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Numéro 9 01/2020 Numéros

Les apports du coaching dans un contexte de changement des organisations.

Cet article propose une réflexion sur la manière dont les coachs professionnels peuvent, avec leurs compétences et leur posture neutre, accompagner les organisations dans leurs projets de transformation. Face à des changements culturels, technologiques et organisationnels, quels sont les apports du coach ? Comment amène-t-il une meilleure acceptation et une adhésion des collaborateurs au changement ? Et finalement, à l’heure où le terme de coaching est utilisé partout et parfois à tort, comment redonner légitimité et crédibilité au rôle du coach professionnel certifié dans les organisations ?

Anaïs Cruypenninck
Article de recherche – Première publication le 28/01/2020


Résumé

Cet article propose une réflexion sur la manière dont les coachs professionnels peuvent, avec leurs compétences et leur posture neutre, accompagner les organisations dans leurs projets de transformation. Face à des changements culturels, technologiques et organisationnels, quels sont les apports du coach ? Comment amène-t-il une meilleure acceptation et une adhésion des collaborateurs au changement ? Et finalement, à l’heure où le terme de coaching est utilisé partout et parfois à tort, comment redonner légitimité et crédibilité au rôle du coach professionnel certifié dans les organisations ?


Introduction

Numérisation, uberisation, automatisation. Ces grandes tendances du moment représentent des enjeux et des défis de taille pour les organisations qui, face à ces bouleversements technologiques, doivent sans cesse s’adapter, se repenser et se dépasser. Secteur privé, secteur public et même secteur associatif sont ainsi concernés.
Quel que soit le type de changement – managérial, culturel, organisationnel, technique – les challenges à relever sont nombreux pour les femmes et les hommes œuvrant chaque jour au sein d’une entreprise, d’un organisme du secteur public ou d’une association. Car ne nous y trompons pas : ce sont bien des individus qui font l’essence et le sens d’une organisation. Ainsi, lorsqu’un changement survient au sein de celle-ci, il concerne avant tout des personnes, avec leur unicité et leur particularité. Changer une organisation, quel qu’en soit le but, revient donc à faire changer des êtres humains. Là est une des clés d’une transformation réussie. En comprenant cet état de fait et en l’intégrant dans une stratégie de transformation, on multiplie les chances de succès.
Les organisations ont compris l’enjeu de l’accompagnement de leurs collaborateurs dans un contexte de changement ; en témoignent la création de postes et de fonctions dédiés à ce sujet dans les organisations, ainsi que la sollicitation croissante de consultants pour promouvoir et accompagner les transformations. Mais il arrive souvent que les organisations mènent une conduite du changement trop tardivement, c’est-à-dire lorsque le changement est déjà avancé. Parfois même, il a été peu ou mal communiqué aux collaborateurs, ce qui a très certainement créé confusion, incompréhension et résistance. L’initiative pour accompagner le changement, aussi notable soit-elle, s’inscrit alors dans une urgence pour mettre toutes les équipes au diapason dans le but de les amener le plus rapidement possible à changer. Dès lors, la conduite du changement se cantonne souvent à une simple action de formation (à de nouveaux outils, processus, procédures internes). C’est une démarche certes nécessaire mais qui, mise en place de façon précipitée et non contextualisée ne permettra pas d’atteindre le succès.
Or, nous pouvons définir le succès d’une transformation au sein d’une organisation comme ceci : une transformation est réussie lorsque les collaborateurs prennent part au changement, lorsqu’ils l’ont compris, y adhèrent et se mettent volontiers en mouvement pour atteindre l’objectif visé par ce changement et participer ainsi à la performance de l’organisation.
C’est là qu’intervient le coach en entreprise. Son approche, davantage tournée vers l’humain, représente une réelle valeur ajoutée. En intervenant généralement plus en amont, il propose des outils complémentaires aux actions de conduite du changement – souvent plus opérationnelles – pour accompagner la transition vers les nouvelles pratiques et nouveaux modes de fonctionnements jusqu’à leur adoption par chacun. Agissant ainsi, le coach en entreprise peut être présenté comme un facilitateur pour (re)créer de la cohésion et de la collaboration entre les équipes.

1. L’approche émotionnelle : le diagnostic de la situation

La première action du coach consiste à poser un diagnostic sur la situation pour comprendre le contexte du changement et savoir où les collaborateurs se positionnent dans le processus de changement. Comment ressentent-ils et vivent-ils le changement ? Où se situent-ils sur la courbe du changement ? De quoi auraient-ils besoin pour avancer sur cette courbe ? Qu’est-ce qui leur manque ou leur a manqué ? Autant de questions qu’un coach peut poser aux collaborateurs afin d’établir un état des lieux impartial, factuel et authentique.

Fig. 1 – Le processus de deuil selon Elisabeth Kübler-Ross, associé à la courbe du changement.
E. Kübler-Ross explique en effet que le processus de deuil qu’elle a décrit s’applique tout autant à des situations de changement dans la vie professionnelle.
L’exploration des émotions et du ressenti des collaborateurs quant au changement permet d’évaluer les besoins d’accompagnement. En effet, pour être efficace, cet accompagnement doit être contextualisé, c’est-à-dire s’adapter à la situation. Ainsi, cette phase exploratoire permet au coach d’identifier les leviers sur lesquels s’appuyer pour accompagner l’organisation, mais aussi les résistances et les freins au changement, terreau de son intervention.

1.1. La préparation des interviews

Selon la taille de l’entreprise, le coach pourra compter sur l’appui de la Direction des Ressources Humaines pour recenser les populations à interviewer et notamment définir un échantillon représentatif de l’ensemble des collaborateurs. Pour que le diagnostic soit pertinent, il faut en effet s’assurer de rencontrer tous les types de population et à tous les niveaux hiérarchiques : top managers, managers de proximité ou middle managers, chefs d’équipes, collaborateurs, etc.
Le coach bâtit un guide d’entretien dans le but de pouvoir poser un diagnostic neutre, impartial et complet. Ainsi, puisqu’il s’agit d’un entretien de coaching, il veille à ne pas brider l’interlocuteur, ni l’empêcher de s’exprimer pleinement, tout en s’assurant d’avoir un fil conducteur sur les éléments à explorer. En identifiant au préalable les sujets-clés qu’il souhaite aborder, il s’assure d’une constance dans son questionnement et donc de pouvoir, in fine, comparer et analyser les résultats de ses interviews.

1.2. De la nécessité de poser le cadre

Le coach, au début de chaque interview, pose le cadre c’est-à-dire qu’il explique le contexte de l’entretien et les bases du rapport collaboratif : confidentialité et anonymat des réponses fournies, possibilité de s’exprimer pleinement et librement, neutralité et non-jugement de sa part et liberté pour l’individu de répondre ou non à une question.
La mise en place du rapport collaboratif consiste tout d’abord à vérifier l’absence de réactance – l’individu est radicalement opposé à la démarche en cours – et de résistance – l’individu n’a pas refusé la démarche mais ne joue pas le jeu. Alors seulement le rapport collaboratif peut être installé :

Fig. 2 – Les composantes du rapport collaboratif

1.3. L’art du questionnement

L’intentionnalité du questionnement est un des fondements de la pratique du coaching. Tous les coachs certifiés sont formés à cette approche car elle est essentielle pour mener à bien leurs interventions, que ce soit dans des organisations ou lors de processus de coaching individuels. En d’autres termes, le coach doit au préalable définir le but poursuivi par son questionnement car aucune question n’est formulée par hasard : toute question posée l’est au service de la stratégie du coach.
Les conclusions du diagnostic sont essentielles en ce sens qu’elles déterminent la manière dont le coach va poursuivre sa démarche d’accompagnement des collaborateurs. En fonction des informations ainsi recueillies, il choisira la technique et l’approche à mettre en place pour guider l’organisation vers le succès de sa transformation.
Par expérience, cette phase exploratoire donne souvent lieu à des divergences d’opinions et de points de vue sur le changement : certains sont plutôt partisans du changement et y voient des opportunités d’évoluer, de grandir et d’apprendre de nouvelles pratiques, quand d’autres sont plus réticents à changer, par peur et crainte de l’inconnu, par déception de quitter le connu ou par désintérêt. Quoi qu’il en soit, c’est un outil précieux pour le coach qui va ainsi connaître ses alliés – ces personnes sur qui s’appuyer pour entrainer leurs collaborateurs – et les individus sur lesquels l’accompagnement sera plus subtil car a priori peu convaincus, frileux et moins enclins à changer. Ces derniers ont leur importance dans l’approche du coach, nous en verrons la raison dans cet article.
Au cours de mes dernières interventions, j’ai pu noter que les besoins d’accompagnement des collaborateurs tournaient souvent autour de leur compréhension quant au sens de la transformation de leur organisation, plus encore que l’adhésion au projet à proprement parler. Les thématiques qui reviennent souvent sont : redonner du sens au projet, prendre de la hauteur, recréer de la cohésion et un esprit collaboratif. En d’autres termes, un changement expliqué, clair et qui a du sens pour les collaborateurs, suscite quasiment automatiquement une adhésion et donc une cohésion autour du projet.

1.4. L’accompagnement de la transition

Tout changement que nous vivons nous oblige à nous adapter, à changer nos façons de penser, nos modes de fonctionnement, nos comportements et nos attitudes, et ce, avec plus ou moins de facilité. Ainsi, un changement – qu’il intervienne sur le plan personnel ou professionnel – implique une phase de transition qui se caractérise par une déconstruction en deux étapes :
Le désengagement et la désidentification
Il s’agit d’une période de recul. L’individu est privé de ses repères et habitudes comportementales. C’est une phase délicate surtout pour les personnes très impliquées dans le rôle qu’elles jouent au sein de l’organisation : elles auront le sentiment, en changeant de rôle, de perdre du même coup leur identité.
Désorientation et désenchantement
C’est le processus de modification du système où l’individu prend conscience que l’ancien monde est terminé mais ne peut pas encore totalement se projeter vers l’avenir, même si cette phase est le signe qu’il est prêt à vivre autre chose. C’est le moment de la peur du vide.
Dans ce contexte, le coach va chercher à guider les collaborateurs vers la définition d’un état des lieux de la situation actuelle pour les amener à définir un état futur désiré. L’objectif poursuivi est de rassurer les individus en les faisant travailler sur des éléments concrets : ce qui est aujourd’hui et ce qui sera demain. Cela peut être fait en groupe et/ou de manière individuelle avec l’intention de leur faire exprimer ce qui est important pour eux – leurs valeurs, en d’autres termes – en vue de visualiser un idéal : comment l’état futur va-t-il permettre à leurs valeurs d’être nourries ? De cette manière, les collaborateurs pourront donner du sens à ce qu’ils feront, à leurs activités dans le nouvel environnement à venir. Et ce faisant, ils seront tournés vers la réalisation de leurs objectifs personnels tout en visant l’atteinte de l’objectif de l’entreprise, suscitant leur motivation et leur implication.
Concrètement, le coach va accompagner les collaborateurs dans l’apprentissage du nouveau monde (par exemple : nouvelle culture et nouvelle identité, nouvelle organisation, nouvelles fonctions, nouveaux dirigeants, etc.) tout en veillant à leur écologie[1] et à leur (re)donner confiance. Comment ? En les rassurant et en leur faisant accepter de se donner du temps. En effet, la phase de réapprentissage passe par des moments de déséquilibres et de décalages entre les connaissances acquises et la performance.
Selon Frederic Hudson, philosophe, professeur et écrivain américain expert en formation d’adultes et considéré comme l’un des pères du coaching (1934 – ), l’un des facteurs-clés du succès d’une transformation est l’apprentissage permanent, en réponse au changement continu et perpétuel[2]. Cet apprentissage doit porter certes sur le savoir (connaissances) et le savoir-faire (compétences) mais également sur l’environnement et le monde qui nous entoure. Il faut donc rester vigilant quant à notre interprétation de la réalité et élargir notre perception d’une situation.

1.5. Redonner du sens : le coaching d’équipe pour travailler sur les valeurs

Lorsqu’un changement a lieu dans une organisation, a fortiori lorsque de nouveaux managers ou collaborateurs arrivent, l’accompagnement des équipes peut s’avérer pertinent pour recréer une cohésion et une envie de travailler ensemble.
Un atelier sur les valeurs peut être intéressant, tel que celui proposé par John Whitmore, un pilote automobile britannique reconverti dans la psychologie du sport (1937 – 2017). Il permet de mettre en lumière les valeurs partagées par l’équipe au regard de celles véhiculées par l’organisation. Alors qu’elle s’apprête à changer, c’est, pour cette dernière, un moyen efficace de redonner du sens au projet de transformation et de favoriser la collaboration.
C’est un atelier qui se réalise en deux temps. Le coach réunit plusieurs personnes – par exemple des managers de plusieurs services ou des collaborateurs d’une même équipe – dans le but de les faire travailler sur les valeurs individuelles, puis celles du groupe ou de l’équipe, et enfin celles de l’entreprise.
Un premier atelier est consacré à l’identification des valeurs individuelles des participants dans le but de faire émerger les valeurs du groupe ou de l’équipe ainsi réuni(e), c’est-à-dire les valeurs qui sont le plus citées à titre individuel. Ensuite, chacun est amené à réfléchir à la manière dont il pense contribuer à chaque valeur. Ce premier exercice, au cours duquel chacun se livre un peu, crée un climat de confiance entre les participants et leur permet de prendre conscience des différences de visions et de points de vue, ouvrant ainsi la voie aux débats et échanges.
Le second atelier, réalisé quelques semaines plus tard – pour laisser au groupe le temps d’assimiler ce qui a été exprimé et partagé lors de la première séance – est consacré aux valeurs de l’organisation, telles que véhiculées par les services communication interne et RH. Tout d’abord, le coach s’assure que ces valeurs sont connues et comprises par les participants, avant de les faire réfléchir au moyen de mettre en perspective les valeurs de groupe découvertes un mois plus tôt, avec celles de l’entreprise. Chaque participant partage alors sa vision : Comment vivre les valeurs de l’entreprise tout en nourrissant celles du groupe ? Quel plan d’actions mettre en œuvre pour consolider les valeurs de l’équipe, surtout celles qui sont utiles pour l’entreprise et qui favorisent la cohésion de l’équipe ?
Cet exercice apporte aux collaborateurs un temps pour se recentrer sur eux-mêmes tout d’abord, grâce à une réflexion sur leurs valeurs, puis pour découvrir celles de leurs collègues. La pratique vise ici une prise de conscience de soi, un bien nécessaire et bénéfique dans une période de changement, mais également une prise de conscience de l’autre, avec ses points communs et ses différences aussi peut-être. Cela permet d’instaurer un climat d’empathie et d’ouverture aux autres en ayant connaissance et en comprenant ce qui les anime.
Les participants auront pu aussi faire le lien entre ce qui est important pour eux, individuellement, et ce qui l’est pour leur organisation au travers des valeurs qu’elle véhicule. Comprendre les valeurs de l’organisation c’est l’humaniser et donner du sens à son existence. Cela suscite l’engagement des collaborateurs dans l’atteinte des objectifs de la nouvelle organisation. Ce faisant, ils trouvent leurs repères dans ce nouvel environnement de travail, ce qui permet de répondre à l’une des problématiques souvent identifiée lors du diagnostic, à savoir le besoin de redonner du sens à leur quotidien.

1.6. Une nouvelle représentation de la situation pour susciter l’engagement

Adopter une nouvelle vision de la réalité peut permettre de débloquer des situations car, faisant appel à la créativité, elle favorise l’émergence de nouvelles solutions, jusqu’alors ignorées. En guidant les individus vers un changement de regard sur les faits, le coach s’avère être un facilitateur pour accompagner une organisation qui vit un changement.
Une nouvelle lecture de la réalité
L’un des apports du coaching est une prise de conscience par l’individu de son enfermement dans une réalité qui lui est propre. C’est l’essence même du travail d’un coach, en ce sens que faire prendre conscience à quelqu’un qu’il n’existe pas une seule réalité peut s’avérer libérateur et permettre de débloquer une situation. En fait, on pourrait presque dire qu’il existe une réalité par individu. Chacun en effet perçoit, ressent et vit une même situation de façon différente, avec ses propres « lunettes » qui agissent comme un filtre à la lecture de la réalité. Ce filtre est le résultat de l’expérience, du vécu, de l’éducation, de la culture, des valeurs et des croyances, soit, pour ainsi dire, de tout ce qui compose un individu dans son unicité.
Citons ici Paul Watzlawick, un psychologue américain (1921 – 2007) membre fondateur de l’école de Palo Alto, qui a ainsi défini deux niveaux de réalité : la réalité de premier ordre que sont les faits et les expériences enregistrés par nos capteurs sensoriels, et la réalité de deuxième ordre qui a trait aux représentations et à la signification que l’on donne à la réalité de premier ordre.
De même, la phrase d’Alfred Korzybski, philosophe américano-polonais (1879 – 1950) « Une carte n’est pas le territoire » traduit parfaitement l’idée d’une représentation différente de la réalité. Pour ce fondateur de la sémantique générale, chaque individu se fait sa propre représentation du monde ; donc la plupart des conflits viennent d’une confusion entre la carte (les représentations) et le territoire (la réalité). Selon Korzybski, les individus doivent être capables de prendre du recul et poser un regard critique (mais toujours bienveillant !) sur leurs actions et leurs réactions face à un événement ou une situation. C’est d’ailleurs une faculté qui peut s’apprendre et se développer grâce au coaching.
Dès lors, ignorant que leur réalité leur est propre, les individus vivent dans l’illusion qu’il existe une réalité unique dans laquelle ils agissent et évoluent. Cette vue de l’esprit peut être dangereuse car elle enferme l’individu dans une routine, limitant fortement son potentiel et ses possibilités, notamment lorsqu’il fait face à un changement. Ces limites deviennent des points de blocage qui empêchent les personnes d’avancer, et seule une prise de conscience pourra les faire sortir de ce cercle vicieux. Or, comme nous l’avons vu, le changement, qu’il soit à l’échelle individuelle ou d’une entreprise, passe avant tout par une phase de reconstruction de la réalité et un changement de la vision du monde.
Ainsi, le coaching en entreprise permet d’apporter une nouvelle vision de la réalité et d’autres perspectives quant à une situation donnée. Un peu comme si les individus changeaient leurs lunettes de vue pour avoir une vision élargie, avec de nouveaux angles à explorer, jusqu’alors ignorés. Ce processus doit être accompagné car il est parfois délicat ou difficile à vivre pour l’individu qui remet en cause sa vision du monde. Et nous touchons ici à l’écologie de l’individu.
Donc, pour une organisation qui change, construire une nouvelle vision de la réalité revient, pour le groupe ou l’équipe, à changer son interprétation des choses, événements, expériences, faits autour de ce changement, sans pour autant changer factuellement ces derniers. Cela permet d’élargir le champ des possibles, d’ouvrir de nouvelles perspectives pour avancer. Pour ce faire, le coach amène les collaborateurs à prendre une position de hauteur, sorte de méta-position, dans laquelle ils sont des observateurs de leurs propres comportements et de ceux des autres. En s’observant ainsi, ils réalisent quelle peut être leur influence sur une situation ou un conflit. Ils peuvent alors décider en toute conscience d’adapter ou d’ajuster leur comportement afin de résoudre le conflit ou le problème.
Les chapeaux de Bono : un outil de cohésion et d’intelligence collective
Un outil de cohésion semble pertinent ici : ce sont les six chapeaux de la réflexion de Bono. L’objectif de cet exercice est de faire poser aux participants un regard neuf sur une situation en vue de les faire se tourner vers l’action, en utilisant six chapeaux de couleurs différentes, représentent chacun un état d’esprit.

Fig.3 – Edward de Bono représente six états d’esprit sous forme de chapeaux de couleurs
Les six chapeaux de couleurs sont un outil tout à fait intéressant pour le coach qui souhaite amener les collaborateurs vers une autre représentation du changement, dans le but, souvent, de débloquer des situations conflictuelles ou freinant le projet de transformation.
Ainsi, lors d’un atelier animé par le coach, les participants sont réunis autour d’une table dont on sait que tous ne partagent pas le même avis sur la transformation en cours.
Après avoir posé le cadre (liberté d’expression et non-jugement), le coach invite chacun à s’exprimer à tour de rôle sur ce qu’il ressent face au changement en cours : comment il le perçoit, comment il le vit, ce qu’il en pense. Ici, il sera intéressant que chacun prenne conscience du regard que posent les autres sur une même situation.
Ensuite le coach redistribue la parole à chacun en lui donnant symboliquement le chapeau d’une couleur symbolisant un état d’esprit différent de celui exprimé spontanément. Le participant doit alors parler à nouveau du changement mais selon un nouvel état d’esprit représenté par la couleur de son chapeau. Le coach continue de veiller à l’écologie des participants.
Par exemple, un collaborateur qui exprime un enthousiasme débordant quant au changement se voit confier le chapeau blanc. Il doit maintenant s’exprimer à nouveau sur la situation en apportant des éléments plus neutres et non doués d’émotions, visant à lui faire prendre du recul. Ou encore, le coach peut donner le chapeau jaune à une personne qui exprime des sentiments très négatifs sur la situation (chapeau rouge) pour lui faire exprimer des idées optimistes et positives. De même qu’un collaborateur qui expose la situation de manière factuelle et neutre (chapeau blanc) pourrait se voir confier le chapeau rouge par le coach, l’invitant ainsi à exprimer ses émotions et son ressenti face au changement en cours. Etc… Plusieurs tours peuvent ainsi être effectués.
Si un participant montre une forme de résistance, le coach peut lui proposer de prendre le chapeau bleu représentant l’orchestration, et lui demander de distribuer les chapeaux aux autres, à tour de rôle.
L’objectif de cet atelier est en premier lieu de faire prendre conscience à chacun qu’une même situation objective et factuelle – le changement en cours ou à venir – peut être interprétée de bien des façons par des personnes travaillant dans la même organisation. Ensuite, avec les jeux de rôles permis grâce aux chapeaux de couleurs, chacun se représente la situation de différentes manières. Ce faisant, c’est une véritable restructuration de pensée que permet cet exercice, visant in fine à faire changer le regard des collaborateurs sur l’état des choses, surtout lorsque celui-ci n’est pas constructif pour l’équipe et l’entreprise.
Le coach peut aller plus loin. En effet nous avons vu précédemment que les réfractaires au changement – ici ceux qui portent, spontanément ou pas, le chapeau noir – peuvent être utiles dans l’intervention du coach. Et pour cause, ce sont eux qui expriment les risques possibles du changement en cours. En jouant ainsi la prudence, ils mettent au jour des dimensions qui pourraient ne pas avoir été envisagées, a fortiori par les chapeaux jaunes. Ainsi l’atelier sur les chapeaux de Bono peut donner lieu à une séance de brainstorming ultérieure visant la définition collective d’un plan d’actions pour éviter les écueils et limiter les risques exprimés par le chapeau noir. Pour ce faire, le groupe peut compter sur la créativité d’un chapeau vert ou la pensée positive d’un chapeau jaune par exemple.

1.7. L’approche systémique

Par opposition à l’approche analytique, qui cherche à analyser, expliquer et interpréter, l’approche systémique considère que l’individu est placé dans un système interactionnel qu’il interprète selon ses propres références et représentations. L’approche est donc centrée sur les interactions entre l’individu et son système.
La recherche d’une causalité circulaire
L’approche analytique considère une causalité linéaire « A fait cela donc B réagit comme ceci », alors que l’approche systémique considère une causalité circulaire, comme une boucle interactive. Ainsi avec cette approche, en partant du principe que la réaction de B a été négative, on cherche à comprendre ce qui, chez B, a motivé A à agir ainsi, entrainant la réaction de B. L’objectif étant d’identifier ce que B pourrait modifier dans son interaction avec A pour ne plus générer le comportement de A et in fine éviter la réaction négative de B. Il s’agit ici de réfléchir au moyen de modifier les modes d’interaction.
Cette approche induit donc qu’identifier les causes d’un problème ne produit pas forcément le changement. C’est davantage l’action découlant de l’identification des causes qui génère la transformation attendue.
La systémique s’appuie en fait sur deux principes selon lesquels :

  • Le tout est plus que la somme des parties (totalité) et
  • Tout système tend à garder une position d’équilibre (homéostasie).

L’observation des interactions
Le coach, de par sa formation, est sensibilisé à l’influence du contexte dans lequel l’individu interagit pour comprendre son comportement et ses réactions. Par exemple, lorsqu’un individu effectue un test de personnalité, il obtient des résultats qui ne sont pas forcément son mode de fonctionnement permanent, dans toutes les situations. Ils reflètent très probablement son mode de fonctionnement dans un contexte particulier et au moment où il effectue le test.
Pour le coach, choisir une approche systémique influence sa posture, ses outils et son recadrage. Il s’écarte de la causalité linéaire pour placer l’individu dans une vision plus globale des tenants et des aboutissants d’une situation. Il va porter en particulier un regard sur le contexte de la situation (« Racontez-moi une situation précise où cela s’est passé ») et sur les interactions entre les individus (« Qu’avez-vous dit/fait ? » « Qu’a-t-il répondu ? »).
Dès lors, la systémique renvoie aux notions de réalité de premier ordre (Le feu est rouge) et de réalité de deuxième ordre (Donc l’individu ne peut pas traverser, sous-entendu, c’est ce que l’on lui a appris, c’est son interprétation du feu rouge) que nous avons évoquées précédemment.
Pour mener le changement, l’approche systémique privilégie une analyse sur comment les choses et les êtres fonctionnent et interagissent, avant de définir un objectif. Ce faisant, l’objectif est plus pertinent et aura plus de sens. La tendance à chercher des explications et porter des jugements au lieu de décrire de manière factuelle une situation réduit le champ des possibles et limite l’opportunité de résoudre un problème. En d’autres termes, le but que l’individu cherche à atteindre est plus important que la cause du problème.
De plus, la valeur ajoutée de cette approche repose sur le fait qu’elle prend en considération la diversité et la complexité des émotions et des interactions, ainsi que les paradoxes de tout système humain.
Ainsi, pour créer le changement, il faut faire appel à la créativité, l’esprit de synthèse et l’intuition des individus. Puisque la conduite du changement n’est pas une science exacte, il faut, avant de se lancer dans un processus d’accompagnement, considérer les spécificités de l’environnement et le contexte interactionnel de l’entreprise afin, pour le coach, de pratiquer un recadrage efficace et d’utiliser les outils appropriés.
L’adoption d’une logique temporelle différente
Cette approche circulaire ne s’inscrit pas dans la logique passé – présent – futur selon laquelle ce qui a marché avant remarchera dans le futur. La systémique est pleinement orientée présent – futur – passé et futur – présent – passé, où :

  • Le passé est associé à un réservoir de ressources et
  • Le futur symbolise les étapes à franchir pour atteindre l’objectif

L’individu ou l’équipe doit faire preuve de lâcher-prise pour pouvoir abandonner les vieilles recettes du passé, imaginer d’autres solutions et appréhender de manière originale la réalité. C’est là qu’interviennent La créativité et l’inventivité, l’esprit de synthèse que nous venons d’évoquer.
La promotion de la créativité, de l’esprit de synthèse et de l’intuition
La créativité demande une ouverture d’esprit, une curiosité, un regard neuf sur une situation pour sortir des sentiers battus et proposer des solutions nouvelles et originales, même si parfois elles paraissent farfelues. Et quand bien même, dans les solutions farfelues peuvent se cacher de bonnes idées !
L’esprit de synthèse, ensuite, est l’aptitude à avoir une vision intégrale de la situation et à passer outre les faits pour construire une image globale. Celle-ci est hypothétique et incertaine mais elle permettra au moins de contextualiser la situation. L’utilisation ici de la symbolique et de la métaphore peut aider à adopter une vision entière du système.
L’intuition, enfin, est la connaissance ou la perception immédiate d’une donnée qui nous fait dire, pour reprendre les mots de Françoise Kourilsky « je sais que je sais, mais je ne sais ni pourquoi, ni comment »[3]. La notion d’immédiateté prend tout son sens ici car l’intuition c’est à un instant T, à un moment donné. Nous comprenons donc qu’elle ne laisse pas de place à la raison (qui va expliquer, démontrer), même si toutes deux sont complémentaires.
L’approche systémique dans le changement suppose par ailleurs une communication de qualité entre les parties prenantes. C’est un autre apport du coaching pour accompagner une organisation en pleine transformation. Dans ce contexte, une communication de qualité peut se définir comme une communication favorable à l’échange, à l’harmonie et à l’écoute, procurant ainsi du plaisir et libérant les talents d’intuition et de créativité des individus pour les mettre en mouvement.
Si le coach souhaite mettre en place et ancrer l’approche systémique dans l’organisation à des fins de résolution des situations conflictuelles, il peut choisir de réunir les membres d’une équipe opérationnelle, managériale ou dirigeante – selon ses objectifs – pour les faire travailler collectivement sur des situations professionnelles récemment vécues et qui les ont mis mal à l’aise, tel qu’un conflit, une réunion improductive, un projet hasardeux, etc. Armé de son questionnement circulaire, le coach amène alors chacun à s’exprimer sur son cas en adoptant un point de vue différent, plus systémique. Pour faciliter l’ancrage de cette approche systémique, on peut imaginer que ce sont les interlocuteurs qui se posent les questions entre eux en permutant les rôles. Cela renforce leur capacité à adopter un point de vue circulaire.
Les questions sont fournies par le coach, par exemple : qu’avez-vous fait pour que X fasse/dise ceci ? Que faites-vous quand X fait/dit ceci ? Comment X réagit-il quand vous faites/dites cela ? Qu’auriez-vous pu faire de différent pour évier la réaction de X ? Qu’arriverait-il si, dans cette situation, vous {proposer un comportement, une réaction différente} ?
Les bénéfices d’un tel travail pour l’organisation sont doubles : développer une capacité de prise de hauteur de ses collaborateurs quant à une situation problématique ou conflictuelle, permettant d’élargir le champ de réponse possible, et limiter le risque de reproduction de telles situations grâce à l’adoption, par les individus, d’une posture différente dans la gestion des conflits.

1.8. Le coaching de prise de poste

La prise de poste d’un collaborateur, et a fortiori d’un manager, représente un enjeu non négligeable pour l’organisation et pour le collaborateur lui-même. Des difficultés, voire un échec dans une prise de fonctions se traduisent immanquablement par une démotivation des individus – à commencer par le principal concerné – et une baisse de la cohésion d’équipe, allant jusqu’à de possibles conflits. Les conséquences peuvent être plus dramatiques encore à titre personnel et individuel : mal-être, somatisation, burn-out, démission.
On comprend donc l’intérêt, lorsque le besoin se fait sentir, d’accompagner le collaborateur dans cette transition pour lui permettre de s’épanouir, se développer et mettre à profit ses compétences et ses talents. C’est là que le coaching prend tout son sens. Par exemple, en accompagnant un manager dans une prise de recul sur la situation et face aux nouveaux challenges, et dans l’affirmation de son leadership, le coach le guide vers le moyen d’asseoir sa légitimité auprès de ses collègues et membres de son équipe. Ce faisant, c’est la performance de toute l’organisation qui se verra améliorée et de façon continue.
Le coach amène le nouveau manager à mettre en place un certain nombre d’actions qui lui permettront d’être à l’aise très rapidement dans ses nouvelles fonctions. Il l’accompagne vers une prise de conscience de sa propre image, de son propre mode de fonctionnement, de ses atouts mais aussi de ses limites dans cette prise de poste. Il ne s’agit pas ici de faire changer le manager mais bien de l’accompagner vers la définition d’ambitions et d’objectifs pour son équipe, tout en tenant compte de ce qu’il est. Car en effet, rappelons si besoin est que le respect de l’écologie est un des fondements du coaching. Or, ce type d’exercice pouvant bouleverser l’individu, le coach est seul garant du bien-être de celui-ci, d’où la nécessité de contextualiser son intervention.
Le manager peut également être accompagné dans l’appréhension de son nouvel environnement, dans le décryptage et la compréhension des relations entre ses collaborateurs et dans la préparation à sa première prise de parole devant l’équipe.
A titre d’illustration, deux actions peuvent être mises en place assez facilement :

  • Organiser une réunion très rapidement avec l’équipe pour faire connaissance. Ce sera le moment pour chacun de se présenter et l’occasion pour le manager d’expliquer son parcours et ses ambitions pour sa nouvelle équipe.
  • Organiser ensuite des entretiens individuels pour faire connaissance de façon plus approfondie avec ses collaborateurs : leurs talents et compétences, leurs envies et motivations, leurs valeurs, leur vision du fonctionnement de l’équipe et la valeur ajoutée qu’ils veulent y apporter.

Le coach pourra accompagner le manager dans la préparation de ces réunions.
Quel que soit l’objectif de l’accompagnement, et peu importe le rôle et les fonctions de la ou des personnes accompagnées par le coach, le plan d’actions et le résultat qui en découlent sont cohérents avec la stratégie et les ambitions visées par le changement en cours. Sous prétexte de l’accompagner vers une autonomie, l’objectif du coach n’est pas de laisser le collaborateur s’écarter totalement des objectifs de son organisation. Ainsi, souvent l’intervention du coach dans une organisation, qui s’inscrit dans une trajectoire, une ambition ou un objectif bien défini, fait l’objet d’un accord tripartite : l’organisation (représentée par le manager ou le service RH), l’individu accompagné et le coach. Pour autant, le résultat d’un processus ou d’une intervention de coaching peut réserver parfois quelques surprises. On touche ici aux limites du coaching en entreprise que nous abordons plus loin.

1.9. L’approche intergénérationnelle

Il arrive lors de transformations, notamment celles liées au numérique, que des organisations soient confrontées à un choc des générations, par exemple dans l’adoption de nouveaux usages ou nouvelles pratiques ; les uns ayant du mal à comprendre les difficultés des autres pour changer leurs habitudes.
Dans ce genre de situation, le conflit repose sur des interprétations différentes des faits, un sujet que nous avons déjà évoqué. Le coaching trouve alors ici toute sa légitimité : en sollicitant les valeurs de communication, de respect et de tolérance, le coach va faire prendre conscience à une personne que la manière dont elle décode une situation n’est pas forcément la bonne et l’unique, et qu’il peut y avoir d’autres façons d’interpréter celle-ci, plus justes et mieux adaptées au problème, à condition de savoir écouter, et a fortiori lorsque l’on aborde le sujet sous l’angle intergénérationnel.
Au cours d’une expérience vécue au sein d’une entreprise en pleine réorganisation, je me suis rendu compte du fossé qui s’était créé entre les jeunes et les plus anciens quant à l’adoption des nouveaux outils de suivi de la relation client et de communication interne. Tandis que les plus jeunes préconisaient davantage des outils collaboratifs tels que de la messagerie instantanée, le réseau social d’entreprise, la possibilité de partager des documents voire d’y travailler à plusieurs en même temps, les plus anciens souhaitaient largement conserver les anciennes pratiques, ne comprenant pas l’intérêt du changement.
Alors, comment le coach peut-il intervenir concrètement dans ce genre de situation ? La condition préalable, comme pour tout processus de coaching, est que les parties prenantes soient volontaires. Le coach, par sa posture, favorise la mise en place d’un dialogue et d’échanges visant à faire évoluer les positions des uns et des autres. En effet, si chacun campe sur sa position, il ne peut y avoir de résolution des problèmes. Pour que ces échanges puissent aboutir à une sortie du conflit, le coach se pose en garant du respect, de la tolérance et de l’écoute de chacun envers les autres.
Pour cela, il peut utiliser la communication non violente. Ce langage, élaboré par le psychologue américain Marshall Rosenberg (1934 – 2015), repose sur l’empathie, l’authenticité, la responsabilité et la communication avec l’autre sans lui nuire, d’où la notion de « non-violente ».
Selon l’auteur, ce sont « le langage et les interactions qui renforcent notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer aux autres le désir d’en faire autant ».[4] Rosenberg ayant été l’élève d’un autre psychologue américain, Carl Rogers (1902-1987), il s’est inspiré de sa méthode de psychothérapie par l’approche centrée sur la personne. La communication non violente s’appuie sur le non-jugement de l’autre. En effet, le jugement bloque l’individu dans l’ouverture d’une vision sur d’autres possbiles et l’empêche ainsi de connaître la réalité. « Il nous coupe du potentiel d’action juste et mesurée en lien avec ce qui est et non ce qui peut arriver. »[5].
Une autre action possible pour le coach est la mise en place d’un fonctionnement en binômes où les plus aguerris aux nouvelles pratiques peuvent travailler en collaboration avec les plus réfractaires pour les aider à adopter les nouveaux usages. Pour cela, le coach a un grand rôle à jouer dans l’identification des collaborateurs à-mêmes d’être aidants et volontaires pour accompagner et former leurs collègues, un peu à l’image d’ambassadeurs.
L’appreciative Inquiry
Cette méthode de conduite du changement a été créée à la fin des années 80 aux Etats-Unis par David Cooperrider, docteur en psychologie des organisations (1954 –  ). Cette nouvelle approche est venue révolutionner les travaux de conduite du changement dans les organisations en ce sens où elle est résolument tournée vers les ressources, les succès et ce qui fonctionne, plutôt que sur la recherche et l’analyse de la cause des problèmes.
David Cooperrider a dit « Dans toute organisation il y a quelque chose qui fonctionne bien et qui constitue son ADN. Le développement de cette organisation passe donc par faire plus et mieux de ce qui fonctionne ». En effet, la focalisation sur les causes d’un problème, les manques et les dysfonctionnements de l’entreprise a pendant longtemps servi de base aux interventions en conduite du changement organisationnel. Cet état d’esprit se révèle finalement contre-productif et crée de la démotivation et un épuisement chez les collaborateurs. A force de ne voir que le négatif, ils oublient ce qui fonctionne, avec des conséquences indésirables comme la résistance au changement, l’absence de vision positive du futur, un manque d’enthousiasme, ou encore la recherche de solutions limitées dépourvues de créativité et d’innovation. Or l’Appreciative Inquiry, avec sa vision positive, se focalise sur la projection du futur désiré plutôt que sur les obstacles et écueils à éviter. Elle apporte un nouvel angle de vue, une nouvelle représentation de la situation.
On retrouve ici des éléments semblables à l’approche systémique vue précédemment.
La figure ci-dessous, que j’emprunte au site Internet d’une société qui accompagne les entreprises dans le changement[6], illustre le mieux, à mon sens, la différence entre une approche classique de résolution des problèmes et l’approche Appreciative Inquiry.

Fig. 4 – comparaison entre l’approche traditionnelle de résolution des problèmes et l’approche Appreciative Inquiry
Ainsi, la première étape d’une intervention d’Appreciative Inquiry est la recherche de ce qui fonctionne. Ce noyau positif ou noyau de réussite sert de point d’appui au démarrage de l’intervention du coach et agit comme une source d’énergie et d’inspiration pour élaborer de nouveaux projets. Centrée sur les ressources existantes et les points positifs d’une organisation, l’Appreciative Inquiry suppose un engagement à tous les niveaux de l’organisation.
Le coach débute son travail par la mise en lumière de tout ce qui fonctionne dans l’organisation. Cela peut être par exemple des bons résultats, la complémentarité des métiers, des capacités financières, la force d’un réseau commercial, les valeurs éthiques et humaines, les opportunités du marché, etc.
Pour identifier tous les éléments du noyau positif de l’organisation, le coach procède à des ateliers de rencontres, d’échanges, de brainstorming où les participants, réunis en groupes sont amenés à réfléchir sur ce qui fonctionne dans l’entreprise, ce qui en fait son succès et la force des équipes. Idéalement, les groupes seront mixtes : différents métiers et différents niveaux hiérarchiques sont représentés dans ces ateliers.
Après cette phase de découverte, le coach amène les collaborateurs à réfléchir sur le futur désiré, à le projeter et utilise pour cela l’intelligence collective : que désirez-vous ? Et à quoi cela ressemblerait-il ? Quelle est l’intention majeure de l’organisation en mettant en place ce changement ? Que souhaite-t-elle améliorer parmi ce qui fonctionne ?
Pour cette étape, le coach s’appuie sur les objectifs et orientations stratégiques de l’organisation car il ne s’agit pas, bien entendu, de remettre en question le business plan ou les objectifs. La réflexion sera axée sur le changement en cours : dans cette transformation que vous vivez, que voulez-vous faire de mieux encore parmi ce qui fonctionne déjà ?
Cette approche est pertinente pour renforcer la cohésion et la coopération dans une équipe ou encore pour créer une vision commune et partagée entre les membres dirigeants, qui peuvent, dans cet environnement mouvant, se chercher et avancer à tâtons dans la définition de leurs périmètres respectifs.
Vient ensuite la phase de design : il s’agit pour l’organisation de déterminer sur quels leviers elle va s’appuyer, parmi les points positifs identifiés dans le noyau de réussite, pour atteindre son objectif. Bien évidemment, ce travail doit être fait de manière co-construite et participative. Ici encore, l’implication des collaborateurs de tous services et de tous niveaux est la garantie du succès.
Enfin, il y a la phase de déploiement où le coach va amener les collaborateurs à définir et choisir des actions concrètes pour avancer et assurer un changement pérenne qui s’inscrit dans la continuité.
On l’aura compris, l’intervention Appreciative Inquiry suppose au préalable l’adhésion, l’engagement et la conviction de l’équipe dirigeante que l’organisation a les ressources nécessaires pour faire face au challenge que cette transformation représente. Le coach, avant son intervention, devra donc s’entretenir avec les sponsors et dirigeants afin de leur présenter la méthode, les enjeux et la démarche pour s’assurer de leur enthousiasme pour celle-ci et de leur posture appréciative. Ce prérequis est essentiel à la mise en œuvre de l’Appreciative Inquiry. Si besoin, il pourra les accompagner pour les amener vers ce changement de culture. Il amènera un nouvel état d’esprit qui s’appuie sur les ressources existantes et présentes pour aligner les forces et ainsi amoindrir les faiblesses de l’organisation.
Le second enjeu est la détermination des collaborateurs qui participeront à la démarche. On a vu que celle-ci faisait appel au partage, à la collaboration et co-construction mais il va sans dire que, selon la taille de l’organisation, la totalité des effectifs ne peut être impliquée. Il va donc falloir définir avec les sponsors les critères de sélection des participants afin d’obtenir un échantillon le plus représentatif possible de toute l’organisation.

2. Une collaboration avec le service de communication interne

A plusieurs égards, il est intéressant pour le coach de se rapprocher de l’équipe de communication interne. Il peut apporter un regard nouveau et extérieur sur la situation et les attentes des collaborateurs en termes de communication en faisant référence aux besoins en accompagnement qu’il a recueillis lors des interviews qu’il a menées. Pour faciliter la compréhension et l’adhésion au changement, l’organisation doit s’assurer transmettre le bon message aux bonnes personnes et au bon moment.

2.1. Une collaboration à la définition du plan de communication interne

Par expérience, les interviews réalisées dans la phase de diagnostic peuvent faire émerger un besoin de redonner du sens, de ressouder les équipes, et d’apporter une perspective. Plusieurs réunions de réflexion et de brainstorming avec la communication interne peuvent être organisées pour définir les actions de communication qui peuvent être mises en œuvre au moment du lancement du projet : événement de lancement, planning, supports, formats, contenus, participants.
Grâce à son analyse du ressenti des collaborateurs, le coach peut, avec pragmatisme, guider le service de communication interne en proposant un contenu et des actions pertinentes de diffusion d’information. Ainsi, pour satisfaire le besoin de sens, la communication interne peut présenter aux collaborateurs la nouvelle organisation cible et la trajectoire pour y parvenir, c’est-à-dire les différents changements à adopter et leur cadencement, un peu comme en racontant une histoire. De plus, pour favoriser la transparence et l’interaction dans cette communication, des cafés-conférences et des salons-débats peuvent être animés par les dirigeants et managers, que le coach accompagne dans la préparation et l’animation. Ces formats, plus dynamiques, permettent un échange entre les collaborateurs et les décideurs qui se montrent au plus proche de leurs équipes, créant ainsi un climat de proximité.
Quant aux changements relatifs aux espaces de travail ou à la réorganisation des métiers et des activités, ils peuvent être expliqués et illustrés à travers des formats vidéos ou des interviews croisées de collaborateurs pour témoigner sur les nouvelles manières de travailler ensemble.

2.2. Le coaching de prise de parole

Concernant les interviews filmées, le coach peut préparer les collaborateurs à la prise de parole face à la caméra. En effet, un support vidéo, vivant par essence, a plus d’impact et est plus immédiat qu’un simple article. Donc si l’on veut rendre le message accrocheur et dynamique, cet exercice nécessite de la préparation tant sur le fond que sur la forme. Le coach met ici en pratique des outils de coaching de prise de parole en public.
Rappelons que le langage se compose du verbal (les mots), du para-verbal (le ton, le rythme, le volume) et du non-verbal (la posture, la gestuelle), chacun comptant respectivement pour 7%, 38% et 55% du discours dans l’attention du public. Une préparation sera donc nécessaire pour travailler sur l’attitude des interviewés encore davantage que sur les mots.
Aristote a défini trois registres de persuasion :

  • Le LOGOS, les mots. Pour une vidéo, surtout très courte, le langage choisi doit être simple et direct, il faut éviter les phrases trop longues et les mots techniques afin de rendre le discours audible et compréhensible.
  • Le PATHOS ensuite, qui représente l’émotion, la proximité avec le public. Ici le coach préparera le collaborateur pour le rendre sympathique auprès de ses collègues.
  • L’ETHOS enfin qui nécessite que l’interviewé soit convaincu par ce qu’il dit, qu’il s’approprie le discours. C’est pourquoi le contenu devra être préparé avec lui pour lui faire utiliser ses propres mots.

Concrètement, le coach accompagne les collaborateurs dans la rédaction de leur message et dans la prise de conscience de l’importance du para-verbal et du non-verbal.
Il les aide également à respirer avant le tournage. Même s’il ne s’agit pas de direct et que les prises peuvent être renouvelées, l’objectif recherché est l’efficacité dans la réalisation de ces tournages. Respiration-soupir, respiration ventrale, sourire, dynamisme et lâcher-prise sont autant d’outils que le coach apporte au collaborateur, de même que des entrainements avant la prise de vue.
Il peut aussi, si besoin et de façon plus personnelle, aborder le sujet des croyances limitantes[7] qui nuiraient au bon déroulement des enregistrements. Des exercices de projection sur le rendu souhaité pourraient alors aider à vaincre ces croyances.
Précisons tout de même que de telles interviews doivent être organisées sur la base du volontariat.
Au regard des éléments que nous venons d’évoquer, nous comprenons comment le coaching d’entreprise peut se révéler être un outil efficace pour aider et faciliter la mise en mouvement des collaborateurs vers le changement.
Cependant, cette réflexion a posé un certain nombre d’interrogations sur le statut du coach interne et les limites de cette pratique.

2.3. Limites et freins du coaching interne

La première limite du coaching interne que j’énoncerais est sa pratique au sein même de l’organisation. En effet, l’une des clés du coaching est de choisir un espace temporel adapté et un lieu neutre susceptibles de favoriser la libre expression. Or, l’intervention du coach, à commencer par les interviews de la phase de diagnostic, se déroulent dans les locaux de l’organisation ce qui, par expérience, peut brider quelques-uns à s’exprimer entièrement. Programmées sous forme de réunions, ces entrevues ou les ateliers de coaching n’incitent pas forcément les individus à sortir du contexte de travail quotidien. Avant de débuter son intervention le coach peut s’assurer de la possibilité d’emmener les collaborateurs à l’extérieur lorsque c’est nécessaire, par exemple pour animer des activités de team-building.
De plus, en faisant lui-même partie des effectifs de l’organisation, le coach peut se retrouver face à un dilemme : celui de la posture entre le collaborateur interne (donc soumis aux objectifs de son organisation) et la posture de coach, capable, par essence, de neutralité. Si son intervention est approuvée par la Direction, il n’a pas pour autant de garantie que son analyse sera prise en compte et surtout, que des actions seront effectivement mises en place. Il doit donc rester vigilant à ne pas susciter des attentes trop fortes chez les collaborateurs, ce qui risquerait de générer des déceptions et des frustrations par après.
Une autre difficulté pour le coach interne est de garder une certaine neutralité et un certain recul quant à l’organisation au sein de laquelle il travaille. Là encore, le risque d’aliénation est grand et le coach doit faire attention à sa prise de distance, notamment lorsqu’il travaille – outre sa pratique de coaching – avec des collaborateurs sur des projets ou d’autres sujets, ou encore lorsque le résultat de son accompagnement n’est pas en cohérence avec les orientations de l’organisation, alors même qu’il garantit l’écologie de l’individu.
Prenons le cas de l’accompagnement individuel d’un collaborateur qui amènerait celui-ci à quitter son employeur car travailler pour lui ne répond plus à ses attentes ni ses besoins. L’organisation doit être prête à laisser partir cet individu. En d’autres termes, en recourant aux pratiques d’un coach, l’organisation doit être préparée au fait que le résultat peut ne pas être tout à fait conforme à ceux qu’elle a envisagés et pouvoir l’accepter. Cette vigilance est portée à l’attention des dirigeants par le coach avant de débuter son intervention.
Nous comprenons ici une des limites du coaching interne. En effet, le coach interne doit pouvoir montrer et faire respecter sa capacité à prendre une posture d’extériorité qui est nécessaire à sa pratique. Il doit veiller constamment à cette position complexe car à la fois interne et externe à l’organisation, et veiller à respecter le cadre imposé par la déontologie du coaching.
Cette ambivalence peut ne pas être facile à gérer. Alors pour éviter ces écueils et ces dérives, la solution pour le coach interne est de régulièrement échanger à l’extérieur de l’organisation avec des pairs eux-mêmes coachs internes ou externes, au cours, par exemple, de supervisions collectives ou lors de rencontres moins formelles. De surcroît, ces échanges constituent pour lui une sorte de veille sur les bonnes pratiques.
Une autre question que nous pouvons nous poser est celle du rattachement hiérarchique du coach interne. Souvent issus des fonctions RH mais pas toujours, à quelle direction les coachs internes doivent-ils rapporter et être rattachés ? Est-il évident qu’ils doivent être dans la Direction des Ressources Humaines ? Rappelons que le coaching a pour intention le développement personnel, y compris sur des problématiques organisationnelles.
Mais alors, comment, s’il est rattaché à la DRH, le coach interne peut-il se démarquer des seules fonctions de gestion de carrière et de développement des compétences – qui, certes peuvent faire partie intégrante du coaching, mais n’en sont pas seuls sujets ? De plus, pour légitimer et garantir le succès de l’intervention du coach, l’appui et l’engagement de la haute Direction représente un atout de poids : faut-il donc qu’il soit rattaché directement à la Direction Générale ?
Les réponses sont probablement multiples, selon les principes organisationnels de chaque structure ; il n’empêche que le coach interne nouvellement embauché peut se trouver confronté à ces problématiques et rencontrer des difficultés pour y répondre. D’où, ici encore, l’intérêt d’une supervision individuelle et/ou collective.
Enfin, le coach interne ne doit bien entendu avoir aucun lien hiérarchique avec la personne coachée. Autrement dit, le coach qui vise le développement personnel et l’accompagnement des collaborateurs ne doit pas être un manager s’il veut avoir la possibilité de pratiquer le coaching – au sens noble du terme – au sein de son organisation. Or, dans la presse professionnelle, on peut lire des articles mentionnant les « managers-coachs » et l’on voit de plus en plus le terme de coach utilisé à tort et à travers. Nous, coachs certifiés, avons donc probablement de la pédagogie à faire sur les apports et les spécifiés du coaching tel que nous le pratiquons, pour rendre à notre activité toute sa légitimité.
Ainsi, si la notion de managers-coach a vocation à perdurer, nous devons sensibiliser les organisations sur le fait que ces managers doivent adopter une posture moins hiérarchique et davantage tournée vers le développement des talents et des compétences des collaborateurs. En ce sens, on se rapproche effectivement du coaching. Toutefois, gardons en tête que le coach professionnel certifié qui pratique le coaching selon la déontologie va plus loin dans le développement personnel et des compétences d’un individu ou d’une équipe. On comprend alors la nécessité pour le coach interne de définir clairement avec la direction son périmètre d’intervention.
 

Conclusion

L’accompagnement du changement en entreprise est une activité concrète et pratique qui ne peut être abordée uniquement sous l’angle théorique. Et pour cause ! Si elle s’appuie sur de nombreux apports théoriques, elle est surtout pragmatique et nécessite de s’adapter à chaque environnement. Elle est donc par définition contextuelle et pour s’en assurer, il est essentiel de prendre en compte la dimension émotionnelle du changement en cours, c’est-à-dire l’état d’esprit et le ressenti des individus sur la situation. Nous l’avons déjà exprimé, les organisations sont composées de femmes et d’hommes qui travaillent chaque jour selon des habitudes et des pratiques ancrées parfois depuis longtemps. Pour les amener vers le changement, il faut d’abord comprendre leurs envies, leurs craintes et leurs résistances, et s’en servir pour définir une stratégie et un plan d’accompagnement pertinents.
Au cours de cet article, nous avons montré comment le coaching en entreprise peut être utilisé comme un levier additionnel dans l’accompagnement du changement. Il intervient en complément d’actions pratiques qui sont menées telles que des formations et des conférences par exemple. En effet, la nécessité de redonner du sens, le besoin de mieux communiquer et de rétablir une proximité entre les équipes et avec la hiérarchie sont des demandes qui sont très souvent sous-jacentes et pas forcément exprimées spontanément. D’où l’importance de la phase de diagnostic au cours de laquelle des entretiens sont réalisés sous le prisme du coaching. Cela amène factuellement cette dimension émotionnelle dont nous avons déjà évoqué l’importance et permet au coach de proposer des actions pour aller plus loin dans l’accompagnement. Grâce à une prise de recul rendue possible par sa posture, il permet d’apporter un éclairage nouveau sur les besoins des collaborateurs et des solutions qui n’auraient pas été envisagées.


Références

[1] Equilibre interne, bien-être de la personne
[2] Frederic M. Hudson, The handbook of coaching, a comprehensive resource guide for managers, executives, consultants, and human resource professionals, 1999.
[3] Françoise Kourilsky, Du désir au plaisir de changer, Editions Dunod, 5ème édition, 2014, page 98
[4] Marshall B. Rosenberg, La communication NonViolente au quotidien, éditions Jouvence
[5] Mohamed Nasraddine Belfali, Intelligence émotionnelle et coaching, la Communication Non Violente comme outil d’accompagnement, éditions Equation de la conscience, 2016, page 147
[6] www.inovane.fr
[7] Croyances limitantes : affirmations ou convictions souvent inconscientes qui empêchent un individu d’atteindre son plein potentiel. Elles agissent comme des freins et des obstacles à l’épanouissement de l’individu et peuvent être source de conflit. Exemples de croyances limitantes : « Je n’y arriverai jamais seul » « Cela ne se fait pas ! » « Ce n’est pas pour moi ! ».

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