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Numéro 8 09/2019 Numéros

Coaching et Surdité

Coacher une personne « Pi Sourd » c’est accepter des différences, accueillir les richesses que compose la différence, ses possibilités, mais aussi parfois accepter ses limites et chercher des solutions adaptatives.

Sandrine Rochefeuille
Première publication le 24/09/2019 – Article de recherche


Introduction

L’allégorie de la grenouille

« Il était une fois une course de grenouilles. Le but de cette course était d’atteindre le sommet d’une haute tour. De nombreuses personnes se réunirent pour les voir et les soutenir. La course débuta. En fait, les spectateurs croyaient qu’il était impossible pour les grenouilles d’atteindre le sommet de la tour, et tous les commentaires qu’on pouvait entendre étaient de cette nature : « Quelle peine !!! Elles n’y arriveront jamais ! » Les grenouilles commencèrent à douter d’elle-même. Les spectateurs poursuivaient : « Quelle peine !!! Elles n’y arriveront jamais ! » Et les grenouilles, une par une, acceptèrent leur défaite, à l’exception d’une grenouille qui continua de grimper, et qui avec un énorme effort sur la fin, atteignit le sommet de la tour. Une des grenouilles qui avait renoncé à la course s’approcha de la grenouille victorieuse pour lui demander comment elle avait fait pour terminer la course. Et elle découvrit que la grenouille victorieuse était sourde ! »  (Auteur inconnu) 

Cette métaphore souligne l’importance de croire en ses rêves et en ses possibilités, sans se laisser envahir par des considérations négatives extérieures. Dans ce récit, la grenouille part avec un handicap qui se transforme en atout, puisque cette grenouille par sa particularité d’être sourde, est la seule à avoir pu réaliser son objectif en atteignant le sommet de la tour. Du fait de ne pas entendre les remarques négatives des spectateurs, cette grenouille a vécu cette course différemment,  avec sa propre vision, en préservant sa motivation et sa confiance en ses capacités pour atteindre son objectif. 
Comme tout à chacun, une personne sourde à sa propre représentation du monde. Lorsque cette représentation est liée à la surdité et particulièrement lorsque que le mode de communication de la personne sourde est la Langue des Signes, il est fréquent d’observer des spécificités chez la personne sourde dans son fonctionnement cognitif, dans sa relation au monde, aux autres et à lui-même. 
Une personne sourde dont la langue natale est la Langue des Signes et qui appartient souvent à la communauté sourde se qualifie elle même de « Pi-Sourd », c’est une expression en Langue des Signes Française utilisée par les sourds. (L’expression « Pi »  signifie « typique», « spécifique », « qui est propre à quelqu’un ou à quelque chose»). Cette expression définit pour les sourds une appartenance identitaire, une histoire qui leur est propre, une culture et une langue. 
La langue des Signes est une langue à part entière qui à sa propre syntaxe, c’est une langue qui répond à une logique visuelle. 
Le concept de la pensée visuelle a été forgé dans les années 1920 par Rudolph Arnheim, psychologue et théoricien de l’art. R. Arnheim considère que toute pensée repose principalement sur la perception : «Le processus fondamental de la vision englobe les mécanismes typiques du raisonnement (…).Loin d’être une fonction secondaire, la réaction au monde de notre perception constitue ce par quoi nous structurons les faits et aussi ce dont nous faisons dérivés les idées et, de là, le langage »1.  
Il y a une manière spécifiquement sourde de s’imprégner en permanence de tout ce que le monde peut apporter d’informations visuelles. Le regard n’est jamais passif ni au repos, il est sans cesse sollicité par tout ce qui est en mouvement: feuilles agitées par le vent, objet qui se déplace à la périphérie du champ visuel (…) Cette extrême sensibilité à tout ce qui entre dans le champ visuel rend compte de comportements si récurrents dans le temps et l’espace qu’il faut bien les considérer pour ce qu’ils sont : des traits culturels ».2 
Cette pensée visuelle a une implication directe dans le fonctionnement cognitif,  l’organisation de la structure mentale de la personne sourde, ainsi que dans l’organisation de la Langue des Signes qui est elle-même pourvue d’iconicité. Les sourds pensent en images, les sourds ne pensent pas en mots. Les sourds qui communiquent et pensent en Langue des signes ont donc un rapport au monde différent de celui des entendants (« entendant » est un néologisme crée par les sourds). 
Ce rapport au monde  a ses particularités, des particularités qui divisent le monde en deux : le monde des sourds et le monde des entendants. Dans ce monde existe un pays qui n’a pas de territoire inscrit sur une carte : le pays des sourds. 
Coacher un client « Pi-Sourd » c’est tout d’abord prendre en compte toutes ces spécificités  en explorant les possibilités, les limites et les solutions adaptatives.. 
Coacher une personne « Pi Sourd » a bien des particularités, non seulement du fait  de la LSF qui diffère dans son fonctionnement de la langue française, mais aussi du fait que la personne « Pi Sourd » a une perception visuelle du monde, une pensée en images et une culture propre qui font que son rapport au monde se différencie de celui des entendants. : « les pratiques sont alors déterminées par le fait d’être visuelles et les traits particuliers comme la manière de penser et de voir la vie, la mentalité, les comportements, les valeurs, l’humour, la perception du monde sont définis non pas en les décrivant mais en les comparant à des personnes entendantes. La culture sourde se compose en autres manières de faire, différentes de celles des personnes entendantes et incluant des règles, des comportements et des manières de s’exprimer ».3   
Un point de vigilance  est  à souligner afin de pas stéréotyper  une personne « Pi Sourd » du fait qu’elle appartienne à une communauté. Elle reste une personne unique, avec sa personnalité et son histoire personnelle. Aussi, si les particularités évoquées se retrouvent fréquemment chez la personne « Pi Sourd », elles ne sont pas à prendre en compte comme un postulat. 
Coacher une personne « Pi Sourd » c’est accepter des différences, accueillir les richesses que compose la différence, ses possibilités, mais aussi parfois accepter ses limites et chercher des solutions adaptatives. En tant qu’entendant(e), coacher une personne « Pi Sourd » est tout autant une rencontre de l’autre que de coacher une personne entendante, que le mode de communication se fasse en Langue des Signes  ou à l’oral avec la présence d’un interprète, il s’agit bien là d’être dans un rapport collaboratif avec la personne. 

1) Le rapport collaboratif et l’écoute active avec une personne sourde signante

Comme tout autre client,  le coach se doit d’accueillir la personne « Pi Sourd » dans une relation empathique, authentique, chaleureuse et professionnelle, de manière inconditionnelle, selon les principes de l’Approche Centrée sur la Personne de Carl Rogers et de l’écoute active, nécessaires au rapport collaboratif. Coacher une personne « Pi Sourd » c’est communiquer avec une personne qui a un mode de communication qui diffère du nôtre  mais qui trouve aussi ses similitudes. C’est aller au-delà de langue en elle-même et être tout simplement, dans une rencontre de l’autre. 
«L’écoute exclusivement auditive est une chose. L’écoute intellectuelle en est une autre. Mais l’écoute de l’esprit ne se limite pas à une seule faculté – l’audition ou la compréhension intellectuelle. Elle requiert un état de vacuité de toutes les facultés. Lorsque cet état est atteint, l’être tout entier est à l’écoute. On parvient alors à saisir directement ce qui est là, devant soi, ce qui ne peut jamais être entendu par l’oreille ou compris par l’esprit             Tchouang-Tseu, philosophe chinois. 
 

1.1) La communication digitale et analogique

Lors d’un coaching avec une personne sourde signante, quelles particularités doit-on prendre en compte dans la relation de communication ?  Cette question sera explorée selon la pragmatique de la communication interpersonnelle, fondée par l’ Ecole Palo Alto et notamment  les principes fondateurs de la logique de communication de Paul Watzlawick, reposant sur 5 axiomes4 : 
Le premier est l’impossibilité de ne pas communiquer : qu’il y ait un échange verbal ou non « tout comportement a valeur de message ». 
Le deuxième est que toute communication présente deux aspects : le contenu et la relation de telle sorte que le second englobe le premier et est par suite une métacommunication (l’art de communiquer sur la communication). 
Le troisième est la ponctuation de la séquence des faits : Ce que le comportement de l’un influe dans le comportement de l’autre et vice et versa dans la communication. 
Le quatrième, est que tout être humain use simultanément de deux modes de communication,  la communication digitale et analogique : la communication digitale est liée au contenu de l’échange  où le message verbal est  émis dans une langue, un code riche et complexe. La communication analogique est liée à la relation  dans l’expression du corps, les comportements non verbaux (mimiques, posture, mouvements…). 
Le cinquième axiome est l’interaction symétrique et complémentaire : 
L’interaction symétrique se caractérise par l’égalité et la minimisation de la différence dite, les partenaires se font miroir.  L’interaction complémentaire se fonde sur la maximalisation de la différence, l’un des partenaires occupe une position haute et l’autre une position basse. 
Dans la communication avec une personne sourde signante, la communication se fait comme toute communication, elle se base sur ces 5 axiomes. Cependant, il est évident  que pour l’axiome concernant la communication digitale et analogique, le fonctionnement général de la Langue des Signes aura une prédominance pour la communication analogique. 
Dans le contexte d’une communication en langage orale, des travaux et recherches sur l’importance de la communication non verbale ont été réalisés en 1967 par  Albert Mehrabian, professeur de psychologie à l’université de Californie. En 1971, A.Mehrabian a  publié le résultat de ses travaux : 7% de la communication est verbale (par la signification des mots), 38% de la communication est vocale ou para verbale (intonation et son de la voix) et 55% de la communication est visuelle ou non verbale (expression du visage et du langage corporel). 
A priori, il n’existe pas d’étude similaire contenant la part du verbal, para verbal et non verbal dans la communication en LSF. 
Toutefois, il est observable lors d’ échanges avec des personnes sourdes signantes, que ces trois paramètres  sont présents en Langue des Signes. Ainsi le verbal à une correspondance avec le lexique de signes, signes qui, de par leur iconicité, sont non-verbaux. Le para verbal est présent dans le rythme, la vitesse, l’intensité du signe lorsqu’il est produit en association avec l’expression du corps et du visage (qui sont également des indicateurs non-verbaux). Le non verbal est l’essence même de la Langue des Signes, dans son expression. 
Cependant, le langage non verbal dans sa dimension d’indicateur de messages non-dit par la langue, est tout aussi présent chez le locuteur en Langue des Signes. Par exemple une personne sourde peut répondre à la question « est-ce que ton nouvel emploi te plaît ? » par  le signe « oui » avec une intensité corporelle dans le signe qui n’aurait pu mettre en doute son affirmation, si une mimique du visage n’était pas venue contredire sa réponse. 
En connaissant tous ces paramètres dans leurs spécificités chez une personne sourde signante, il est nécessaire pour le coach d’être particulièrement vigilant à la communication non-verbale de son client et à sa propre communication verbale,  notamment lorsqu’il va se  synchroniser avec lui. 

1.2) La synchronisation

Lors d’une séance de coaching le coach se synchronise pour faciliter le rapport collaboratif non seulement avec l’état d’esprit du client (sa disposition d’esprit, son humeur, son état émotionnel…) mais aussi en utilisant d’autres types de synchronisation : le non verbal, para-verbal et verbal. Le coaching avec  un client « Pi-Sourd »  prendra une dimension spécifique, essentielle pour la qualité du rapport collaboratif. Par exemple, pour le para-verbal, le ton, le volume sonore, le rythme de la voix seront remplacés par la vitesse, l’amplitude, la tonicité des signes, l’intensité de l’expression du visage et du corps. Pour le non verbal le coach sera attentif dans la reproduction des gestes, postures et mouvements corporels (tonus musculaire, micro mouvements, respiration…) de son client. 
Ce deuxième type de synchronisation concerne d’autant plus les Sourds, qu’ils ont une sensibilité très accrue au non-verbal et particulièrement au regard, dans le non-verbal. Il est important de prendre en compte que la personne sourde sera extrêmement sensible à ce langage non verbal, car il est pour lui une mine d’informations ! On dit souvent que les Sourds ont un « 6ème sens »  pour « deviner l’autre », comme l’explique Yves Delaporte : « Or il n’y a nul prodige dans les capacités qu’ont les sourds à utiliser leur regard. Simplement, ils sont experts dans l’art de décoder les plus subtils indices visuels, y compris ceux que nous émettons involontairement par notre regard, nos gestes et nos attitudes. Il existe un signe, formellement proche de TRANSPARENT, qui traduit parfaitement cela. Les deux mains doigts écartés, à l’exception des pouces repliés, s’interpénètrent. Précédé du signe SOURD, il peut être traduit par « nous, les sourds, on sait deviner à leur mine ce que valent les gens».5 
Aussi, la personne sourde sera bien souvent très à même de percevoir la sincérité et la congruence  de son coach. Le verbal qui comporte le langage sensoriel, le niveau sémantique, le langage social, le vocabulaire ou encore les expressions auront aussi des particularités. Par exemple le langage sensoriel sera modifié, ainsi les dominantes sensorielles dans les expressions seront kinesthésiques : « je sens » , « touche fini » (qui veut dire signifie « déjà fait, déjà expérimenté »)…,  et visuelles « on verra » « pas au courant » (le signe se situant au niveau de l’œil)… 
A noter que les Sourds ont des difficultés à comprendre les expressions de langue française. Quand-bien même celles-ci sont imagées ; c’est justement parce qu’elles le sont, qu’elles portent à confusion. Ainsi, si un entendant signe « il m’a posé un lapin », la personne sourde signante ne percevra pas le sens de l’expression… mais visuellement verra un lapin posé devant son interlocuteur et s’interrogera sur l’apparition soudaine d’un lapin, dans la conversation. Le niveau sémantique est également existant chez un locuteur en langue des signes, un client « Pi Sourd » pourra avoir un niveau de langue différent d’un autre client « Pi Sourd », ce qui nécessitera une adaptation lors d’un coaching en LSF. Le vocabulaire, soit le lexique de la LSF, n’a pas le même rôle de nuance que dans langue française. 
En effet,  la nuance et toutes les subtilités sont exprimées en Langue des Signes par la simultanéité du signe, de l’expression du corps et du visage dans l’espace de signation. Par exemple la phrase « cette pomme est énorme et savoureuse » pourra être signée avec la main représentant le volume de la pomme, les joues gonflées pour signifier sa grosseur tout en croquant dans la pomme,  le tout accompagné par une expression du visage qui indique que la pomme est délicieuse. Et ceci en un seul geste !  Aussi, le vocabulaire et les synonymes présents dans la française n’ont pas toujours leur équivalence lexicale en Langue des Signes.  Ainsi une pomme  « Savoureuse » « Ayant du goût » ou « délicieuse »   pourra être signé d’une même façon. Le signe « délicieux » existe en LSF mais ne sera pas lexicalement incorporé puisqu’il est déjà signifié dans l’expression du visage. D’ailleurs les différences sémantiques et lexicales entre la langue orale française et la Langue des Signes Française développeront une autre façon, pour le coach, de signifier sa présence dans la relation ou d’agir comme un miroir pour le client afin de l’éclairer  ou de vérifier ce qu’il vient de dire, selon les différentes techniques de reformulation. 
 

1.3) La reformulation

Afin d’être dans l’écoute active de son client, le coach va donc utiliser plusieurs techniques de reformulation : redonner (reprendre mot pour mot et dans le mimétisme de ce que le client vient de dire), suspendre (le coach ne finit pas sa phrase et c’est le client qui complète la phrase en suspens), questionner (reprendre mot pour mot ce qui vient d’être dit par le client mais en rajoutant une forme interrogative), la reformulation ponctuelle ou relance (reprendre les derniers mots de ce qui vient d’être dit par le client), le recadrage (permettre au client d’avoir une prise de conscience, de modifier sa perception de la réalité). 
Avec un client « Pi Sourd » certaines techniques de reformulation seront possibles et d’autres auront des limites ou requerront des adaptations, pour que l’objectif du type de reformulation soit réalisable. 
Lors d’une coaching avec un client sourd, l’utilisation du questionnement, c’est-à-dire reprendre ce que le client vient de dire sous une forme interrogative, ou encore utiliser le recadrage ou une reformulation ponctuelle, étaient identiques à une reformulation avec un client entendant. Cependant, en utilisant les techniques de reformulation  « Redonner » et  « Suspendre», la personne sourde signante a eu consécutivement un regard interrogatif en montrant son incompréhension. Pour exemple, ce client « Pi-Sourd » dit à son coach « Mon père veut tout faire à  ma place, c’est pour ça (avec une expression du visage montrant la déception) ». Le coach utilise la technique de reformulation « Suspendre » pour que le client continue à exprimer sa pensée  « il veut tout faire à ta place, c’est pour ça que… » (mon expression du visage traduisant « et… » pour signifier le « que » en français ». C’est alors qu’il prend physiquement du recul, et regarde son coach intrigué,  et lui dit «oui,  c’est ce que je viens de te dire, il veut tout faire à ma place, c’est pour ça ! » Aussi le coach a reformulé la reformulation en ajoutant « C’est pour ça,  quoi… ? » ce à quoi il a répondu au coach « Ha d’accord, c’est pour cela que nous n’avons pas une bonne relation ».  « Redonner » une phrase peut provoquer exactement la même réaction d’incompréhension dans la communication avec une personne sourde signante car le fait de « Suspendre » ou de « Redonner » offre  une proposition abstraite de continuité ou d’écho, qui n’est pas explicitement formulée pour la personne sourde signante. 
Il s’agit alors d’adapter ce type de  reformulation au fonctionnement de la personne « Pi-Sourd »  et de sa langue en utilisant une autre manière de formuler ces types de reformulation afin qu’elles remplissent leurs rôles.  Il s’agit donc d’une synchronisation dans le langage, d’un ajustement des questionnements, et d’une calibration de la personne sourde, qui, elle aussi, comporte ses spécificités. 

 1.4) La calibration et le VAKOG

Avec la calibration le coach va repérer des indicateurs comportementaux et physiologiques  externes et concrets (signes de nervosité, signes de fatigue, respiration, mouvements oculaires)  pouvant venir confirmer les indicateurs internes du client lorsque les deux indicateurs sont mis en lien. Ainsi, les réactions visuelles (position générale du corps, du visage) auditives (le timbre de voix, le volume, les variations) ou kinesthésiques (tonus musculaire, température) que le coach peut calibrer chez son client  en le regardant, en l’écoutant ou en le touchant, sont observées concrètement et dénuées d’interprétation ou de jugements. Avec la calibration, le coach peut ajuster son questionnement en s’adaptant à son client. Nos facultés de perception sont Visuelles, Auditives, Kinesthésiques, Olfactives, Gustatives. 
Le modèle VAKOG (acronyme des 5 canaux sensoriels) est une technique qui se base sur ce que nous percevons de notre environnement à travers un ou plusieurs de ces cinq sens. Les individus sont majoritairement « Visuels » ou « Auditifs ». Le coach, pour mieux communiquer avec son client, reconnaît la, ou les, perceptions sensorielles dominantes chez lui, en repérant le vocabulaire utilisé par le client, par exemple pour le canal sensoriel Visuel : « je verrai bien, c’est flou pour le moment, je préfère attendre que cela s’éclaircisse… » . Une personne sourde signante est « Visuelle », les Sourds se revendiquent eux-mêmes ainsi. On retrouve d’ailleurs le même vocabulaire ou même expressions que chez les personnes entendantes : « on va voir » « ce n’est pas clair » « je suis dans le flou ». Privées d’un sens, les personnes sourdes disent qu’elles développent en compensation, leur odorat : « Sourds – nez – fort ! ». Avec le VAKOG, le coach peut également s’appuyer sur les mouvements oculaires de son client en partant du fait que, selon son système de représentation sensoriel, le regard se pose en 6 points différents : 
 
Dans le discours des personnes sourdes signantes,  il est fréquemment observable  que ce schéma est modifié, au-delà de l’absence du canal sensoriel auditif. En effet, lorsqu’une question faisant appel à la mémoire d’un fait est posée, la personne Sourde  n’oriente pas son regard en haut à gauche mais au milieu à droite. 
Est-ce parce qu’en Langue des Signes, un axe de temps est placé perpendiculairement à la droite du signeur et donc que la  mémoire oriente ses représentations visuelles sur cet axe ? Pour un dialogue interne, une réflexion  chez la personne sourde signante, le regard ne se pose pas en bas, à gauche, mais le plus souvent vers le sommet du crâne, ou devant, vers un point d’horizon fictif. Est-ce pour se sortir visuellement, de l’espace de signation de la Langue des Signes ?   
Le rapport collaboratif avec une personne sourde signante comporte donc de nombreuses spécificités à prendre en compte du fait que cette personne ait un fonctionnement quasi exclusivement visuel,  que ce soit dans sa langue, dans ses représentations mentales, ou dans son rapport au monde. Pour le coach, comprendre ce fonctionnement spécifique c’est aussi lui permettre d’ajuster son questionnement. 
 

2)  La dimension sémantique dans l’art et la maîtrise du  questionnement avec une personne sourde signante.

Le questionnement est un outil majeur du coaching. L’art du questionnement peut revêtir des subtilités linguistiques de la langue française qui trouveront  leurs limites avec une personne sourde signante, puisqu’elle n’est pas sur le même champ linguistique qu’une personne entendante. Aussi, quelles adaptations linguistiques sont à mettre en place dans l’art du questionnement ? 

 2.1) Sémantique générale  d’Alfred Korzybski

« La carte n’est pas le territoire » c’est une notion qui a été fondée par Alfred Korzybski (1887- 1950), philosophe et mathématicien américano-polonais A.Korzybski a ainsi établi qu’il  y a une différence entre la réalité (le territoire) et la représentation (la carte) que l’on s’en fait. Chaque individu à sa propre carte du monde. Cette carte du monde reste personnelle et unique dans la mesure où elle se construit selon les perceptions sensorielles et en présence de filtres personnels, neurologiques et sociaux-culturels, donc emprunts de la culture, de croyances , de préjugés ou intérêts de l’individu. 
Une personne sourde locutrice de la Langue des Signes aura une perception du monde visuel. Du fait de l’absence d’audition, les informations reçues presque qu’exclusivement par le canal visuel, peuvent parfois être interprétées en dehors d’un contexte qui aura été explicité à l’oral et conduire ainsi à une déformation de la réalité et participer au fondement  de représentations, de croyances dans une  perception du monde différent de celui des entendants. 
Cette perception visuelle du monde aura donc un impact particulier dans l’art du questionnement en coaching.  Qu’il s’agisse de questionner les représentations ou les croyances qui en découlent, ou qu’il s’agisse d’adapter son questionnement au fonctionnement visuel de la personne, et cela même  dans la formulation de  la question. 
En effet, la carte du monde du client « Pi-Sourd » sera visuellement hautement explicitée dans son discours, au-delà des signes (qui sont associés au verbal)  la représentation sera scénarisée, « orchestrée » avec précision dans l’espace de signation, en offrant ainsi à son interlocuteur, « une image » de sa carte du monde. Je me permettrais de dire que cette «  image »  est un « cadeau » d’une richesse précieuse pour le coach dans l’accompagnement de son client. Ce qui implique aussi pour le coach, d’opérer un questionnement qui ne sera plus principalement basé sur le verbal avec toutes les nuances que le vocabulaire que la langue orale comporte,  mais sur la priorité du sens de la question posée en s’adaptant au fonctionnement de la pensée visuelle de son client sourd signant.  « Est-ce que toute pensée est verbale? » Certains disent « oui », d’autres disent « non » (…) Par contre, lorsque nous « pensons » sans mots, ou par images ou par visualisations (ce qui implique une structure et donc, des relations), il nous est possible de découvrir de nouveaux aspects et relations aux niveaux silencieux et par suite de formuler d’importants résultats théoriques dans la recherche générale d’une similarité de structure entre les deux niveaux, le silencieux et le verbal »6. 

2.2) La priorité du sens en LSF

Comme « l’histoire des sourds » le raconte, les Sourds ont dû se battre pendant plusieurs années pour faire reconnaître leur langue car l’un des facteurs retenu à l’époque pour que la LSF ne soit pas considérée comme une langue à part entière était qu’elle n’avait pas de règles grammaticales fixes.   
Cependant la langue des Signes est bien pourvue d’une grammaire. Celle-ci peut toutefois comporter des variations importantes en fonction non seulement de son locuteur, de la façon dont il visualise les choses mais aussi si celui-ci souhaite apporter une attention particulière sur un élément de son discours. La représentation d’une scène  ou d’une idée aura ainsi une infinité de possibilités d’être signer.  Ce qui se rapproche étonnement du courant linguistique de Chomsky, linguiste et philosophe politique, qui a élaboré dans les années 1950 une théorie  selon laquelle tout locuteur à la possibilité de générer une infinité de phrases à partir d’un ensemble fini des règles basées sur une grammaire universelle. 
En Langue des Signes, le sens de ce que l’on veut dire prévaut sur la façon dont on le dit ; cependant la façon dont on le dit influence la compréhension du sens. Ce qui ramène à la nécessité pour le coach, d’adapter son questionnement avec un client Sourd signant, quel que soit le type de question et dans l’ensemble de ses techniques de communication. 
Cette adaptation dans le questionnement et dans les différentes techniques de communication du coach sera également nécessaire dans les outils du coaching afin de permettre au client « Pi-Sourd » de se les approprier. 
 

2.3)  Les outils opérationnels du coaching avec une personne sourde signante

Les outils du coaching comme «  les domaines de vie » ou « ligne de vie » sont très visuels, le client « Pi Sourd » pourra donc facilement  se les approprier. Cependant, les outils comme « les domaines de consciences de Bateson » ou le « Score »  seront plus difficilement saisis du fait que le vocabulaire utilisé n’est pas toujours représentatif pour les personnes Sourdes signantes. 
En effet, être Sourd est un handicap qui concerne uniquement la communication lorsque celle-ci est en présence d’une autre personne qui utilise la langue orale, c’est aussi être confronté à « un environnement entendant » qui fonctionne avec la langue française qui diffère totalement de la Langue des Signes Française. Une langue française  qui aura un autre impact, en fonction du niveau d’acquisition du français chez la personne Sourde : la lecture et l’écriture. 
En 1998, le rapport Gillot sur « le droit des sourds » mentionne que 80% des sourds profonds sont illettrés. La croyance des entendants sur le fait qu’un Sourd, dans la mesure où il a un accès visuel à l’information, qu’il peut lire et écrire, est toutefois largement répandue. 
Cependant en fonction du mode de communication de la personne sourde,  l’accès à la lecture et à l’écriture peut être d’une réalité différente. Les Sourds locuteurs de la Langue des Signes ont, pour la plupart d’entre eux, un rapport difficile avec  la lecture et l’écriture. En effet, l’acquisition de la lecture et de l’écriture se fait à la fois par le canal visuel et auditif ; de plus, la syntaxe de la langue française est différente de celle de la Langue des Signes Française. Ce qui signifie que les personnes Sourdes, dont le mode de communication est la LSF, doivent s’adapter à une autre langue, que ce soit dans la réception ou l’émission d’un message écrit (ou orale lorsqu’il y a une lecture labiale). Aussi, des phrases complexes ou à forte abstraction, peuvent, en fonction du niveau d’acquisition de la langue Française de la personne Sourde, être peu, ou pas du tout, comprises. 
C’est pourquoi coacher une personne Sourde qui ne maîtrise pas ou peu la lecture et l’écriture nécessite une adaptation visuelle des supports des outils du coaching afin de permettre au client une accessibilité mais aussi une communication plus fluide entre le coach et le client, pour un  coaching plus efficient.

Conclusion

 
La surdité est un sujet complexe et riche. Lorsqu’on est entendant  et que l’on s’intéresse à la surdité et particulièrement  au « monde des Sourds (que cela soit dans une démarche professionnelle ou personnelle), il faut s’interroger sur un mode de fonctionnement différent et une langue différente.  Le coaching avec une personne « Pi-Sourd » inclut donc logiquement cette complexité et cette richesse de la différence. 
Dans sa globalité, le coaching avec une personne « Pi-Sourd » comporte  une prise en compte de ses spécificités et de multiples adaptations de la part du coach pour que le processus de coaching soit efficient. Avoir connaissance des principales particularités que l’on rencontre dans un coaching avec une personne « Pi-Sourd » permet de porter un regard averti et éclairé  dans la pratique du coaching, que ce soit sur les différences possibles dans le processus de coaching ou dans le rapport collaboratif que le coach entretien avec son client. 
Si la pratique du coaching avec un client « Pi Sourd » est remplie de richesses par l’aspect unique qu’elle revêt, elle comporte aussi ses limites, notamment dans la différence de langue entre le français et la LSF. Il peut y avoir une difficulté de  perception des subtilités sémantiques présentes dans les techniques de questionnement du coach  et une difficulté à s’approprier le vocabulaire utilisé dans les outils opérationnels du coaching.  Est-ce que tous les outils sont adaptables ? Est-ce que l’adaptation d’un outil rendra celui-ci systématiquement fonctionnel d’un client  Sourd à un autre ?  Le coach doit-il trouver d’autres stratégies qui correspondent au fonctionnement de son client afin que celui-ci puisse faire son cheminement ?   

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