ses croyances sur lui-même, ses compétences et sur son environnement. Nous tenterons de modéliser comment la construction du sentiment de légitimité s’articule chez lui, afin d’offrir une grille d’analyse pour le coach.

 

1.1       Définition du concept de la légitimité professionnelle

 

Nous verrons tout d’abord ce que recouvre la légitimité au niveau de sa définition au sens courant, puis en termes socio-politiques. Nous aborderons les différences entre légitimité objective et subjective. Nous verrons ensuite ce que la notion recouvre dans le sens précis pour les leaders, en termes théoriques, mais aussi pratiques grâce à un recueil de verbatims chez les leaders eux-mêmes afin d’établir une base de travail pour la suite de notre propos. Enfin, nous tenterons de modéliser l’articulation de ce concept pour établir une grille de lecture pratique pour le coach.

 

1.1.1      Définitions premières de la légitimité

 

Etymologiquement, « légitime » vient du latin legitimus, dérivé de lex, legis (la loi) avec un suffixe apparenté à aes-timo, c’est-à-dire « estimé être selon la loi ».

Le dictionnaire Larousse définit ainsi d’abord « légitime » comme ce « qui a les qualités requises par la loi, le droit », faisant état d’une reconnaissance consensuelle construite socialement et légalement, justifiée par l’adhérence à des règles énoncées. Par exemple, dans ce sens, c’est d’abord l’obtention d’un diplôme certifié par l’Etat, garant de la loi, qui confère à un médecin ou à un avocat leur légitimité professionnelle. Sans cette accréditation, cette validation externe en droit, point de légitimité.

Le Larousse définit ensuite « légitime » comme ce « qui est fondé en raison, en justice, en équité » ; le Robert utilise quant à lui les mots « ce qui est justifié, par le bon droit, la raison, le bon sens ». Cette deuxième acception du mot fait plutôt appel à des notions d’éthique, de bon sens ou de sens commun, et finalement à une notion d’inconscient collectif. On entre dans le domaine de ce qui est « admis » socialement, « conforme » aux normes sociales tacites, plutôt qu’édicté par une loi écrite. Ces normes découlent de la culture, de la vision du monde de la société en question, de ses traditions, de ses valeurs, de ses croyances.

Ces deux premières définitions ont un ancrage commun dans la dimension de construction sociale de la légitimité. Celle-ci se rapporte alors par extension au politique, et est liée aux concepts d’autorité et de pouvoir. Des définitions issues des sciences politiques nous éclairent à ce sujet – la légitimité se définit alors comme :

« la qualité du pouvoir dont l’acceptation se fonde non sur la coercition comme ressource première, mais sur le consentement réputé libre de la population qui s’y trouve soumise. » (Guy HermetBertrand BadiePierre BirnbaumDictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Armand Colin, 3e édition, 1998.)

 «…la qualité d’un pouvoir d’être conforme aux croyances des gouvernés quant à ses origines et à ses formes ». (Larousse)

Ces définitions introduisent l’idée d’une adhésion consentie, et non subie, à l’autorité du sujet jugé légitime.

Le sociologue Max Weber (1864 – 1920) s’est attaché à étudier et théoriser les ressorts de la légitimité du pouvoir. Il distingue trois types de légitimités, dont les deux premières font écho aux définitions mentionnées plus tôt :

  • La légitimité rationnelle légale, ouvrant la voie à une autorité conférée légalement, selon l’adhérence à des règles de droit écrites ;
  • La légitimité traditionnelle, ouvrant la voie à une autorité reposant sur l’adhésion à des croyances admises dans l’inconscient collectif, ou selon les normes, le sens commun, la tradition ;
  • La légitimité charismatique, ouvrant quant à elle la voie à une autorité fondée sur l’adhésion au caractère personnel exemplaire du sujet.

Au sein d’une société et de son système politique donnés, on pourrait dire que la légitimité rationnelle légale a un fondement objectif (Watzlawick parlerait de réalité de premier ordre[2]) car elle s’inscrit en référence à une règle écrite vérifiable et connaissable de tous. Par contraste, on peut dire que les légitimités traditionnelle et charismatique ont un fondement subjectif (on est dans la réalité de deuxième ordre). Dans ce cadre des sciences humaines, la légitimité est l’objet « d’un accord tacite subjectif et consensuel axé selon des critères éthiques et de mérite quant au bien-fondé existentiel d’une action humaine. »[3]

C’est avec l’introduction de cette subjectivité que la problématique de la légitimité devient pertinente et intéressante pour le coaching. Que veut alors dire être légitime, s’il s’agit d’un concept subjectif ? Peut-on seulement l’être de façon inconditionnelle ? Ou s’agit-il plutôt d’une question de perception, de se sentir légitime, face aux attentes perçues de l’environnement ? Avant de préciser ces questions, nous allons nous attacher à l’articulation des enjeux et considérations opérationnelles de ces notions dans le cadre professionnel des individus en situation de leadership.

1.1.2      Sens dans le contexte professionnel pour les leaders

 

Dans le cadre de cette étude, notre propos s’attachera aux enjeux de la légitimité professionnelle pour ceux que nous appellerons ici les « leaders ». Nous regrouperons et désignerons par ce terme les managers, les dirigeants et les entrepreneurs.

En effet ces trois catégories de profils professionnels ont en commun une autorité leur étant conférée par leur statut fonctionnel dans l’organisation (leur statut légal ou hiérarchique dans l’organigramme). Ainsi les statuts de l’entreprise ou la fiche de poste déterminent une autorité de fait qu’on pourrait attribuer à la légitimité rationnelle légale selon Max Weber; cette légitimité est liée à la responsabilité de donner ou de piloter la direction stratégique, d’assurer ou de contribuer à la pérennité de l’organisation.

Dans l’exercice de cette responsabilité fonctionnelle, ces leaders exercent en outre une posture d’autorité sur un système d’individus : ceux qu’ils dirigent directement au sein de l’organisation en les supervisant et en les guidant, et ceux auprès desquels ils sont tâchés de représenter l’autorité de l’entreprise en dehors de l’organisation (les investisseurs, les banques, les partenaires, les clients…).

Profil de leader Caractéristiques attachées au terme Légitimité fonctionnelle légale sur l’organisation Enjeux d’autorité et de légitimité vis-à-vis des hommes dans ou hors de l’organisation
Dirigeant A la tête de l’organisation ;
terme employé généralement pour une entreprise déjà établie de taille conséquente
Mandataire social responsable pénalement aux yeux de la loi ;

Ou mandat donné par un conseil d’administration sur nomination ou élection selon des règles établies dans les statuts

Dirige l’ensemble des membres de l’organisation (en l’occurrence responsable pénalement des collaborateurs) ;
Tâché de faire autorité en termes de représentation externe de l’entreprise (vis-à-vis des investisseurs, des banques…)
Manager A la tête d’un service de l’organisation Responsabilités attachées à un titre, une description de poste, une position hiérarchique Dirige une équipe : autorité de supervision et de décision dans le cadre des responsabilités fonctionnelles
Entrepreneur Créateur à la tête de sa propre organisation ;
terme employé généralement pour une entreprise en début de création
Mandataire social responsable pénalement aux yeux de la loi Dirige l’équipe qu’il a formée, ou se dirige lui-même s’il s’agit d’une entreprise unipersonnelle ;

Responsabilité d’autorité externe forte due à l’identification entre la personnalité de l’entrepreneur créateur et l’entreprise elle-même

C’est cette dernière posture d’autorité des leaders vis-à-vis de leurs interlocuteurs, de leur système, qui est le creuset de la question de la légitimité subjective qui intéresse le coaching.

Par ailleurs, notre choix du dénominateur commun « leader » n’est pas anodin et découle aussi du postulat que pour mener à bien l’exercice de leur fonction, ces 3 typologies de professionnels doivent mobiliser des qualités de leadership que nous caractériserons ici par la mobilisation des « 5Es ». On doit le modèle de leadership des 5Es à Bob McDonald, l’ex-CEO de la multinationale Procter & Gamble, entreprise réputée pour sa culture d’entreprise faisant la part belle à cette qualité. Les 5 caractéristiques, en anglais, sont les suivantes :

  • Envision : insuffler et susciter l’adhésion autour d’une vision stratégique claire et objectivée pour guider l’organisation ou l’équipe,
  • Engage: susciter l’engagement et l’implication de l’organisation, de l’équipe, de ses partenaires, pour les emmener dans cette direction,
  • Execute: conduire l’action vers la réalisation des objectifs et les résultats,
  • Enable: permettre à l’organisation d’avoir les ressources pour atteindre les buts fixés, lever les freins,
  • Energize : communiquer une énergie porteuse, donner envie, motiver l’organisation et ses partenaires

Les dirigeants, managers et entrepreneurs dans une mesure plus ou moins importante selon les attentes précises de leurs fonctions, suivant leur personnalité et leur style, vont mobiliser ces stratégies afin de susciter l’adhésion.

C’est en partie dans leur capacité à exprimer ce leadership que se  joue l’idée de légitimité, afin de trouver cette idée « d’adhésion consentie, non subie », évoquée plus tôt dans le cadre des légitimités dites « subjectives » (les légitimités traditionnelle et charismatique) – si l’on s’accorde à penser qu’avoir un fort leadership est un des facteurs qui contribuent à répondre aux attentes de représentations traditionnelles pour un dirigeant, entrepreneur ou manager, et qu’il contribue au caractère charismatique de l’individu.

Au-delà du leadership, les facteurs généralement évoqués dans les contextes de légitimité professionnelles sont entre autres, et de façon non exhaustive, l’expérience, la compétence, l’expertise, la prestance, l’intelligence, la réputation, la capacité à communiquer, l’assertivité et la confiance en soi. D’autres facteurs moins explicites attribués traditionnellement au pouvoir pourraient être l’âge, le genre, l’orientation sexuelle, le statut social, le physique… Dans une société patriarcale, un homme blanc cisgenre dans la cinquantaine répondra plus facilement aux attentes de stéréotypes d’un leader qu’une jeune femme de 20 ans, même s’ils étaient également performants sur les autres facteurs.

Afin d’évaluer dans quelle mesure ces facteurs sont considérés comme importants dans l’inconscient collectif, nous avons élaboré un sondage[4] auprès de professionnels, en leur demandant « quels facteurs contribuent à établir la légitimité d’un.e professionnel.le dans son rôle ? ». Différents critères retrouvés dans la littérature, les blogs, forums, verbatims de coaching ont été soumis, et le panel de 75 répondants a évalué ces critères pour définir s’ils contribuent « pas du tout » (1), « un peu » (2) ou « beaucoup » (3), afin de nous donner une hiérarchie des éléments les plus généralement attachés à cette notion. Les notes moyennes ont ensuite été résumées dans le graphique ci-après.

La compétence (2,95) se détache à la quasi-unanimité avec 71 répondants sur 75 répondants s’accordant sur le fait que ce critère contribue beaucoup. Une sous-palette de compétences liées au bagage professionnel, savoir-faire et au savoir-être suivent, puis en fin de classement on retrouve le titre, montrant que la légitimité rationnelle légale, si elle est nécessaire pour situer le leader par rapport à un rôle, ne suffit pas à elle seule à établir sa légitimité, et enfin d’autres éléments plus démographiques, qui, s’ils sont moins corrélés à la légitimité que les éléments de compétence, contribuent tout de même dans une moindre mesure. En tête, l’âge, avec un score de 1,63.

Ces caractéristiques sont autant de faisceaux qui convergent vers une idée de crédibilité. La crédibilité, de racine latine credibilis, « ce qui peut être cru, ce à quoi on peut se fier », est étroitement lié à la croyance, de racine latine credencia « ce en quoi on croit, ce en quoi on se fie ».

Finalement dans le cadre professionnel qui nous intéresse, nous pourrions faire la distinction suivante :

  • la légitimité objective (légale rationnelle) découle du statut et du rôle mêmes du leader et n’est pas en question à partir du moment où le dit statut est établi par une procédure de droit ou une règle non contestée : s’agissant d’un état de faits, il n’y a pas ici matière à mobiliser le coaching.
  • la légitimité subjective (et ses composantes traditionnelle et charismatique) s’attache elle à établir la crédibilité du leader dans son rôle vis-à-vis du système. Ce sont les croyances du leader lui-même et de son système qui vont être déterminantes pour établir sa légitimité : ce qu’ils croient à propos du leader et à propos de ce qui est attendu d’un leader, l’adéquation ou non entre les deux, afin que l’autorité du leader à exercer son poste soit reconnue, acceptée par le système du leader. On est ici sur un terrain pertinent pour le coaching.

Nous nous attacherons donc désormais à la seule légitimité subjective pour le sujet qui nous intéresse, et par simplicité nous ne retiendrons que cette facette lorsque nous emploierons le terme de légitimité dans la suite de notre propos.

1.1.3      Sémantique et verbatims de la légitimité professionnelle

 

Afin de mieux comprendre les mots utilisés pour définir la légitimité et les notions que celle-ci recouvre, nous avons recueilli les propos des leaders et professionnels sur leur définition de la légitimité via notre sondage et dans des séances réelles de coaching.

1.1.3.1     Propos recueillis dans une enquête auprès des leaders

 

Dans notre sondage auprès de 75 répondants, les différents verbatims recueillis témoignent de diverses facettes de la notion, qu’on pourrait articuler ainsi pour recouvrir la majeure partie des sens exprimés :

« Être légitime au travail, c’est faire preuve de compétence en termes de savoir-faire et de savoir être attendus dans un poste donné pour apporter de la valeur, et recevoir en retour la reconnaissance de la part de son entourage professionnel. Quand on est légitime au travail, on se sent à sa place. »

Thématique Sous-thème Verbatims
Être en adéquation contractuelle Se conformer au contrat –      Remplir les missions de son contrat de travail

–      Travailler tout en restant conforme à la convention collective

–      Contractuellement, avoir le bon contrat de travail en face du travail fourni (statut, heures)

–      Faire son travail

–      Droit des employés

Adéquation –      L’adéquation entre les responsabilités exigées par le poste, ses compétences et son implication

–      Montrer une adéquation entre ses compétences (hard et soft skills) et le poste

–      Occuper un poste correspond à sa qualification et à ses capacités professionnelles

Être compétent,
Savoir faire
Compétence

Intrinsèque

–      La légitimité provient de mes compétences non discutables

–      Compétent

–      Être compétent, apte

Compétence

liée au poste

–      Etre légitime c’est être compétent dans son domaine d’activité , maitriser ses sujets

–      Être apte au poste

–      Avoir les compétences de son poste ; Avoir la qualification pour le poste

–      Être compétent, mener à bien les missions confiées dans le cadre de son rôle

Connaissance
du poste
–      Bien connaître son travail

–      C’est avoir une bonne connaissance technique de son travail alliée à une bonne communication envers ses pairs pour faire valoir ses connaissances (tutorat, connaissance spécifique dans un domaine…)

Compétence reconnue et crédible –      Être compétent et reconnu pour cela

–      Être reconnu pour son expertise

–      Être légitime, c’est être crédible

–      Être crédible dans son poste

Obtenir une reconnaissance Reconnaissance des pairs –      Reconnu par son équipe

–      Être reconnu par ses pairs, son manager et son équipe pour sa valeur ajoutée

–      Avoir la reconnaissance de ses collaborateurs

–      Être reconnu dans son travail, entre pairs mais aussi auprès de sa hiérarchie

–      Considération entre collègues

Validation,appui de la hiérarchie –      Validation des supérieurs

–      Être appuyé par sa direction dans ses choix s’il va dans le sens de l’Entreprise.

Confiance –      C’est l’estime sociale au travail, la confiance

–      Avoir la confiance de ses supérieurs

–      Pour moi, ça signifie avoir la reconnaissance de ses collègues, qu’ils aient confiance en moi

Fournir des preuves et des résultats Être à la hauteur –      Répondre aux attentes du job et de ses supérieurs.

–      Être à la hauteur des attentes

Faire ses preuves, démontrer –      Avoir fait ses preuves.

–      Démontrer sa capacite à progresser et à apprendre

–      Qu’on accorde de l’importance à ce que je dis et ce que je fais parce que j ai dû démontrer le bien fondé de mes actes

Apporter de la valeur / des résultats

(auto-efficacité)

–      Être utile et efficace

–      Avoir la capacité d’ajouter une valeur ajoutée sur mon périmètre

–      Travailler de la façon la plus adaptée et productive

–      Etre compétent et avoir une valeur ajoutée : Anticiper Orienter décider

–      Pouvoir par ses réflexions et actions faire avancer et progresser une société, un département ou tout simplement les personnes côtoyées

–      Remplir sa fonction en apportant une valeur ajoutée

–      Avoir les compétences requises pour assurer

–      Créer de la valeur

Mérite / équité –      Mériter son poste,

–      Etre au poste occupé grâce à ses compétences

–      Etre reconnu par ses pairs et sa hiérarchie comme étant la bonne personne pour le poste qu’on occupe

–      En termes d’équité : place légitime vis à vis de son équipe, de la hiérarchie, du groupe

Savoir-être
et attitude constructive
Savoir-être, écoute, collaboration –      Reconnu […] dans son savoir-être

–      Etre légitime au travail pour moi est de faire en sorte d’aider un collègue si ça ne va pas, être à son écoute, etc….

–      C’est avoir une bonne connaissance technique de son travail alliée à une bonne communication envers ses pairs pour faire-valoir ses connaissances (tutorat, connaissance spécifique dans un domaine…)

Conviction
propre
–      Avoir un poste pour lequel l’employé est convaincu de ses actes.

–      Etre reconnu pour ses compétences par soi et les autres

Potentiel en puissance –      Démontrer sa capacite à progresser et à apprendre

–      Au sens large tout individu est légitime à travailler

Être en alignement

 

Être à sa place

 

–      Cela veut dire que chacun a sa place

–      Avoir sa place au sein de son équipe

–      Trouver sa place au travail

–      Etre a sa place

Sens au travail –      Se sentir en lien avec son travail d’un point de vue moral, valeurs

–      Se sentir à sa place, être dans un cadre dans lequel nous avons un positionnement clair – en adéquation avec nos compétences / envies

Respect du droit, intégrité –      Être vrai, être droit

–      Agir en toute honnêteté

 

1.1.3.2     Propos contextualisés recueillis en séance de coaching

 

Afin d’obtenir de la matière à analyser pour comprendre mieux ce qui se joue dans les croyances liées à la légitimité, nous avons recueilli des verbatims au sein de sessions de coaching avec des leaders.

En voici quelques exemples – tous ces témoignages proviennent d’individus différents, qui, extérieurement semblent « réussir » dans leur parcours professionnel.

Rôle G, Age Verbatim
Manager F, 28 Je doute d’être légitime en tant que manager car je ne sais pas tout sur tout, je ne sais pas toujours quelle stratégie adopter… Pour moi un manager doit avoir les réponses, et j’ai peur de ne pas être à la hauteur face aux attentes de mon équipe quand je ne sais pas immédiatement donner une direction.
Entrepreneur F, 35 Il faut avoir un certain style de leadership pour être un chef d’entreprise : il faut savoir se vendre, être assuré, extraverti… Ce n’est pas mon cas et je ne sais pas si j’ai l’air légitime par rapport à mes clients.
Dirigeante F, 33 Malgré le succès de l’entreprise, j’ai du mal à mener à bien cette levée de fond : le fait d’être jeune, d’être une femme, et de ne pas avoir le bon diplôme joue clairement dans ma capacité à projeter une légitimité et une confiance vis-à-vis des investisseurs. Ils m’ont dit que si j’avais fait HEC ce serait différent.
Manager F, 28 Je ne vois pas comment je pourrais être légitime dans mon rôle en tant que manager car l’équipe que je manage à quasiment mon âge, je n’ai pas plus d’expérience qu’eux donc je n’ai rien à leur apprendre…
Dirigeant M, 32 Je ne suis pas légitime par rapport à mon co-dirigeant, il était là avant moi, et même si c’est moi qui ai apporté la majorité des idées et qui suit convaincu que j’ai la bonne stratégie, il a plus de parts que moi, plus d’ancienneté. Ce ne serait pas crédible que je contredise son avis devant le board…
Manager à un niveau direction F, 34 Quand je suis face à ce VP, la façon dont il s’adresse à moi me fait me sentir stupide, comme s’il ne me jugeait pas à la hauteur, et du coup je ne me sens pas crédible, pas légitime, je perds mes moyens, alors que d’habitude j’ai bonne réputation, j’ai des bonnes évals et je me sens performante.
Entrepreneur F, 34 Je ne me sens pas légitime dans mes conseils, ce sont des sujets complexes et j’ai peur de me tromper, de mal décider. J’ai l’impression que les autres ont l’air sûrs d’eux, qu’ils ne se trompent jamais.
Manager F, 35 Je ne me sens pas légitime pour demander et mériter une promotion car il y aura toujours des gens meilleurs que moi, pour qui cela a l’air plus naturel et facile, des gens qui sont plus doués…
Entrepreneur F, 34 Je n’ai pas toute l’expertise requise pour donner mon avis, d’autres sont plus compétents que moi sur ces sujets, je ne vais pas avoir l’air crédible, et je ne me sens pas légitime à donner des conseils.
Manager M, 33 Je ne pense pas que mon boss soit vraiment plus doué que moi, il a même quelques défauts, et je vois bien que j’apporte autant voire plus de valeur. Mais il est impensable que j’aie son poste, il a 10 ans de plus que moi, je n’ai pas la légitimité pour.
Manager à un poste de direction F, 34 Cela ne se voit pas extérieurement, mais je ne me sens pas légitime pour prendre un nouveau poste, car je manque de confiance en moi, d’estime de moi – je ne me sens plus capable de rien, je me sens submergée par l’idée de devoir affronter un nouveau poste
Entrepreneur F, 54 Je ne comprends pas pourquoi on m’a donné toutes ces missions alors que je n’ai rien demandé et que je ne le mérite pas vraiment… Je n’ai aucune légitimité ! Les autres sont fous de me faire confiance pourtant je suis nulle !
Manager F, X Quand je vois untel qui réussit tout et qui est si performant au boulot, je ne me sens pas à la hauteur et je me dis que je ne suis pas crédible par rapport à lui… Je doute de ma légitimité à prendre ce nouveau projet que je n’ai pas l’impression d’autant maîtriser, quand je vois ce que lui est capable de produire.

Dans ces exemples, la sémantique révèle l’émergence de plusieurs phénomènes :

  • L’idée de devoir être à la hauteur d’attentes extérieures
  • Des perceptions et croyances diverses sur ces mêmes attentes
  • Des croyances sur soi-même: ses capacités, son identité
  • Des croyances sur l’environnement : ce qui est socialement admis comme légitime
  • Des phénomènes de comparaison avec autrui qui impactent la perception de légitimité
  • Des dynamiques de confiance en soi

Nous tenterons de structurer et d’analyser ces phénomènes au fil de cette série d’articles. Cependant, on note que tous ces phénomènes ne sont pas des vérités absolues mais relèvent de cognitions subjectives, en lien principalement avec des croyances.

 

1.1.4      « Se sentir légitime », plutôt qu’« être légitime »

 

Puisque nous sommes dans le domaine des croyances et de la subjectivité, est-t-il alors possible de dire d’un leader qu’il est inconditionnellement légitime ?

Il le sera peut-être aux yeux du système si tous ses membres croient et disent qu’il l’est, mais là encore, cela ne relèverait que de la croyance et non de l’essence même du leader. En raisonnant par l’absurde, le leader est-il légitime s’il pense l’être, si son comex pense qu’il l’est, mais si par exemple certains de ses employés pensent qu’il ne l’est pas ? Qui a raison et qui a tort ?

Chaque membre du système avec sa propre vision du monde, le leader compris, va attribuer une signification particulière, avoir des attentes singulières et des perceptions différentes quant à ce qui constitue pour lui la légitimité du leader. Ces visions du monde vont en partie se recouper et créer du consensus du fait par exemple de l’appartenance à une culture commune (par exemple on voit que la majorité des répondants de notre étude va s’accorder sur le fait que « la compétence dans le poste » est déterminante), mais aussi différer au grès des expériences et perceptions individuelles (certains vont porter plus ou moins d’importance à des facteurs tels l’expérience, ou l’âge).

Pour se rapprocher de la légitimité (s’il ne peut donc jamais inconditionnellement l’atteindre), le leader va donc chercher à se conformer à ce qu’il pense que le système attend de lui pour lui accorder cette légitimité. Là encore, le leader entreprenant cette démarche à la lumière de sa propre grille de lecture du système et de ses propres croyances, il ne pourra jamais qu’entrevoir partiellement et imparfaitement la multitude d’interprétations des différents membres du système à ce sujet.

Le leader, comme les membres de son système, va cependant « construire » cette représentation de la légitimité et y associer des facteurs d’évaluation dans un processus de rationalisation cognitive. Raymond Boudon et Gérald Bronner parlent de « rationalité subjective ». L’apparente logique du processus de construction contribue à renforcer le sentiment que la croyance formulée sur la légitimité est « vraie ».

Ce phénomène de rationalité subjective et les mécanismes à l’œuvre dans les évaluations multifactorielles dans l’élaboration des croyances est aussi expliqué dans l’article de Loïc Henry de la Revue Européenne de coaching :

« La rationalité de l’homme est subjective, car elle dépend de ses croyances, de ses valeurs, de ses besoins, de ses limites, de sa représentation personnelle de la situation et de l’univers de choix conçu par lui. […] Lorsque nous essayons d’identifier les variables significatives pour [évaluer] un sujet particulier dans la vie quotidienne, nous sommes confrontés à plusieurs problèmes : (i) établir une liste cohérente de variables, (ii) les sélectionner, (iii) associer un poids à chacune d’entre elles. [Cependant] à l’inverse d’une étude scientifique, nous ne disposons pas d’outils statistiques pour analyser les situations auxquelles nous sommes confrontés à plusieurs reprises au cours de la journée.»[5]

1.1.5      Modélisation de l’articulation (α, β, Δ) du sentiment de légitimité

 

Pour modéliser cette complexité et permettre d’en tirer des applications pratiques pour le coach, et en s’inspirant des travaux de Lazarus et Folkman (1984) sur les évaluations cognitives primaire et secondaire dans les phénomènes de stress, on pourrait théoriser que s’approcher de la légitimité pour le leader, c’est réduire son écart de perception entre :

  • La représentation α : perception des attentes du système sur ce qui fonde la légitimité (quels facteurs sont importants, et dans quelle mesure)
  • L’évaluation β : perception individuelle de sa propre légitimité, c’est-à-dire perception de la performance individuelle vis-à-vis des facteurs perçus de légitimité.

A titre d’illustration, un individu A pourra penser que pour être légitime en tant que manager, « il faut avoir de l’expérience, une compétence managériale et être charismatique ». Il aura sa propre définition de ce qui représente l’expérience nécessaire (par exemple « avoir au moins 10 ans, à l’étranger et en France, avec des gros clients »), et pareillement pour la compétence ou le charisme, et il attribuera plus ou moins d’importance à ces facteurs. La résultante de cette évaluation cognitive est ce que l’on nomme ici la représentation α. Il aura aussi une évaluation de lui-même vis-à-vis de ces facteurs : a-t-il cette expérience nécessaire selon lui (et en a -t-il assez ? avec des clients assez importants ?), se sent-il compétent sur le plan managérial (et dans quelle mesure ?) et charismatique selon le sens qu’il y met ? La résultante est alors son évaluation β. Plus l’écart entre perception des attentes α et perception individuelle β est faible, plus l’individu A va se sentir légitime. Un individu B, avec sa vision du monde, pourra évaluer que pour être légitime pour le même poste de manager, ce sont d’autres critères qui sont importants, par exemple, la séniorité en termes d’âge et l’assertivité, et il jugera sa légitimité selon sa performance perçue selon ces critères sélectionnés.

Finalement, en entreprenant de réduire l’écart Δ, c’est sur son sentiment de légitimité que le leader va jouer. S’il ne pourra jamais être inconditionnellement légitime au vu de l’infinité des jugements des membres du système complexe qui ne sauraient trouver un consensus total et absolu d’interprétation (ce qui revient à dire que α n’est jamais un point absolu mais bien la perception qu’a l’individu du consensus du système), il pourra, par abus de langage dire être légitime lorsqu’il se sent légitime car il a réduit l’écart entre évaluation primaire et secondaire à un delta  avec lequel il est à l’aise.

On note que la légitimité étant aussi intimement liée à la reconnaissance perçue de l’individu par le système, les curseurs α et β vont faire l’objet de réajustements permanents en fonction de l’expérience : en fonction de la reconnaissance perçue par le leader, il va réévaluer les attentes du systèmes (« le système reconnaît tel comportement ou facteur chez un alter ego « légitime », cela signifie que ce facteur est important ; le système semble reconnaître ma légitimité dans cette configuration, cela doit dire quelque chose de ma légitimité »).

Le coaching va ainsi pouvoir accompagner le leader à mettre en lumière comment cette équation s’articule pour lui aujourd’hui, et agir si c’est pertinent sur la réduction et/ou l’acceptation de cet écart perçu, afin que le leader se sente « OK » avec ce delta, comme on dirait en analyse transactionnelle.

 

1.2       Légitimité et croyances sous-jacentes

On a vu que les croyances étaient au cœur de la problématique de définition individuelle de la légitimité professionnelle. Une croyance est une opinion qu’on tient comme vraie. On choisit d’y croire car elle participe de la construction et du maintien de notre vision du monde, et nous permet d’expliquer son fonctionnement, d’y donner du sens. La véracité d’une croyance dans l’absolu n’est pas pertinente, s’agissant d’une cognition subjective. La question pertinente est celle de l’utilité de la croyance pour l’individu : est-t-elle limitante, aidante ou neutre.

On distingue ici 3 types de croyances qui jouent un rôle dans la construction du sentiment de légitimité des leaders : les croyances sur ses compétences, les croyances sur son identité et les croyances sur l’environnement (les autres, la société).

 

1.2.1      Croyances sur les compétences : se sentir capable

 

Au vu de la place centrale de la compétence comme facteur clé de la légitimité professionnelle, les croyances du leader sur ses compétences vont être déterminantes pour le sujet qui nous intéresse.

La compétence est définie comme la « connaissance ou habileté reconnue dans une matière, qui confère à l’individu la capacité et le droit d’en juger ». Tout comme c’est le cas pour la légitimité, la compétence est de prime abord liée à la notion d’une reconnaissance, d’une validation, d’un consensus externe sur les connaissances ou la « capacité à ». Ainsi, comme pour la légitimité, la compétence dépend d’une évaluation fondée sur des croyances, qui peuvent faire l’objet d’une démarche « d’objectivation » (par exemple, l’individu qui aura validé un test de connaissances, un diplôme dans une matière avec un score décrété comme acceptable par une organisation, elle-même reconnue comme compétente, pourra être décrété « compétent » selon cette norme), ou simplement reposer sur un consensus subjectif à l’échelle de l’individu (par exemple le manager juge de la compétence de son collaborateur par rapport aux tâches à réaliser et aux attentes). Dans ces deux exemples, peu importe le degré d’objectivisation de la démarche, nous restons dans le domaine de la rationalité subjective. Suivant le niveau d’exigence et la vision du monde d’un individu, sa définition et son évaluation de la compétence peuvent varier. La compétence n’est pas une donnée absolue, mais bien un jugement, une croyance.

Les croyances sur les compétences, ces dernières étant elles-mêmes des croyances, nous entraînent dans une vertigineuse mise en abyme… Dans l’intérêt du pragmatisme, on sortira de cet effet Droste en mobilisant le concept d’«adéquation » et en considérant un contexte d’observation pratique et restreint de la compétence : celle requise pour un périmètre professionnel défini, un poste donné avec des attentes spécifiques qu’on considérera comme connaissables par le leader et dont le niveau d’exigence raisonnable ferait « consensus ».

Au sein d’un poste donné avec des compétences requises claires, le sentiment de légitimité du leader sera positivement corrélé à sa croyance sur ses compétences, c’est-à-dire à son sentiment d’être « capable de », « apte à » mobiliser les compétences requises.

Dans le champ de la compétence on distingue le savoir-faire et le savoir-être.

  • Le savoir-faire (« hard skills ») est le versant le plus concrètement observable de la compétence : c’est la mobilisation de compétences techniques, la maîtrise d’une expertise, la capacité à mobiliser des méthodologies, des stratégies et des outils orientés vers la finalité de la tâche. On est au niveau du contenu, sur le fond.
  • Le savoir-être (« soft skills »), lui, désigne la mobilisation des compétences et attitudes intra et interpersonnelles adaptées à la finalité de la tâche. On est sur le contenant, sur la forme.

Les croyances liées aux compétences sur le savoir-faire professionnel sont rapidement identifiables, car la mise en œuvre des savoir-faire est facilement éprouvée : suis-je capable d’utiliser un tableur de calcul ? Suis-je capable de faire un tableau financier ? Suis-je capable de compiler une présentation ? Sous-entendu, suis-je capable de mobiliser ces compétences dans le niveau de maîtrise qui me permet de délivrer mon travail ?

Ces « savoir-faire », contrairement au « savoir-être » qui est plus intimement lié à l’individu, relèvent de la maîtrise de connaissances techniques externes à l’individu. Ainsi, le déficit de savoir-faire peut être relativement aisément comblé par le recours à la formation par exemple, puis devenir une compétence apprise et maîtrisée par la répétition et l’entraînement. Si je ne me sens pas légitime car je ne sais pas faire un business plan alors que j’évalue avoir besoin de cette compétence, je peux suivre une formation, demander de l’aide, m’inspirer d’un exemple existant, pour apprendre. Avec l’investissement de temps et de travail qui m’est nécessaire, je devrais pouvoir maîtriser cette compétence à terme.

Cependant, si l’on revient à l’exemple du business plan, alors « être à l’aise pour demander de l’aide », « aller chercher les ressources nécessaires pour se former », sont elles-mêmes des compétences qui relèvent du « savoir être ». Ces compétences sont plus intimement liées aux attitudes du leader qu’à la maîtrise d’un savoir externe, donc commencent à toucher à la construction identitaire du leader. Ces compétences de savoir-être peuvent être apprises également, et les formations « soft skills » ont le vent en poupe. Néanmoins, leurs contours sont plus diffus : il est plus aisé de savoir que l’on a compris comment utiliser un tableur Excel et qu’on a acquis ce savoir-faire (car le résultat s’apprécie par des artefacts concrets, par exemple un résultat de calcul dans un fichier) que de se juger compétent sur des softs skills comme « communiquer efficacement », « faire preuve de leadership » ou « développer son équipe ». Les savoir-être sont des compétences qui s’apprennent mais elles touchent plus profondément au style de l’individu, à son attitude et à des interactions avec autrui, qui ouvrent la voie à encore davantage de jugements subjectifs que les savoir-faire.

Par leur lien avec l’identité, les croyances sur les compétences « savoir-être » peuvent notamment se doubler d’une croyance sur l’identité.

1.2.2      Croyances sur l’identité : se sentir en absolu ou en potentiel

 

Carol Dweck (2015), avec ses concepts de « growth mindset » (état d’esprit de développement) et de « fixed mindset » (état d’esprit fixe), nous éclaire sur une alternative de croyances sur l’identité, fondatrice pour l’ensemble des croyances sur soi. D’un côté, un individu avec un « fixed mindset » se construit autour de la croyance que les traits personnels sont innés, définitifs et ne peuvent être changés. De l’autre, un individu qui aurait tendance au « growth mindset » croit que les qualités comme le talent, les capacités, l’intelligence peuvent évoluer, se perfectionner avec la curiosité, l’apprentissage et la discipline.

Un leader avec un « fixed mindset » peut avoir tendance à confondre son identité et ses compétences, et à avoir des croyances profondément ancrées : « je ne suis pas légitime pour ce poste car je ne suis pas capable de manager une équipe de 10 personnes » (sous-entendu, je ne suis pas quelqu’un qui est capable de cela, ni aujourd’hui, ni demain, car c’est mon identité, mon essence). Un leader avec un état d’esprit fixe a également plus de mal à remettre en question ses croyances car il a un rapport au monde globalement « essentialiste » : les choses sont comme cela, pas autrement.

Un leader avec un « growth mindset », lui, pourra se sentir incapable de manager une équipe de 10 personnes dans l’immédiat, mais cette croyance restera une croyance sur ses compétences, et non une croyance limitante sur son identité, car il se connait les ressources pour apprendre, se développer, en travaillant. Il ne laisse pas ce manque de compétence, de « savoir être », se confondre avec son « être », définir son essence. S’il ne se sent pas légitime aujourd’hui, il ne se croit pas illégitime dans l’absolu. Par rapport à un leader au « fixed mindset », il aura plus de résilience, de confiance en lui sur le long terme car il a conscience de son potentiel et de sa capacité à s’adapter pour faire face aux obstacles.

On note au passage que ce point de vue « existentialiste » du leader ayant un état d’esprit de développement est une attitude aidante pour le coaching, discipline qui partage cette croyance humaniste sur l’individu et la place au cœur de son éthique.

Les croyances sur l’identité, quand elles sont limitantes, et tenaces par la vision du monde essentialiste de l’individu (« je suis comme ça »), peuvent faire écho au locus de contrôle externe (Rotter, J. 1954), concept différent mais témoignant également d’un rapport particulier au fatalisme. Dans le locus de contrôle externe, les éléments extérieurs (la chance, le hasard, le destin, l’Etat, les autres…) sont responsables de ce qui « arrive à l’individu » qui ne se voit pas comme acteur de sa vie mais comme subissant son identité et les circonstances. Ce type de croyances sur l’identité peuvent être liées à et influencées par des croyances sur l’environnement que nous évoquerons ci-après.

1.2.3       Croyances sur l’environnement et les autres : se sentir à sa place

 

Les croyances sur l’environnement dans le cadre de la légitimité professionnelle peuvent être des croyances de différents ordres, par exemple :

  • Croyance sur la façon dont la légitimité est obtenue : « Pour être légitime, il faut faire X, démontrer la qualité Y… », « il faut avoir tel diplôme pour être légitime ».
  • Croyance sur la façon dont s’exprime ou doit s’exprimer la reconnaissance de la légitimité: « Si mon manager me trouvait légitime, il m’aurait félicité après la réunion » (distorsion du méta-modèle, équivalence X = Y sous-entendu, « pour être légitime, il faut être reconnu pour sa compétence », et « un manager félicite son collaborateur s’il reconnaît sa compétence »).
  • Croyance sur les types de personnes que l’environnement reconnait comme légitimes: « seuls les hommes dans la cinquantaine sont considérés légitimes pour être au conseil d’administration », « je suis trop vieux, je ne suis pas légitime pour ce job en agence, je ne suis plus dans le coup » (sous-entendu, seuls les jeunes sont crédibles et capables de se tenir au courant des développements technologiques par exemple).

Ces croyances découlent de l’expérience, des valeurs, de l’éducation, de l’observation de la vie en société, de la confrontation à des stéréotypes qui sont « des clichés, images préconçues et figées, sommaires et tranchées, des choses et des êtres que se fait l’individu sous l’influence de son milieu social (famille, entourage, études, professions, fréquentations, média de masse, etc.) et qui déterminent à un plus ou moins grand degré ses manières de penser, de sentir et d’agir »[6].

Comme toute croyance, elles peuvent être aidantes, neutres ou limitantes selon le point de vue du leader. Si je suis une jeune femme en début de carrière, le stéréotype des hommes âgés au pouvoir peut me limiter car je ne me sens pas digne, je me dis que « ce n’est pas pour moi ». Au contraire, cela peut être une croyance aidante si je suis une jeune femme qui est motivée par le défi et la compétition et que je veux prouver que je suis capable de décrocher un poste pourtant apparemment « réservé » à d’autres. Ce même stéréotype pourra être aidant pour un homme dans la cinquantaine si cela lui donne de la confiance en lui pour se sentir à sa place et légitime. Au contraire, il pourra être limitant pour lui si cela génère de la pression : « à ce stade de ma vie, je devrais avoir un poste avec plus responsabilités ».

1.2.4      Lien entre croyances et modélisation (α, β, Δ)  du sentiment de légitimité

 

À la suite de ce tour d’horizon des croyances, on peut conclure qu’explorer la représentation de la légitimité du leader va passer par une identification et un travail sur ces différents types de croyances sur lui. Pour revenir à notre modélisation de l’évaluation de la légitimité, on pourrait dire que ces croyances vont influencer sur son évaluation α et son évaluation β, et sur l’écart Δ qu’il va juger acceptable entre les deux.

  • Croyances sur l’environnement: comment le leader perçoit-il ce qui confère la légitimité ? Qu’est-il selon lui nécessaire de démontrer pour être légitime ? Quels facteurs l’environnement semble-t-il prendre en compte pour reconnaître quelqu’un comme légitime ? Ces croyances vont influencer en particulier sa représentation α.
  • Croyances sur ses compétences: se sent-il capable de maîtriser son poste ? Pense-t-il avoir les compétences qu’il juge nécessaires ? Dans quelle mesure ? Ces croyances vont influer particulièrement sur son évaluation β.
  • Croyances sur son identité : que croit-il sur lui-même ? Se considère-t-il comme un être figé ou un être en potentiel ? A-t-il une vision avec une coloration globalement positive ou négative de lui-même influençant sa confiance en lui ? Ces croyances vont influencer surtout son évaluation β et la façon dont il va être à l’aise ou non avec l’écart Δ.

Cette modélisation, telle un outil, pourra aider le coach à questionner le leader pour l’amener à évaluer comment s’articule pour lui le sentiment de légitimité, afin de mettre à jour le type et le contenu des croyances qui le freinent pour pouvoir, s’il le souhaite, agir sur son sentiment de légitimité.

 

CONCLUSION DE CETTE PREMIERE PARTIE

Nous avons dans ce premier article défini la légitimité au travail, établi la pertinence du sujet pour les professionnels leaders, et établi les ressorts subjectifs du phénomène : il s’agit de « se sentir légitime » et non pas de l’être absolument.

Nous verrons dans un deuxième article quelles sont les origines et manifestations de ce sentiment de légitimité afin d’établir des bases de compréhension théoriques et scientifiques pour soutenir l’approche pratique du coach que nous étudierons dans un troisième et dernier article.

[1] Etude qualitative menée auprès de 75 « leaders » en France en Novembre 2021 via Linkedin et SurveyMonkey sur des managers, dirigeants et entrepreneurs.

 

[2] Watzlawick, P. (1972) La réalité de la réalité. Ed. Seuil.

[3] « Légitimité. » Wikipédia, l’encyclopédie libre. 13 mai 2020, 16:44 UTC. <http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=L%C3%A9gitimit%C3%A9&oldid=170823183>

[4] Sondage réalisé via SurveyMonkey et Linkedin en Novembre 2020, sur 48 répondants cadres, dirigeants et entrepreneurs.

[5]Henry, L. Le role des erreurs logiques et mathématiques dans le renfocement des croyances. Revue Européenne de Coaching (Janvier 2018), Linkup Coaching

[6] Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, A. Colin, Paris, 2005, nouvelle édition, p532.

 

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