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Numéro 5 01/2018 Numéros

Comprendre la procrastination académique dysfonctionnelle

La procrastination, tendance à remettre au lendemain, affecte bon nombre de jeunes au sein de leur parcours scolaire et universitaire. Dans cet article seront tout d’abord mises en avant les formes que peut prendre ce comportement, sur la base notamment de témoignages. Dans un deuxième temps, seront présentées les causes susceptibles de conduire à un tel comportement

Caroline Potelle
Première publication le 25/01/2018 – Article de recherche


Résumé

La procrastination, tendance à remettre au lendemain, affecte bon nombre de jeunes au sein de leur parcours scolaire et universitaire. Dans cet article seront tout d’abord mises en avant les formes que peut prendre ce comportement, sur la base notamment de témoignages. Dans un deuxième temps, seront présentées les causes susceptibles de conduire à un tel comportement, qu’elles soient d’ordre situationnel (utilisation d’internet et des réseaux sociaux, situation d’évaluation,…) ou liées à la personne (estime de soi, motivation, perfectionnisme, croyances,…).
Mots clefs : procrastination, étudiants, mécanismes

Abstract

Procrastination consists in postponing tasks and is quite common among students which can affect their performances. Thus we will focus on how this behavior occurs, thanks to students’ testimonials. Then we will point out the reasons why the students adopt this behavior, taking into account the context (internet and social medias use, situation of evaluation,…) and the students themselves (self-esteem, motivation, perfectionism, beliefs,…).
Keywords : procrastination, students, mechanisms


Introduction

« Je vais le faire, mais… pas maintenant… » : voilà ce qui pourrait s’apparenter à un leitmotiv des personnes ayant tendance à la procrastination.
Chez un étudiant, cela pourrait être : « Mon examen est dans un mois, j’ai encore le temps avant de me mettre à réviser… ».
Le mot « procrastination » trouve son origine dans le latin « pro » qui signifie « en avant » et « crastinus » qui veut dire « du lendemain ». Il désigne un comportement qui consiste à remettre à plus tard, de manière intentionnelle, ce qui pourrait et/ou devrait être fait le jour même, cela même si l’ajournement de l’action peut être à l’origine de conséquences préjudiciables. Ce comportement n’est pas nouveau puisque, Cicéron, homme politique et philosophe de la Rome antique, affirmait déjà que « dans la conduite de quasiment toutes les affaires, la lenteur et la procrastination sont haïssables » (Steel, 2007, p.66-67).
Aujourd’hui, la procrastination semble être un comportement très fréquent qui a fait l’objet de nombreuses études depuis plus de trente ans et qui peut concerner de multiples domaines. Une journée mondiale de la procrastination fixée au 25 mars a même été décrétée en 2010!
Ainsi, ce comportement peut s’exprimer dans les tâches du quotidien (report du tri de vêtements, du rangement du garage,…), dans le domaine de la santé (report de l’arrêt de la cigarette), dans le rapport au temps (retards à répétition,…), dans le monde professionnel (report de la rédaction d’une réponse à un appel d’offres) ou dans le domaine scolaire. Dans ce dernier cas, la procrastination, dite académique, s’avère très répandue puisque des études réalisées révèlent que 80 à 95 % des étudiants universitaires américains se sentent concernés par la procrastination, que près de 75 % d’entre eux se considèrent comme procrastinateurs et qu’environ 50 % (chiffre variable selon les études mais restant compris entre 20% et 50%) estiment procrastiner de manière récurrente et problématique (cité dans Steel, 2007, p.65).
La procrastination académique, outre le fait de générer un sentiment d’inconfort au quotidien, peut aussi engendrer de multiples problèmes lorsque ce comportement est généralisé voire hors de contrôle : stress, dégradation de l’image de soi, des relations avec les autres et/ou de la qualité du travail et menace quant à la réussite académique. Des études ont en effet mis en exergue une corrélation négative entre la tendance à la procrastination et la réussite académique (Osiurak et al, 2015, p.20, Kyung Ryund et Eun Hee, 2015, p.26).
Par ailleurs, la procrastination au sens large et en particulier la procrastination académique, est souvent perçue comme la conséquence d’une mauvaise gestion du temps alors qu’elle peut s’avérer plus complexe et révéler des difficultés d’un autre ordre.
Qu’est-ce qui se cache derrière la procrastination académique ? Quelles en sont les manifestations possibles? Quelles peuvent en être les causes ? Les paragraphes qui suivent ont pour objectif de faire la lumière sur ces points.

De quoi parle-t-on ? Un peu de théorie…

La procrastination : rationnelle ou dysfonctionnelle ?
Différentes nuances peuvent se dessiner concernant la procrastination. Selon Koeltz (2006, partie 1, chap.2 1. Indication de chapitres, la source étant un e-book sans spécification des numéros de page de la version papier de l’ouvrage. ), médecin et thérapeute comportementaliste, celle-ci peut en effet être avisée, c’est-à-dire que la personne fait des choix raisonnés et mesurés de reports d’actions présentant un degré d’importance moindre ou qui peuvent attendre : l’ajournement de l’action est contrôlé.
En revanche, la procrastination devient problématique lorsqu’elle engendre un report récurrent d’actions importantes au profit de tâches plus accessoires, accompagné d’un sentiment d’absence de maîtrise de son propre comportement. Cela peut être le cas d’un étudiant bien décidé à se lancer dans la rédaction d’une dissertation à rendre pour le lendemain qui finalement opte d’abord pour le rangement de son bureau ou la mise à jour de ses mails avant de se mettre à travailler. Le temps passé au rangement ou sur sa messagerie réduit celui disponible pour la dissertation au point que celle-ci est rédigée dans l’urgence ou… pas faite du tout. Dans ce genre de cas, la personne, la plupart du temps consciente de son comportement de procrastination mais ne parvenant pas à le contrôler, peut ressentir de la culpabilité, de la frustration, un certain découragement, du stress voire de la colère et être amenée à se dévaloriser. J. Ferrari et W. Mc Cown (cités dans Koeltz, 2006, partie 1, chap.2) définissent la procrastination dysfonctionnelle comme « une attente au-delà du moment optimal pour la réalisation d’une tâche importante et incontournable qui n’implique pas d’efforts personnels déraisonnablement coûteux pour être réalisée ».
Se pose alors la question de la frontière entre procrastination avisée et dysfonctionnelle. Un paramètre majeur à prendre en compte est la perception qu’en a l’étudiant : considère-t-il ce comportement comme problématique ? Ou est-ce que finalement, ce comportement serait principalement reproché par l’entourage (parents par exemple) et que l’étudiant quant à lui s’en accommoderait ?  Souhaite-t-il le modifier ? Estime-t-il que les coûts liés au report de l’action dépassent les bénéfices ? Si les réponses sont positives, d’autres critères peuvent être pris en compte, à savoir la fréquence du comportement, les caractéristiques des actions reportées (type et importance des tâches), les conséquences du report et le contexte dans lequel ce report apparaît.
Les étapes de la procrastination
Les étapes de la procrastination ont été décrites par Albert Ellis (cité dans Koeltz, 2006, partie 1, chap.4), psychologue américain considéré comme l’un des pères des thérapies cognitives et comportementales. Elles sont décrites ci-après :

Il est évident que lors de périodes où l’emploi du temps est très chargé, le report d’actions apparaît presque inévitable et chacun d’entre nous peut se retrouver dans certains cas dans cette succession d’étapes.
Cependant, pour certains étudiants, il devient une façon de fonctionner, presque systématisée au point devenir une véritable dépendance comportementale de laquelle ils peuvent vouloir sortir, au regard de conséquences potentielles importantes comme un échec à un examen.
Ces étudiants se retrouvent alors malgré eux face à un conflit intérieur récurrent entre « je dois le faire » et « je ne le fais pas ». Ces propos peuvent être étayés sur la base de témoignages recueillis afin d’illustrer cette approche théorique de la procrastination.
Illustration à travers des témoignages
A noter que dans les témoignages qui suivent, les prénoms ont été modifiés afin de garantir la confidentialité des propos recueillis.
Témoignage de Justine 
Justine est étudiante en première année de BTS.
A la question « Qu’est-ce qui te fait dire que tu procrastines ? », elle répond que « quand elle a quelque chose à faire, elle le repousse, que ce soit important ou pas ».
Les faits :
Justine dit procrastiner dans tous les domaines : personnel, décisionnel, académique. Au niveau personnel, elle cite l’exemple du rangement chez elle : « tant que ce n’est pas critique », elle se dit que cela peut encore attendre, une « flemme au départ » l’empêchant de se mettre à l’action. Au niveau décisionnel, elle évoque le fait de décider de prendre un rendez-vous chez le médecin : il s’agit d’une démarche qu’elle n’aime pas faire, et donc reporte régulièrement. Au niveau académique, elle attend très souvent le dernier moment pour réaliser un exposé ou réviser avant un examen. Elle se dit régulièrement « j’ai le temps » jusqu’à ce qu’elle se retrouve au pied du mur…
Pour son Baccalauréat, elle explique qu’elle avait en début d’année prévu de faire des fiches de révision au fur et à mesure des cours. Elle a reporté à maintes reprises cette action et a commencé à apprendre ses cours et à rédiger des fiches un mois avant l’examen, sous la pression de ses parents et de certains amis.  Plus le temps avançait, plus elle se décourageait à l’idée de la masse de travail qui l’attendait, plus elle repoussait le moment de s’y mettre et se retrouvait ainsi dans un cercle vicieux. Elle qualifie les résultats obtenus (Bac sans mention) de « moyens », en tout cas bien inférieurs à ce qu’elle aurait été capable de faire et source de déception. Cet exemple au niveau scolaire est selon elle représentatif de son comportement procrastinateur.
Un report d’actions pouvant être conscient ou non :
Justine explique qu’elle reporte parfois ce qu’elle a à faire de manière consciente et que d’autres fois, les choses lui échappent : elle a beau faire des listes d’actions à mener, il lui arrive « d’oublier ce qu’[elle] a à faire ». Elle cite des documents administratifs à rendre au secrétariat de son école : elle a l’intention de le faire, mais reporte momentanément en se disant qu’elle choisit d’abord de faire des photocopies ou d’envoyer un mail, « ce qui sera vite fait » et elle finit subrepticement par se consacrer à autre chose et oublie son intention de départ. Elle précise que dans le cas où elle repousse consciemment une action, c’est en général pour se consacrer à une autre dans laquelle elle trouve du plaisir comme faire du sport ou passer du temps sur les réseaux sociaux à échanger avec ses ami(e)s ou tout simplement pour « ne rien faire et traîner ». Il lui arrive également de reporter une tâche scolaire au profit d’une autre qui lui apparaît plus rapide à effectuer.
Ses pensées et ressentis :
Au moment des examens cependant ou des rendus de travaux faits à la maison, elle ne se sent pas bien, se dit qu’elle aurait dû se mettre à travailler plus tôt, que « la prochaine fois, elle s’y prendra autrement » et ressent de la frustration et de la culpabilité.
Aujourd’hui, Justine souhaite « sortir de ce cercle vicieux mais n’y arrive pas » : elle craint que cela ne lui pose de sérieux problèmes dans sa vie professionnelle et personnelle future. Elle sature de se retrouver constamment au pied du mur, de ne pas régler les choses au fur et à mesure et de les laisser s’accumuler.
Les causes :
Justine estime qu’un manque de motivation est souvent à l’origine de sa procrastination : elle précise qu’elle a choisi une filière scientifique par défaut et qu’il lui a été difficile de trouver une motivation pour réviser le Baccalauréat. De même elle s’est orientée sur une école axée sur l’environnement et le développement durable « pour dire de faire quelque chose » mais sans grande conviction, ce qui selon elle nuit probablement à son investissement dans le travail scolaire.
Ce qu’elle fait pour lutter contre la procrastination :
Au niveau personnel, Justine écrit des listes de tâches à effectuer en indiquant un temps imparti pour chacune d’elles et essaie de faire quelque chose qui lui plaît en même temps qu’une tâche « ingrate » comme regarder une série TV et faire du rangement entre les épisodes. Au niveau scolaire, elle n’a pas de réelle solution, même si elle dit s’efforcer de trouver un intérêt dans les matières qui composent son programme et de faire des liens    entre elles.
Témoignage de Sébastien 
Sébastien est un lycéen en classe de première. Son témoignage présente un certain nombre de similitudes avec celui de Justine. Sébastien estime également procrastiner dans tous les domaines. Il explique ce comportement par un manque de motivation quant à l’action à accomplir, de concentration et d’envie de faire des efforts. Il dit être très facilement distrait et donc détourné de son intention de travailler et évoque notamment le fait de partir dans ses pensées et surtout le temps passé sur Facebook : il s’y retrouve littéralement happé au fil des articles et liens proposés et passe beaucoup plus de temps que prévu sur ce réseau social.
Pour son Bac blanc de français, la procrastination l’a amené à réviser correctement quatre textes sur dix, moyennement cinq textes et à très peu réviser un des dix textes, faute de temps. Il a été interrogé sur ce dernier texte, ce qui lui a valu des notes autour de la moyenne, selon lui bien en-deçà de ses capacités. De telles situations génèrent pour lui stress, regrets (« j’aurais dû m’y mettre avant ») et le conduisent à fournir un « travail d’une qualité qui ne le satisfait pas ». Sébastien souhaite « réussir à s’y mettre à l’avance », ce qui lui apporterait « moins de stress, plus de liberté, l’impression d’avoir une vie plus stable et plus contrôlée, moins subie » dans le sens où cela lui permettrait d’avoir la maîtrise du moment où il s’attèlerait à la tâche plutôt que « de se retrouver dans une situation d’obligation, au dernier moment » qui ne lui convient pas.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des éléments présentés illustrent la réalité vécue par ces étudiants à travers leur comportement procrastinateur et montrent à quel point celle-ci peut se révéler auto-handicapante et dérangeante. Justine comme Sébastien évoquent un comportement qui leur échappe et qu’ils souhaiteraient changer.
Outre le manque de motivation vis-à-vis de la tâche à accomplir et/ou la distraction facile évoqués en première approche à travers ces témoignages, quels sont les facteurs susceptibles d’amener les étudiants à reporter les actions à mener ?

Mécanismes en jeu dans la procrastination

Certaines personnes vont avoir tendance à procrastiner sur des tâches particulières : il s’agit alors de procrastination « situationnelle », liée au contexte dans lequel la personne évolue, tandis que d’autres au contraire auront ce comportement de report dans la plupart des sphères de leur vie : on parle dans ce cas de procrastination « dispositionnelle », c’est-à-dire liée entre autres aux traits de la personnalité. Ces deux approches ne sont pas forcément indépendantes et peuvent être entremêlées selon les cas, afin d’expliquer un comportement procrastinateur dans sa globalité.

Approche situationnelle

Cette approche s’intéresse donc aux facteurs liés au contexte favorisant la procrastination.

Caractéristiques des tâches reportées

Il semble sans surprise que plus une tâche apparaît difficile, déplaisante, ennuyante ou manquant d’intérêt, plus la tendance à la procrastination sera grande. C’était le cas de Justine et Sébastien qui ont tous deux indiqué qu’il leur était plus séduisant de se divertir sur les réseaux sociaux que de se mettre à travailler sur un exposé sur un sujet plus ou moins motivant ! De manière générale, les lycéens/étudiants sont d’autant plus susceptibles de se retrouver face à ces cas de figure que le nombre de tâches académiques est important et diversifié. Ce paramètre influençant la procrastination est éminemment subjectif et peut être relié à celui de la motivation évoqué plus loin.

Situation d’évaluation

A. Martin, dans son étude prospective de la procrastination académique (1999), mentionne plusieurs études ayant établi que les étudiants avaient tendance à faire davantage de procrastination vis-à-vis de tâches prévues d’être évaluées comparativement à d’autres qui ne le seraient pas, ce qui peut être associé à une peur du jugement.

Procrastination et paramètre temps

Selon Koeltz (partie 3, chap.3), la perception erronée du temps n’est pas une cause en tant que telle de la procrastination mais plutôt un facteur amplificateur (dans le sens où l’on ne peut se contenter d’expliquer la procrastination à partir de ce seul paramètre), à travers deux aspects :

  • la tendance pour la plupart des procrastinateurs à la sous-estimation du temps nécessaire à la réalisation d’une tâche donnée,
  • et par conséquent la sur-estimation du nombre de tâches réalisables dans un temps donné, ce qui conduit à la procrastination.

Cependant, il convient de garder à l’esprit qu’il s’agit là de tendances qui ne peuvent être représentatives de l’ensemble des lycéens/étudiants sujets à la procrastination.
Les personnes sujettes à la procrastination peuvent avoir tendance à céder à la tentation des plaisirs immédiats. Prenons l’exemple d’un lycéen en Terminale qui décide de travailler régulièrement ses cours de façon à maximiser ses chances de réussite au Baccalauréat. La récompense qu’il tirera de son travail régulier est la réussite à son examen, qui aura lieu dans quelques mois ou en tout cas l’augmentation de ses chances de réussite : la récompense est donc différée dans le temps. Au moment de se mettre au travail, il est tenté de surfer sur Facebook, ce qui lui procurera une sensation de plaisir qui dans ce cas sera instantanée. De nombreux comportements procrastinateurs sont constatés dans ce genre de situations où s’affrontent une récompense importante mais différée et une satisfaction plus réduite mais immédiate.
Les témoignages de Justine et Sébastien vont dans ce sens : ils ont tous deux souligné le fait de reporter une tâche académique par une activité qu’ils « apprécient plus ». Il semblerait que plus une récompense est éloignée dans le temps, plus sa valeur, son poids seraient diminués. A l’inverse, plus elle est proche dans le temps, plus elle aura de poids et donc d’effet sur le comportement de procrastination. Cela peut paraître paradoxal au premier abord, dans le cas précité, l’avantage à moyen terme étant plus important que celui à très court terme, comme l’indique le tableau ci-après :

Le paramètre temps est plus ou moins inconsciemment intégré par l’étudiant procrastinateur pourtant lucide quant aux conséquences positives et négatives à court et moyen terme du report de l’action. Il tend à privilégier l’immédiateté par rapport aux perspectives à plus ou moins long terme.
Par ailleurs, Koeltz (2006, partie 2, chap.2) explique que quand un comportement, en l’occurrence le report d’une tâche, a des conséquences positives (comme se consacrer à une action plus agréable), il a tendance à se reproduire, d’où un phénomène de renforcement. La procrastination apparaît alors comme la résultante de facteurs déclenchants mais également de facteurs de maintien.

Utilisation d’internet et des réseaux sociaux

Aujourd’hui, l’omniprésence d’internet dans notre société n’est plus à démontrer. Au niveau académique, le recours à internet pour l’apprentissage et la recherche d’informations est devenu incontournable et largement favorisé par un accès facile et rapide via smartphones, tablettes et ordinateurs. L’utilisation d’internet est d’ailleurs la plus élevée chez les 16-24 ans (Öztürk et Al., 2007 cité dans Odaci 2011, p.1109).
Là encore, différentes études menées sur la base d’enquêtes statistiques (Lavoie et Pychyl, 2001, p.431) ont mis en évidence le lien entre l’utilisation d’internet et la procrastination. En effet, lorsqu’un lycéen/étudiant décide de se mettre au travail, il peut accéder en quelques clics à de multiples sources de distraction via internet qui en apparence ne sont pas forcément chronophages : vérifier ses e-mails ou son compte Facebook peut ne prendre que quelques minutes, ce qui lui permet de justifier aisément ce détournement de l’action initiale. Le risque est qu’il se retrouve à surfer sur le web sans se rendre compte du temps qui passe et qu’il soit de ce fait amené à reporter la tâche qu’il avait prévue initialement de faire, faute de temps. Les témoignages de Justine et Sébastien ont mis en évidence cette attractivité des réseaux sociaux qui sont pour eux une importante source de distraction au quotidien…
De manière générale, l’hyperconnexion et l’accès à des informations et sollicitations surabondantes à travers les mails, les réseaux sociaux ou autres médias constituent des sources de distraction omniprésentes favorisant les comportements procrastinateurs chez les lycéens et étudiants d’aujourd’hui.
Cependant, face à ces éléments de contexte susceptibles de conduire à la procrastination, tous les lycéens/étudiants ne vont pas pour autant adopter un comportement procrastinateur. D’autres facteurs peuvent en effet être liés à la personne.

Approche dispositionnelle

Procrastination et traits de personnalité

La procrastination académique semble présenter de multiples facettes et résulte souvent d’une combinaison de facteurs déclenchants et d’entretien, variables d’une personne à l’autre. Les principaux facteurs en lien avec la personne et susceptibles d’être en relation avec la procrastination sont présentés ci-après :

Estime de soi

L’estime de soi est un vaste sujet… Dans le cas présent, l’idée est d’aborder le lien avec la procrastination académique.
Plusieurs études (dont Osiurak et al., 2015, p.30-31) ont en effet mis en évidence le fait qu’une faible estime de soi peut avoir un impact sur la procrastination. En effet, un lycéen/étudiant présentant une faible estime de soi peut craindre de se retrouver confronté à un échec qui serait synonyme pour lui de remise en cause de sa valeur personnelle. Reporter constamment ses révisions pour un examen jusqu’à la dernière minute pourra, en cas de mauvais résultats, lui fournir une excuse (« c’est parce que je m’y suis pris trop tard, je n’ai pas eu le temps de réviser correctement ! ») lui évitant de remettre en cause ses compétences. Cette stratégie d’autohandicap lui permettra peut-être de protéger une estime de soi fragile mais ne l’amènera probablement pas à augmenter ses compétences et donc l’estime de lui-même. La relation  estime de soi / procrastination peut ainsi conduire à un cercle vicieux, comme le montre le schéma suivant :

L’estime de soi peut également être fragilisée par le fait que les lycéens ou étudiants peuvent s’auto-punir : « Je ne peux pas me permettre de sortir ce week-end, je n’ai pas travaillé ». Cela accentue leur culpabilité et peut renforcer le cercle vicieux évoqué.
L’estime de soi apparaîtrait comme une variable possible pour expliquer un comportement de procrastination même si l’importance de ce facteur est discutée selon les études menées.

Perfectionnisme

Les diverses études menées sur le lien éventuel entre perfectionnisme et procrastination académique présentent des résultats divergents. Certaines considèrent en effet que le perfectionnisme peut être particulièrement moteur et que les étudiants dans ce cas sont en mesure de développer maints efforts pour atteindre un objectif ambitieux qu’ils se fixent et n’ont par conséquent pas tendance à reporter les tâches à effectuer.
D’autres au contraire estiment que la poursuite de standards de performance particulièrement élevés peut générer des doutes quant à la capacité à les atteindre et ainsi favoriser un comportement de procrastination. Dans ce cas, le perfectionnisme serait lié à la procrastination académique. Cependant, les étudiants perfectionnistes n’ont pas tous tendance à procrastiner, ce qui s’expliquerait par le degré de perfectionnisme dont fait preuve l’étudiant.
Todorov et Bazinet (1996, p.291-297), psychiatres ayant travaillé sur le concept de perfectionnisme, insistent sur la distinction entre un perfectionnisme normal, potentiellement moteur, et un perfectionnisme pathologique, pouvant être inhibant, sur la base de plusieurs critères. Ainsi les individus faisant preuve d’un perfectionnisme pathologique suivraient la philosophie du « tout ou rien » selon laquelle si un travail n’est pas parfait, il est inutile. Ils auraient notamment :

  • un degré d’exigence difficile voire impossible à atteindre,
  • des difficultés à accepter leurs propres limites,
  • des doutes presque obsessionnels sur la qualité,
  • une tendance à se dévaluer de manière significative face aux erreurs vécues comme des échecs.

Les études suggérant un lien positif entre le perfectionnisme et la procrastination soulignent le fait qu’un perfectionnisme excessif peut le plus souvent conduire l’étudiant à chercher à répondre à des exigences qui seraient comme dictées par les autres à travers les « il faut » ou « je dois ». Ce serait par exemple le cas de l’étudiant qui reporterait la définition du sujet d’un mémoire à rendre et donc la rédaction de ce dernier, car à la recherche DU thème qui lui permettrait de réaliser un rapport quasi irréprochable. L’étudiant faisant preuve d’un perfectionnisme pathologique peut également préférer repousser le travail à effectuer pour ne pas risquer l’échec.
Cependant, il est important de souligner qu’entre un étudiant faisant preuve d’un perfectionnisme moteur et un autre pour lequel ce dernier peut être inhibant, tous les intermédiaires sont possibles : il convient d’être vigilant à ne pas restreindre le perfectionnisme à deux catégories (« normal » et « pathologique »).

Résistance aux autres

La procrastination peut également être le reflet d’une résistance aux autres, face à un surplus d’obligations jalonnant le quotidien. Au niveau académique, la multitude de tâches à effectuer quotidiennement peut conduire le lycéen/étudiant à un rejet des contraintes et des injonctions émises par les enseignants. Le fait de reporter une tâche à effectuer et de continuer à reporter ce qui l’a été jusqu’à parfois ne pas réaliser le travail attendu peut s’apparenter à une forme de résistance à l’autorité.

Autres facteurs (degré de maximation, recherche d’une stimulation)

Les facteurs cités précédemment et susceptibles d’avoir un impact sur le comportement de procrastination ne sont pas exhaustifs. Les recherches sur ce thème sont nombreuses et de récentes études s’intéressent à d’autres causes telles que le degré de maximation (Osiurak et al., 2015, p.22) : face à une situation de choix, certains étudiants viseraient la meilleure option (= solution maximale) impliquant un coût cognitif et temporel important afin de déterminer activement la décision la plus rationnelle (comme lire bon nombre d’ouvrages avant de déterminer un sujet de mémoire). Au contraire, d’autres se tourneraient plutôt vers la solution apparaissant la plus satisfaisante (= solution optimale), moins coûteuse en temps et cognitions (comme parcourir un ou deux livres pour déterminer un sujet de mémoire si l’on reprend l’exemple précédent). Les élèves ayant une tendance à « maximiser » pourraient avoir plus de difficultés à démarrer un travail académique et donc procrastiner.
Mais ce paramètre n’est-il pas à relier finalement avec le perfectionnisme ? Ou à l’indécision (procrastination décisionnelle), l’étudiant cherchant à avoir un degré d’informations et de certitudes élevé avant de se décider ?
Par ailleurs, pour certains, le fait de reporter au dernier moment la réalisation d’une tâche académique peut être animée par la recherche de sensations fortes, d’une stimulation, donnant l’impression d’une meilleure efficacité en étant sous pression, au pied du mur. Ce comportement qui amène à travailler dans l’urgence, bien qu’énergivore, ne tend-il pas d’ailleurs à être valorisé socialement ? N’est-il pas bien vu d’apparaître débordé et donc potentiellement important ? 

Procrastination et motivation

Justine et Sébastien ont tous deux spontanément cité le manque de motivation vis-à-vis du travail à effectuer comme étant selon eux la principale cause de leur tendance aux reports de ce dernier, Justine ayant même spécifié faire un BTS dans l’environnement et le développement durable « histoire de faire quelque chose ».
Selon Vallerand et Thill (cité dans Fenouillet, 2001, chap.3), « le concept de motivation représente le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement ».
Différentes études ont cherché à préciser ce lien entre motivation et procrastination, sur la base de la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2008, p.25-27) notamment, qui distingue plusieurs types de motivation :

  • la motivation intrinsèque: dans ce cas, une action est conduite pour le plaisir et la satisfaction qu’elle procure. La personne est intéressée par ce qu’elle fait et manifeste de la curiosité. En milieu scolaire, elle peut être intimement liée à la sensation de compétences,
  • la motivation extrinsèque: l’action est menée sous l’influence d’éléments extérieurs à l’individu (récompense, punition, pression sociale,…),
  • l’amotivation: correspond à un état de très faible motivation, quand la personne n’établit pas de lien entre ses actions et les résultats obtenus.

Sénécal et al. (cité dans Osiurak et al., 2015, p.22) ont ainsi mis en évidence, sur la base d’enquêtes statistiques auprès de plusieurs centaines d’étudiants, une corrélation positive entre motivation extrinsèque et procrastination c’est-à-dire que lorsqu’un lycéen/étudiant est motivé uniquement de façon externe (cas du lycéen qui vise une certaine mention au Bac pour faire plaisir à ses parents), seule la proximité temporelle avec l’examen va potentiellement l’inciter à réviser.
Au contraire, un étudiant motivé de façon intrinsèque aura moins tendance à procrastiner et sera porté par une certaine curiosité, la persévérance, la recherche de performance etc. Mais dans notre système éducatif où l’acquisition de connaissances est essentiellement évaluée par des notes (et également par la reconnaissance sociale), les possibilités d’expression de la motivation intrinsèque ne sont-elles pas réduites ?
Sans rentrer dans le détail de la théorie de l’autodétermination, il est intéressant de mentionner que l’évolution de cette dernière a conduit ses auteurs à définir différents degrés d’autodétermination relatifs à la motivation extrinsèque, ces derniers étant les suivants, avec un ordre croissant d’autodétermination :

  • la régulation externe: basée sur des sources de contrôles extérieures (cas de l’étudiant qui travaille pour ses parents),
  • la régulation introjectée: renvoie à une intériorisation partielle des sources de contrôle qui sont extérieures. L’étudiant intègre cette source de contrôle mais sans y adhérer totalement dans le sens où en l’absence de celle-ci, il se comporterait différemment (cas de l’étudiant qui se met au travail après avoir culpabilisé de ne pas avoir commencé ses révisions),

Ces deux premières formes de motivation extrinsèque constituent une motivation dite « contrôlée ».

  • la régulation identifiée: l’action dépend de sources de contrôle extérieures mais elle est importante, a de la valeur pour l’étudiant qui va alors s’identifier à cette action et avoir un comportement qui lui permettra d’atteindre un objectif qui lui est personnel (cas de l’étudiant qui travaille pour réussir ses examens de façon à pouvoir réaliser le métier qu’il souhaite),
  • la régulation intégrée: l’étudiant a un comportement complètement autodéterminé et se régule de façon à être cohérent avec ses valeurs et aspirations profondes (cas de l’étudiant qui s’investit de façon à pouvoir exercer le métier de médecin sans frontière qui répond à ses aspirations d’altruisme et de solidarité et contribue à son développement personnel).

Ces deux autres formes de motivation extrinsèque constituent quant à elles une motivation dite « autonome ».
La figure suivante positionne les différentes formes de motivation définies dans la théorie exposée selon le degré d’autodétermination :

Les études menées révèlent que la procrastination académique est principalement conditionnée par des sources de contrôle extérieures (Osiurak et al, 2015, p.30) voire par une difficulté des lycéens/étudiants à faire le lien entre ce qu’ils font dans le cadre de leurs études et l’intérêt que cela peut avoir pour eux par la suite. Moins la motivation serait autonome, plus la tendance à la procrastination serait importante.
Dans le cas de Justine, qui reporte constamment les tâches académiques et explique avoir choisi ses études par défaut et avoir révisé son Bac sous la pression de ses parents, la motivation peut être qualifiée d’extrinsèque, à régulation externe, donc avec une faible autodétermination, ce qui, dans son cas, tend à corroborer les résultats exposés.

Notion d’autorégulation

L’autorégulation est un processus qui permet un ajustement des comportements pouvant entraver l’initiation d’une action décidée  et/ou la poursuite de celle-ci.
Les paragraphes précédents ont évoqué le fait qu’un manque de motivation et/ou le caractère aversif d’une tâche et/ou encore la tentation de céder à des plaisirs immédiats (réseaux sociaux et autres) peuvent conduire un lycéen/étudiant à reporter le travail académique.
Ainsi, pour parvenir à s’atteler à la rédaction d’un devoir, l’étudiant va devoir dépasser le fait que ce dernier puisse le rebuter, c’est-à-dire gérer un affect négatif et, une fois dans l’action, ne pas se laisser perturber par des sources de distraction (internet par exemple) ou par des stimuli intérieurs comme la fatigue. L’autorégulation permet une forme de contrôle sur les comportements et de se concentrer sur l’objectif défini (à savoir rédiger le devoir) sans se laisser détourner par des ressentis, pensées ou émotions. Elle est à mettre en relation avec une gestion des émotions.
Un déficit d’autorégulation augmenterait ainsi la tendance à la procrastination. Cela peut entre autres expliquer le comportement de Sébastien, qui explique être très facilement détourné de son intention de départ (réaliser ses devoirs) par différentes sources de distraction (pensées, internet,…) qu’il n’arrive pas à mettre de côté et qui le conduisent à procrastiner.

Procrastination et croyances

Bon nombre de croyances peuvent conduire à la procrastination, telles que « J’ai toujours travaillé à la dernière minute jusqu’à présent et je m’en suis toujours sorti(e) », « Je ne suis pas dans le bon état d’esprit pour me mettre à mon devoir de philosophie. Ça ira mieux demain », « Je suis plus efficace quand je suis sous pression » ou encore « De toute façon, je rate toujours tout ».
Albert Ellis (cité dans Koeltz, 2006, partie 2, chap.6), psychologue américain et pionnier des approches cognitives, a établi un modèle simple illustrant le lien entre une situation, les pensées d’un individu et le comportement qu’il va adopter. Selon lui, un comportement n’est pas induit directement par une situation activatrice mais implique un intermédiaire que sont les pensées associées aux croyances sur la situation.
Pour la procrastination académique, cet enchaînement peut être illustré comme suit :
Activation : je dois rédiger une lettre de motivation pour intégrer une école de commerce.
Croyance, pensée : ma lettre doit être parfaite, sinon, je risque d’être mal jugé(e) et ne serai pas convoqué(e) pour un entretien.
Conséquences/comportement : je ne sais pas par comment m’y prendre, je ne vais pas y arriver, je bloque : je reporte le moment de la rédaction de cette lettre et continue de reporter.
Or, les croyances limitantes (telles que « je ne serai pas capable de ») peuvent être à l’origine d’un comportement mal adapté qui tend à s’auto-entretenir : en effet, ces croyances sont souvent sources de dévalorisation, de culpabilité voire de honte et peuvent entraîner un comportement procrastinateur. En cas d’échec, le devoir étant réalisé tardivement, le sentiment d’incapacité est renforcé et en cas de réussite, celle-ci peut être mise sur le compte d’une tâche facile à réaliser ou de la chance. Robert Dilts, formateur et développeur de la Programmation Neuro-Linguistique, compare les croyances limitantes à des « virus de la pensée »  qui peuvent « interférer avec les efforts et aptitudes à changer ».
L’étudiant, potentiellement en phase de construction identitaire, à l’estime de soi pouvant être vacillante peut aussi s’approprier les croyances de l’entourage à son sujet : « Tu fais toujours les choses au dernier moment, tu ne sais pas t’organiser ! » ou « Tu n’as toujours pas fait ton devoir de maths ? Il est pour demain ! Ce n’est pas possible, fais un peu d’efforts ! Tu n’as pas de volonté ! ».
Les mécanismes en jeu pouvant induire un comportement procrastinateur chez les lycéens/étudiants sont nombreux et susceptibles d’interagir : l’aversion pour une tâche ne peut-elle pas être reliée à un manque de motivation ? Le perfectionnisme exacerbé ou la peur du jugement face à une situation évaluative à un manque d’estime de soi ? Les combinaisons sont multiples rendant chaque cas de procrastination dysfonctionnelle unique.
Lutter contre la procrastination implique par conséquent de faire le point sur son comportement procrastinateur pour mieux le comprendre et le conscientiser : quelles tâches sont reportées ? Dans quel contexte ? A quelle fréquence ? Quelles raisons sont invoquées pour les repousser ? Quels sont les pensées et ressentis de l’étudiant concerné au moment des reports ? Face aux conséquences des reports ? Quel est le rapport bénéfices/coûts de ces reports ? Il sera également nécessaire d’identifier les blocages et les causes conduisant à procrastiner afin de pouvoir agir dessus : en cas de perfectionnisme excessif par exemple, il pourra être utile de travailler sur le fait de s’accorder un droit à l’erreur ou de revoir son niveau d’exigence… Enfin, il sera opportun de questionner ses croyances et son niveau de motivation à modifier son comportement procrastinateur pour ensuite engager des actions et d’avancer, pas à pas, sur le chemin du changement.

Conclusion

Les causes de la procrastination académique évoquées ne sont pas exhaustives mais soulignent le fait que cette dernière est plus complexe qu’elle ne peut paraître en première approche : les étudiants peuvent être amenés à véritablement subir ce comportement procrastinateur, s’auto-saboter et se retrouver dans un cercle vicieux dont ils ne savent comment sortir et qui peut aller jusqu’à entraver leur sentiment de liberté.
Face à ce constat, nous pouvons légitimement nous demander si l’évolution de notre société n’induit pas ces comportements procrastinateurs : toujours plus d’informations, de communication, de connexions et… toujours plus vite ! Des psychologues évoquent en effet une dispersion de notre attention face à ces innombrables sollicitations liées aux nouvelles technologies et considèrent le « syndrome de la déconcentration » comme un mal du XXIème siècle. On parle d’ailleurs de génération zapping…
Ainsi la procrastination ne peut-elle être perçue par certains aspects comme un refus de la tyrannie des « il faut », « je dois » dans un contexte d’urgence omniprésente dictée par la société ? Ou comme un refus des contraintes imposées par la société ou le système éducatif et qui sont en opposition avec les aspirations profondes ? Les étudiants, en repoussant la réalisation d’un devoir scolaire au  profit d’une tâche plus réjouissante se connectent en effet à leurs besoins de détente ou de partage du moment et essayent finalement de rééquilibrer les temps d’obligations et le temps à soi… Ce dernier aspect permettrait d’envisager la procrastination académique sous un angle plus favorable, moins stigmatisant…
Enfin, ces réflexions amènent à se poser la question de la place de la motivation intrinsèque en milieu scolaire. Selon Reine-Marie Halbout (2007, p.2), psychologue clinicienne, psychanalyste et coach, « l’enseignement est principalement orienté vers les objets extérieurs de la connaissance ». Les étudiants font face à un morcellement des disciplines enseignées, ce qui peut leur apparaître éloigné de leurs représentations du monde. A cela s’ajoute le fait que le choix des études est souvent fait sur la base de critères extérieurs comme la valorisation d’une filière ou de l’employabilité future, plus que par choix personnel avec en arrière-plan une pression liée au culte de la réussite. L’orientation scolaire peut donc être vécue comme une contrainte teintée d’inquiétude voire d’angoisse à l’idée de se retrouver dans un monde économique difficile avec des débouchés parfois très restreints. A l’opposé, la connaissance de soi, de ses propres ressources, des orientations souhaitées sur la base d’une véritable dynamique personnelle n’est quasiment pas abordée dans le système éducatif tel qu’il est actuellement. Au regard de ces éléments, il est aisé d’entrevoir le glissement  possible vers la procrastination pour un étudiant qui n’a peut-être pas l’habitude de s’introspecter et de faire le point sur ce qu’il veut vraiment… Cela est d’autant plus vrai que les lycéens ou étudiants sont susceptibles d’être en phase de construction identitaire et de positionnement dans leur vie sociale, scolaire et également vis-à-vis des parents, à la recherche d’autonomie.
Accompagner les étudiants vers une compréhension de leurs comportements procrastinateurs, à travers une meilleure connaissance d’eux-mêmes, de leurs besoins et de leurs attentes profondes, sur le chemin d’une orientation qui a un réel sens pour eux pourrait alors s’avérer être une des clefs de la lutte contre la procrastination académique.

Le coaching, de par ses spécificités, peut être un accompagnement pertinent pour un lycéen/étudiant qui veut changer son comportement procrastinateur de manière durable et dépasser le stade de la simple résolution qui a toutes les chances de ne pas être tenue. En effet, le coaching vise à accompagner le client de façon à ce qu’il prenne de la hauteur vis-à-vis de son comportement, qu’il le conscientise et l’envisage sous différents angles. Le but est qu’il libère son potentiel et trouve ses propres solutions selon une démarche auto-apprenante (il diffère ainsi du conseil), pour atteindre son objectif, en prenant en compte ses valeurs, ses besoins, les freins qu’il pourrait rencontrer, ses ressources, etc. Cet accompagnement se déroule selon les trois principes suivants :

  • autonomie du client, c’est-à-dire sa capacité à juger et décider par lui-même,
  • responsabilisation, à travers la prise en charge de ses choix,
  • mise en action pour dans le cas présent changer son comportement procrastinateur.

Les solutions du lycéen/étudiant pour lutter contre la procrastination vont émerger sur la base d’une exploration contextuelle et de la relation intersubjective entre le coach et son client, de manière à conduire à un développement pérenne des potentialités de ce dernier et à déterminer une stratégie d’actions permettant l’atteinte de son objectif.
Un coaching peut être un accompagnement d’autant plus approprié si l’on considère la population concernée par la procrastination académique, qui est à un âge potentiellement marqué par la construction identitaire et la recherche de sens, de repères et d’autonomie.
Le coaching permettra en effet justement au lycéen/étudiant de travailler sur ce qui est important pour lui, de façon à ce qu’il soit aligné du point de vue de son identité profonde et de sa logique de comportement, tant dans la définition que dans la poursuite de son objectif. Le coaching lui permettra également de mieux se connaître, de développer son intelligence émotionnelle, de faire le point sur sa motivation, sur son engagement à changer et de développer cette autonomie qu’il peut rechercher puisqu’il sera amené à définir ce qu’il souhaite, ce qui est bien pour lui et sera à l’origine des solutions qui vont émerger et qui l’amèneront sur le chemin du changement par rapport à son comportement procrastinateur.


Références

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