Isabelle Vernay
Première publication – Article de recherche
Résumé
Le fait d’être une femme ou d’être un homme n’est pas anodin dans nos parcours de vie professionnelle (pour ne parler que de cette dimension). L’objectif dans notre article n’est pas de discuter du vrai ou du faux des caractéristiques qui sont généralement associées aux hommes et aux femmes (même si le sujet est d’importance et qu’il appartient au coach d’être au clair sur sa propre vision des choses, comme nous l’évoquons en fin d’article), mais de voir comment cette question vient toucher les hommes et les femmes qui viennent chercher des accompagnements, individuellement ou en équipe, et de faire un tour d’horizon de ce véritable champ d’intérêt pour le métier de coach. Nous verrons en quoi ce sujet est d’actualité pour le coaching, puis nous pointerons quelques-uns des enjeux à prendre en compte dans les accompagnements, avant d’interroger l’éthique du coach en prise avec ce sujet.
Mots-clés : coaching, croyances aidantes, croyances limitantes, freins, genre, profession, travail
Introduction
Quand Blandine 1. Nom d’emprunt , une des coachés que j’ai accompagnés dans le cadre d’atelier mobilité – reconversion, a décidé de changer complètement de métier en passant du secteur de la petite enfance à celui des espaces verts, elle a dû surmonter deux types d’obstacles : ceux qu’elle se mettait elle-même en questionnant son parcours et ses motivations profondes, et ceux que les autres lui créaient en questionnant sa légitimité à être une femme dans un métier traditionnellement très masculin.
Il lui a en effet fallu un certain temps pour oser formuler, pour elle-même d’abord, qu’elle était attirée par les métiers techniques et d’extérieur. Et que oui, elle pouvait parfaitement avoir été heureuse dans le domaine de la petite enfance, et souhaiter aujourd’hui conduire des engins de chantiers. Une fois son envie affirmée, elle a dû ensuite convaincre les autres de sa légitimité, les rassurer sur le fait qu’elle pourrait très bien réaliser les tâches qu’on attendait d’elle, y compris celles demandant une certaine force physique, et que non, elle n’avait pas peur de déneiger des trottoirs en hiver à sept heures du matin, bien qu’elle soit une femme..
Le fait d’être une femme ou d’être un homme n’est pas anodin dans nos parcours de vie professionnelle (pour ne parler que de cette dimension). En tant que membre de l’une ou l’autre de ces catégories sociales, la société nous renvoie un certain nombre de normes, attentes, des injonctions plus ou moins explicites à être comme ceci ou comme cela, et cela pèse considérablement sur les choix de chacun et sur les interactions entre les personnes.
Dans notre ouvrage sur le coaching interculturel 2. Comment coacher une équipe multiculturelle – la dernière fois que j’ai été peint en blanc , Isabelle Vernay, Valérie Ogier, Editions Vie, 2015 , nous avions pris le parti de considérer que les différences de cultures (entre pays différents), celles qui sont le plus souvent mises en évidence dans les entreprises, ne sont qu’une des expressions des différences entre les gens, et que les processus à l’œuvre dans les équipes multiculturelles s’observent aussi bien dans des équipes franco-françaises, par exemple, où se retrouvent plusieurs cultures professionnelles, ou encore des gens de genres et de générations différents.
Ce qui se joue, à chaque fois, c’est la projection qui est faite sur l’autre de différences réelles ou supposées, projections qui, au lieu de rapprocher, peuvent éloigner et créer des clivages. L’enjeu est alors de trouver le subtil équilibre entre prise en compte de différences réelles pour pouvoir s’adapter à l’autre et travailler ensemble, et déconstruction des différences imaginaires, projectives, qui enferment l’autre dans une représentation figée.
Ainsi par exemple, les langues françaises et allemandes sont distinctes, elles constituent une différence visible et évidente entre français et allemands, et nécessitent un apprentissage pour pouvoir rentrer en communication. Outre l’apprentissage de la langue, il peut être primordial de prendre en compte différents aspects de la culture de l’autre, des tendances, des normes, des comportements communément observés, etc.. Il y a toutefois un risque à ériger ces tendances comme des vérités absolues, figées, et vraies pour tous, car on crée ou on renforce alors des stéréotypes, qui ne sont jamais constructifs pour aller à la rencontre de l’autre.
Etre un homme ou être une femme fait partie de ces différences qui sont évidentes et visibles, puisque nous sommes biologiquement différents. Toutefois autour, ou par-dessus ces différences visibles, se cumulent toute une série de différences réelles ou supposées, projetées par la société et les membres qui la composent sur chacune de ces catégories. C’est d’ailleurs cette distinction entre biologique et social qui a amené la naissance du concept de genre. Le genre permet en effet de rendre compte des rôles et fonctions assignés respectivement aux hommes et aux femmes et met en évidence le fait que ces rôles féminins et masculins évoluent différemment suivant les situations sociales, politiques, historiques, culturelles, économiques et religieuses d’une société. Ainsi par exemple, les différences biologiques font que seule la femme peut porter un enfant et accoucher. Par contre, le père comme la mère peut donner un biberon à l’enfant. Aussi, la répartition des rôles au sein de la famille, les talents et aptitudes supposés des femmes et des hommes et les assignations sociales qui pèsent sur eux relèvent-ils aussi d’une construction sociale – le genre – et non seulement de la réalité biologique.
L’objectif dans notre article n’est pas de discuter du vrai ou du faux des caractéristiques qui sont généralement associées aux hommes et aux femmes (même si le sujet est d’importance et qu’il appartient au coach d’être au clair sur sa propre vision des choses, comme nous l’évoquons en fin d’article), mais de voir comment cette question vient toucher les hommes et les femmes qui viennent chercher des accompagnements, individuellement ou en équipe, et de faire un tour d’horizon de ce véritable champ d’intérêt pour le métier de coach. Nous verrons en quoi ce sujet est d’actualité pour le coaching, puis nous pointerons quelques-uns des enjeux à prendre en compte dans les accompagnements, avant d’interroger l’éthique du coach en prise avec ce sujet.
En quoi ce sujet est d’actualité pour le coaching
Un monde du travail contraint par la loi
Depuis l’entrée massive des femmes sur le marché du travail en France après la seconde guerre mondiale, et la mise en place progressive de lois visant à réduire les grandes inégalités entre hommes et femmes au travail – citons notamment la loi du 22 décembre 1972 qui impose que « tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes » , on assiste depuis quelques années à une accélération d’adoption de lois en faveur de l’égalité professionnelle. Ainsi en est-il de la loi de 2014 pour « l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », qui réforme notamment le congé paternel et vise une meilleure répartition de responsabilités parentales (étant entendu que le partage des tâches familiales et domestiques a un impact direct sur les carrières et parcours professionnels des femmes), puis de la loi de 2015 portant sur le dialogue social, et celle de 2018 portant sur l’obligation pour les entreprises de plus de 1000 salariés de publier un index d’égalité femmes-hommes, obligation qui vient de s’étendre, ce premier septembre 2019, à toutes les entreprises de plus de 250 salariés..
L’ensemble des lois qui concernent aujourd’hui l’égalité professionnelle entre hommes et femmes couvrent des domaines aussi larges que l’égalité de rémunération, le déroulement des carrières, la parité dans les instances de dialogue social, la parité dans les conseils d’administration, la mixité des métiers, la non-discrimination à l’embauche, le harcèlement au travail, la présence des femmes parmi les gros salaires des entreprises, ou encore la prise en compte de l’impact différencié de l’exposition aux risques professionnels en fonction du sexe…
Ainsi l’arsenal légal plaide véritablement pour un changement des mentalités et des pratiques dans le monde du travail. On pourra discuter de l’effet réellement contraignant ou simplement incitatif de la loi – et donc de son impact véritable – mais retenons ici son intention, et ce qu’elle dit de l’époque.
Aujourd’hui les entreprises (les employeurs en général, car sont concernées aussi les employeurs publics), ne peuvent pas passer sous silence ce thème de l’égalité femmes-hommes et, même si le sujet est loin d’être encore une priorité, il faut s’attendre à des demandes d’interventions et d’accompagnement de plus en plus fréquentes.
L’intérêt économique des entreprises
Au-delà de l’effet contraignant de la loi, certaines branches d’activités contribuent à l’évolution des mentalités et la lutte contre les stéréotypes de genre. Et ce, pour une raison bien précise : le manque de main–d’œuvre et la nécessité d’élargir leur bassin de recrutement.
Rappelons en effet – et même si cela évolue vite – que les métiers restent aujourd’hui encore très sexués. « Les hommes dominent dans l’industrie (70 %), ainsi que dans les entreprises de plus de 5 000 salariés (60 %).
Les femmes sont, elles, majoritaires dans les organisations publiques (71 %) et dans les métiers de l’éducation et de la formation (55 %) » 3. Article web « Les métiers et filières encore très sexués », 4 janvier 2016, CGT, http://www.ugict.cgt.fr/articles/actus/metiers-filieres-sexues .
Pour une entreprise, conforter les stéréotypes existants sur ce qui est « naturel » comme métier pour un homme ou pour une femme, peut revenir à se priver de la moitié des travailleurs potentiels.
On a pu remarquer comment une politique volontariste dans le secteur de la conduite de bus en ville a eu des résultats spectaculaires. En quelques années, il est devenu commun de voir des femmes conduire ces engins, dans toutes les villes de France, quand c’était, jusqu’aux années 90, une prérogative purement masculine et un fait exceptionnel de voir une femme à ce poste.
D’autres branches d’activités ont joué la carte d’une communication convaincante, luttant ouvertement contre clichés et stéréotypes. C’est le cas notamment de la Fédération française du bâtiment, qui a multiplié les campagnes de communication valorisant la place des femmes dans ces métiers traditionnellement très masculins.
Il est à prévoir que, en cette période paradoxale où le travail manque mais où les employeurs se plaignent très souvent de ne pas réussir à recruter, à l’instar des secteurs d’activités que nous avons cités, les autres branches professionnelles vont se mettre petit à petit à vouloir lutter contre les stéréotypes qui enferment hommes et femmes dans des rôles prédéfinis, pour être sûrs d’attirer les bons profils, ceux qui auront les compétences et la motivation requises, quel que soit leur sexe.
Lutter contre les stéréotypes de genre va devenir, outre une obligation, un intérêt bien compris des employeurs pour cultiver leur performance.
Enfin, cette tendance à la mixité des métiers et à la présence des femmes comme des hommes à tous les niveaux de pouvoir dans les entreprises devrait être confortée par les études sur le sujet et qui font le lien entre mixité et performance. C’est le cas, entre autre, d’une étude de l’Organisation Internationale du Travail 4. « Femmes d’affaires et femmes cadres – enquête mondiale sur les entreprises », Organisation Internationale du Travail, mai 2019 , qui met en avant le surcroît de performance dans les entreprises qui favorisent la mixité (c’est-à-dire, selon les acceptions, une proportion au moins égale à 30% d’hommes ou de femmes), et ce en termes d’image, d’ouverture d’esprit, de bien-être des salariés, mais aussi de meilleure réponse aux besoins des clients de ces entreprises, et donc de chiffre d’affaire.
C’est un sujet social majeur aujourd’hui
Enfin, la question des rapports hommes-femmes est un sujet brûlant d’actualité, qui se décline en de multiples thèmes qui ont en commun de questionner le masculin et le féminin, le lien entre genre et sexe, les rôles et normes attribués aux unes et aux autres. Le 3 septembre dernier a été décrété journée nationale de lutte contre les féminicides en France, une approche du crime conjugal qui met en évidence la dimension « genrée » du crime. L’immense vague « me too » a permis à des centaines de femmes de s’exprimer sur les dominations ou harcèlements vécus dans leur quotidien, et le sujet est devenu commun dans les médias, ceux-ci abandonnant peu à peu le ton légèrement ironique habituellement utilisé pour parler des rapports hommes-femmes et des inégalités de genre en général.
A l’instar de l’écologie, qui commence enfin à être prise au sérieux par l’ensemble de la classe politique mondiale (avec, comme pour la question du genre, de très forts foyers de résistance), l’égalité femmes-hommes devient un sujet sérieux, important, et, s’il ne fait pas consensus, loin s’en faut, il est néanmoins aujourd’hui largement débattu.
Dans leur vie professionnelle comme dans leur vie personnelle, les individus, hommes ou femmes, sont amenés à se questionner sur leurs choix, à évaluer la part de conformisme social dans leurs actions passées, et à questionner leur propre désir, en s’émancipant (ou en se rapprochant) des attendus sociaux.
En tant que sujet marquant une forte évolution tant sur le plan économique que sociétal, la thématique des rapports de genre (ou faisant appel à cette thématique de façon sous-jacente) fera l’objet d’un nombre croissant de demandes d’accompagnement de la part des individus et des organisations.
Quel processus d’accompagnement pour des coachings en lien avec ce thème
Agir sur les freins et les croyances limitantes
Travailler sur le thème du genre, comme dans toute situation qui implique la question de la différence réelle ou supposée (qu’elle soit interculturelle, d’âge, de culture professionnelle..), passera avant tout par un travail sur les croyances, les représentations, les stéréotypes.
Rappelons que les stéréotypes sont le résultat « des clichés, images préconçues et figées, sommaires et tranchées, des choses et des êtres que se fait l’individu sous l’influence de son milieu social (famille, entourage, études, professions, fréquentations, média de masse, etc.) et qui déterminent à un plus ou moins grand degré ses manières de penser, de sentir et d’agir » 5. Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, A. Colin, Paris, 2005, nouvelle édition, p532 .
En assignant les femmes et les hommes à certains types de comportements, attitudes et capacités – et par extension, en les orientant vers des familles de métiers très distinctes – les stéréotypes de genre réduisent les champs des possibles pour tout le monde. Pour le coach qui accompagne les individus, seuls ou en équipe, les stéréotypes sont alors à considérer sous l’angle des freins et des croyances limitantes qui font obstacle à l’atteinte d’un objectif qu’une personne ou une équipe s’est fixé.
Notons que les stéréotypes de genre sont partagés aussi bien par les femmes que par les hommes. En d’autres termes, les femmes ont autant de représentations stéréotypées sur les femmes que les hommes peuvent en avoir, et il en est de même concernant les stéréotypes masculins. Certaines études montrent ainsi comment les petites filles ont intégré des stéréotypes dévalorisants concernant leur genre féminin. « Les enfants intègrent très tôt les stéréotypes liés au sexe. Selon une étude publiée par la revue américaine Science, dès six ans, les petites filles ont tendance à moins considérer les femmes comme étant « très très intelligentes », que les garçons du même âge pour les hommes » 6. Article « Stéréotypes: Dès six ans, les petites filles se croient moins «brillantes» que les garçons, 20 minutes, 27 janvier 2017, https://www.20minutes.fr/monde/2003951-20170127-stereotypes-six-ans-petites-filles-croient-moins-brillantes-garcons .
L’intériorisation des stéréotypes engendre une difficulté supplémentaire puisque la personne doit non seulement lutter contre les barrières que les autres lui érigent, mais aussi contre les siennes propres. Ainsi en coaching, nous accompagnons bon nombre de femmes qui, occupant des postes à responsabilités, se sentent injustement incompétentes et doivent lutter contre un sentiment d’illégitimité…
Pour agir sur les stéréotypes en coaching individuel comme en collectif, la première étape consiste souvent à accompagner les prises de conscience concernant l’existence même de normes sociales et des représentations qui en découlent, et du caractère mouvant, non figé de ces normes en fonction du contexte et du moment historique. Cela est vrai concernant toute différence culturelle. Concernant la question du genre, un rapide coup d’œil sur l’évolution de la place des femmes en France au cours du vingtième siècle suffit pour prendre la mesure du chemin parcouru. Ce qui est considéré comme « normal » comme comportement, attitude, aspirations etc.. chez une femme est très différent aujourd’hui de ce que c’était il y a tout juste cent ans, et ce sur tous les plans. Pour citer un exemple trivial, on ne s’étonnera pas aujourd’hui de voir une femme à vélo, alors que c’était inconvenant il y a un siècle. Certains s’offusquent aujourd’hui encore de voir des femmes jouer au foot 7. Voir la réaction d’Alain Finkelkraut à ce sujet : https://www.cnews.fr/videos/france/2019-06-07/video-alain-finkielkraut-naime-pas-le-football-feminin-et-ne-regardera-pas . Sans doute en sera-t-il autrement dans un siècle. Quoiqu’en pense chacun, le fait est que les mentalités et les mœurs évoluent et que la « norme » peut être sujette à débat. Prendre conscience de cela est la première étape pour qu’un individu ou un groupe puisse envisager le changement.
En coaching d’équipe ou de groupe, ce type de prises de conscience est facilité par la diversité même du groupe. En effet, si l’on considère la question du genre, le fait d’avoir dans un même groupe des femmes occupant des postes de pouvoir et d’autres des postes de plus basse qualification, ou des hommes dans des métiers très techniques et d’autres dans des métiers traditionnellement féminins, l’existence même de ces personnes et de cette diversité permet, plus que n’importe quel discours, de mettre à mal les stéréotypes, ces fameuses pensées généralisantes et simplificatrices.
Les prises de conscience peuvent demander plus d’efforts d’accompagnement au sein de groupes qui sont conformes à certaines représentations stéréotypées. Comme cela peut être le cas par exemple quand on accompagne des groupes de travailleurs sociaux – disons, travailleuses sociales – souvent exclusivement féminines, ou encore des équipes dans lesquelles la répartition du pouvoir est très traditionnelle (les hommes cadres, les femmes exécutantes). Il peut être tentant alors pour certains de voir dans ces répartitions sexuées la confirmation d’un ordre naturel des choses («le fait que toutes ces femmes travaillent dans le social montre bien qu’elles sont naturellement faites pour ça », ou encore « si les hommes sont plus souvent cadres que les femmes, c’est bien qu’ils ont plus d’autorité », etc…).
On pourra utilement dans ce cas-là chercher à provoquer une catégorisation croisée qui, en mettant en évidence d’autres groupes d’appartenance, engendrent une nouvelle dynamique de groupe et des interactions différentes entre ses membres 8. Nous dédions un chapitre à cette approche dans notre livre Comment coacher une équipe multiculturelle , chap. « Réduire les conflits intergroupes par la catégorisation croisée », p.95, op. cit. .
La notion de transgression de la norme
Travailler sur les questions de genre, ce sera souvent accompagner les personnes à s’autoriser à transgresser la norme, à être différent, en tant qu’homme ou que femme, de ce que la société attend (ou de ce que la personne pense que la société attend).
Dans le monde du travail, très concrètement, cela pourra être par exemple accompagner un jeune homme qui souhaite s’orienter vers le secrétariat ou vers la petite enfance, domaines encore vraiment réservés aux femmes, et où les hommes s’exposent potentiellement à des railleries et des discriminations (sans parler des suspicions de pédophilie pour les hommes qui veulent travailler en crèche).
L’accompagnement portera sur deux dimensions au moins : les propres représentations de la personne, le chemin qu’elle souhaite faire pour s’éloigner, le cas échéant, de la norme, et par ailleurs son rapport aux autres, sa capacité à s’affirmer et à assumer un choix différent. Souvent, les deux sont tellement imbriqués que la peur d’être exclu ou critiqué par les autres fait obstacle à l’expression même du désir d’être soi-même.
Notons ici l’impact très fort du contexte culturel sur la possibilité même de travailler cela. En effet en France, contrairement à d’autres pays où cela est plus difficile, il est possible pour l’individu de s’émanciper du groupe et de faire des choix de vie qui s’éloignent des valeurs dominantes de la société. La personne ne se retrouvera pas mise au ban de la société, ni en prison. Dans d’autres cultures, l’individu peut avoir beaucoup moins de marges de manœuvre et toute sortie du rang peut valoir une exclusion sociale réelle ou symbolique. Cela est d’ailleurs, pour Trompenaars, qui est un des contributeurs majeurs sur la compréhension des différences culturelles, l’un des marqueurs de différenciation culturelle entre les pays du monde : la plus ou moins grande latitude des individus de s’affranchir des normes sociales 9. Cette dimensions est souvent traduite par l’axe « individualisme – collectivisme », parmi 7 axes de différenciation culturelle identifiées par Trompenaars dans son ouvrage L’entreprise multiculturelle , F. Trompenaars, C. Hamden-Turner, éditions Maxima Laurent Dumesnil, 2008 .
Dans le contexte culturel français, et plus spécifiquement encore concernant les rapports de genre dans le monde professionnel, la latitude est grande, et une place importante est donnée à l’individu et à son épanouissement personnel. La question est plutôt d’aider le coaché à identifier son désir réel, au milieu de toutes les injonctions sociales parfois contradictoires.
En effet, nous réfléchissons à l’intériorisation de la norme sociale et culturelle par l’individu, et de la transgression potentielle de la norme. Mais de quelle norme parle-t-on ?
Le cas de Cécile 10. nom d’emprunt est éclairant. Cheffe de service dans une collectivité territoriale, son poste va disparaître et elle réfléchit à son repositionnement professionnel forcé. L’accompagnement de Cécile fait surgir le fait qu’au fond, si elle pouvait, elle cesserait de travailler, car ses motivations ne sont plus orientées vers le monde professionnel, et son désir serait de pouvoir consacrer plus de temps à son fils adulte handicapé.
Son frein principal : elle ne veut pas apparaître, comme elle l’exprime, « comme une femme au foyer dépendante de son mari ».
On voit bien ici comment une norme vient en replacer une autre. Comment l’injonction de subordination de la femme à son mari, qui a prévalu pendant des siècles, a fait place à l’injonction d’indépendance pour toute femme moderne qui se respecte… Plus exactement, plutôt que le remplacement d’une norme par une autre devrait-on parler d’une co-existence de normes, présentes à des degrés divers, et pouvant être vécues par les individus comme des injonctions contradictoires. Dans le cas de Cécile, « l’ancienne norme » – si on peut l’appeler comme ça dans un esprit de simplicité – de la femme dévouée à sa famille et son foyer est une norme repoussoir. En tous cas, Cécile ne veut pas être « que » ça. L’idée d’être potentiellement réduite à cette image (de la part des autres, mais surtout et avant tout dans son propre regard sur elle-même) lui fait renoncer à un autre désir, en tous cas aujourd’hui.
Ce sujet pourrait nous amener dans des pérégrinations passionnantes et complexes sur les questions sociologiques de normes sociales et leur intériorisation par les individus et par les groupes. Toutefois en tant que coach, notre accompagnement est ancré dans le concret, dans l’action, et surtout, orienté vers le coaché et son propre désir, sa propre autonomie. Aussi, s’il est intéressant et aidant pour le coach d’avoir une compréhension des phénomènes sociologiques qui sous-tendent les rapports individuels à la norme, dans sa pratique de coach, il va fixer son cap sur la représentation du coaché et sur le chemin que celui-ci voudra prendre ou non.
Respecter les représentations et les croyances aidantes du coaché
Ainsi faut-il prendre en compte certaines représentations qui sont utiles à la personne et l’aident à se construire. J’ai rencontré par le passé une femme, directrice de compagnie aérienne au Chili. Elle avait sous sa direction des centaines de personnes. C’était une manager aguerrie, travaillant dix heures par jour. Pourtant à l’écouter, son travail était très secondaire dans sa vie, sa priorité absolue étant ses enfants et sa famille. Elle se décrivait avec tous les atours traditionnels de la femme, utilisant les termes usités à ce moment dans ce pays pour décrire les « qualités naturelles » des femmes. Elle décrivait ainsi son style managérial comme maternel, doux, centré sur la bienveillance, etc..
Dans ce cas précis – et sans présager aucunement du « vrai » ou du « faux » dans cette description d’elle-même, on peut observer que la représentation qu’elle se faisait d’elle lui permettait d’être conforme aux attentes de la société chilienne de l’époque (tout en occupant une fonction exceptionnellement rare pour une femme), et d’être donc en accord entre ses propres valeurs, sa propre vie, et les valeurs de la société dans laquelle elle vivait.
Dans tous ses accompagnements, le coach aura pour préoccupation de vérifier « l’écologie » du coaché, c’est-à-dire l’alignement de ses actions avec ses valeurs, et l’assurance que le coaché avance dans un sens « qui est bon pour lui », quelle que soit la direction prise.
De façon générale, chacun bricole un discours sur lui-même qui lui permet « d’être soi avec les autres », d’être singulier dans un contexte culturel qui pèse, quoiqu’on en dise.
Certains vont très facilement s’éloigner de la (les) norme(s) (occuper un métier traditionnellement masculin ou féminin par exemple, sans que cela atteigne ou affecte négativement l’image de soi ou constitue une remise en cause, à ses yeux, de sa masculinité ou de sa féminité). Pour d’autres, tout éloignement de la norme peut être une souffrance. Là-dessus, le coach ne peut qu’observer et prendre en compte là où en est la personne et jusqu’où elle veut aller.
Pour revenir à la situation de Cécile, l’enjeu de l’accompagnement est de l’aider à trouver sa voie, celle qui sera acceptable pour elle en fonction de ses représentations et des croyances aidantes ou limitantes qu’elle voudra garder ou transformer. Aujourd’hui, l’idée de quitter son statut de travailleuse est trop dure pour elle car cela met à mal l’image qu’elle se fait de la femme qu’elle voudrait être. Son désir de s’arrêter de travailler et de s’occuper de sa famille est mis en balance avec son désir d’être une femme indépendante financièrement et disposant d’un statut social professionnel. C’est son choix, son écologie aujourd’hui. Demain, il en sera peut-être autrement, et peut-être pas.
Le travail sur les croyances est une trajectoire, un chemin, qui peut prendre des directions variées au cours de la vie. Ici, le non-jugement du coach est primordial pour ne pas influencer, de quelque façon que ce soit, les décisions du coaché en projetant sa propre représentation de ce qui est bon ou pas.
Travailler sur le genre de façon indirecte : l’intérêt d’outils tels que les Domaines de vie de Hudson
Quand on travaille sur les questions de genre, on se rend vite compte que c’est un sujet explosif, capable de générer beaucoup de tension et de cristalliser les positions les plus extrêmes. Un peu comme pour les sujets relatifs à la laïcité et les religieux, le risque est grand de tomber dans des querelles idéologiques qui – mêmes si elles sont passionnantes sur le plan de l’échange d’idées – ne permettent pas toujours d’avancer concrètement. Et rappelons que notre mission, en tant que coach, est d’accompagner de façon pragmatique et observable les personnes vers l’atteinte de leurs objectifs.
C’est pourquoi, à part si la demande du coaché, individu ou équipe, porte explicitement sur un accompagnement en lien avec la thématique, on sera le plus souvent amené à travailler la question de façon indirecte, en filigrane au travers des préoccupations du coaché.
Par exemple, en accompagnement individuel, j’aime beaucoup utiliser le protocole des domaines de vie de Frédéric Hudson. Dans son modèle, il suggère que tout individu partage sa vie en cinq grands domaines : la vie professionnelle, la vie familiale (les enfants, les parents, la famille proche ou éloignée), la vie amoureuse, la vie sociale (loisirs, engagements associatifs de toutes sortes) et la vie personnelle (son jardin secret, le temps que l’on consacre à s’occuper de soi et de personne d’autre). Il invite chacun à se demander quel temps et quelle énergie nous consacrons à chaque domaine et si cet équilibre nous convient. Par le biais de la métaphore, le coaché dessine une représentation de son choix. Tout est possible, de la bibliothèque où chaque étagère de livres représente un domaine, à l’ensemble de jardins, en passant par des bulles de savons, ou même un diagramme en camembert pour ceux qui sont plus à l’aise avec ce type de schémas.
Le coaché est invité à représenter son royaume tel qu’il est aujourd’hui, et à le représenter tel qu’il aimerait qu’il soit. Les deux dessins servent de support à la réflexion du coaché et à l’accompagnement du changement.
En mettant en évidence cinq domaines, ce modèle invite la personne à se questionner sur sa place et à relativiser le ou les domaines qui semblent les plus importants a priori. Comme j’accompagne de nombreuses personnes en repositionnement professionnel, c’est souvent le domaine de « vie professionnelle » qui accapare le plus d’énergie. La remise en perspective de la vie professionnelle au sein des autres domaines de vie peut permettre de redonner du souffle à des personnes parfois épuisées par leur recherche d’emploi.
Si l’on prend une perspective de genre, d’après mon expérience, les femmes ont plus souvent des prises de conscience concernant la faible place qu’elles accordent à leur domaine de « vie personnelle ». Nombreuses sont celles qui continuent de se définir comme mère, épouse et professionnelle, et ne s’autorisent pas, ou pas suffisamment, à avoir des occupations et des loisirs juste pour elles-mêmes.
Pour Estelle, policière municipale, c’est la conjonction du modèle des domaines de vie avec un protocole de retour sur les moments clés de sa vie, qui lui ont fait prendre conscience du fait que tous ses choix importants de vie, aussi bien personnels que professionnels, avaient été guidés, selon ses propres dires, par les exigences de sa vie conjugale. En d’autres termes, elle s’était adaptée aux contraintes de son mari, et se retrouvait à ce moment de sa vie où, séparée, elle était amenée pour la première fois à faire des choix par et pour elle-même.
Pour Julien, qui ruminait sur une promotion non obtenue, la mise en regard de sa vie professionnelle et de sa vie familiale lui a permis de redonner de la couleur à son parcours professionnel, en mettant à jour le fait que son travail était ce qui lui permettait de faire vivre sa famille selon les standards qu’il avait fixés, et que cet objectif était suffisant en soi pour redonner du sens à son quotidien professionnel.
On voit ici que la question du genre, des rôles impartis aux hommes et aux femmes, sont des questions sous-jacentes, qui ne sont pas exprimées d’emblées, mais qui affleurent quand on utilise des outils tels que les domaines de vie de Hudson, qui en posant cette problématique de l’équilibre des différents aspects de sa vie, vient percuter la division traditionnelle des tâches entre hommes et femmes (aux hommes la vie professionnelle et la charge de ramener de l’argent à la famille, aux femmes celle d’assurer les soins de cette dernière). On voit aussi que l’outil, s’il permet de nombreuses questions, n’apporte aucune réponse normative. Il n’est jamais suggéré, à aucun moment que, parce que l’on serait un homme ou une femme, il serait bon de passer plus ou moins de temps et d’énergie dans tel ou tel domaine.
Le coach et sa propre identité de genre
Nous ne pouvons éviter d’évoquer le propre rapport du coach avec l’image de soi en tant qu’homme ou que femme, son propre rapport à la norme et à ce qui est attendu de la société, et ce qui est attendu de la part du client qui projette des attentes sur le coach.
Il est coutumier d’avancer qu’en matière de coaching, contrairement à d’autres métiers, tels que le conseil, il est bon de « ne pas connaître » le métier de la personne coachée, de ne pas trop connaître son monde. Cela permet au coach de garder une certaine naïveté, un recul qui assure un garde-fou quant à la tentation de projeter sa propre vision des choses, de projeter ses connaissances, de s’identifier et donc de vouloir, plus ou moins consciemment, proposer ses propres solutions (rappelons qu’une des spécificités du coaching, en comparaison avec d’autres méthodes d’accompagnement, tient à l’intention de ne pas influencer, et de conduire un processus qui permettra à la personne (ou à l’équipe) coachée de trouver ses propres solutions).
Pourtant, il est de nombreuses situations où la résonnance est inévitable entre le coach et le coaché. C’est le cas dès que l’accompagnement touche de près ou de loin les questions de genre. En tant que personne genrée, l’histoire et les questions de l’autre font forcément écho à ma propre histoire d’homme ou de femme, ma propre représentation des choses. Le coach qui intervient sur ces questions (ainsi que sur le volet interculturel) a intérêt à être bien au clair sur sa propre identité masculine, féminine, ou pourquoi pas, transgenre, pour accueillir, sans en être bousculé, les pérégrinations de la personne coachée.
En tant que coach femme, je dois aussi composer avec les projections de mes coachés sur ma personnalité ou ma façon d’accompagner, en fonction de leurs propres représentations du féminin et des supposées caractéristiques d’un accompagnement mené par une femme.
Il serait intéressant d’ailleurs d’explorer plus avant le phénomène que nous observons en France notamment, et où la très grande majorité des coachs sont des femmes. Comment expliquer cela, dans la représentation du métier par les coachs eux-mêmes, par les clients et leur vision du coaching, etc.. . ?
La question sera d’autant plus importante pour les coachs (hommes ou femmes), qui vont travailler dans un contexte culturel qui n’est pas le leur d’origine. Comment le fait d’être une femme coach (ou un homme coach) va-t-il être perçu dans ce contexte culturel où on attribue telle ou telle caractéristique aux femmes (ou aux hommes) ? Comment cela va-t-il impacter l’accompagnement ? La représentation que l’autre se fait du coach sera-t-elle un obstacle, ou éventuellement un avantage, dans la relation d’accompagnement ?
Autant de questions qui mériteraient une étude à part entière.
Nous retiendrons pour l’heure l’impératif, pour le coach, de réaliser un travail en profondeur sur lui-même, sur ses croyances, ses représentations, et en l’occurrence, d’être au clair avec son propre parcours en tant qu’homme ou que femme, de façon à être à même d’accompagner des individus sur ces questions. Injonction à la connaissance de soi à la fois évidente quand on parle des métiers de l’accompagnement, et aussi abyssale, tant la question de l’identité féminine et masculine est une question complexe et mouvante !
Ethique et vision du monde du coach
Si la connaissance de soi du coach est un préalable indispensable pour accompagner les personnes en limitant les risques de projection et d’identification, il serait pourtant vain de croire qu’on peut coacher en toute neutralité, en s’appuyant uniquement sur les valeurs et croyances des coachés. En fait, cela est impossible, car les outils mêmes du coach, son processus, sa méthode pour favoriser les prises de conscience, vont dépendre de sa vision du monde, de ses intentions, de ses valeurs.
Un coach ne peut faire l’économie de s’interroger sur sa propre représentation et son propre rapport quant à la norme sociale, et s’interroger sur sa vision politique et philosophique du monde.
Vers quelle vision de la société est-ce que le coach tend ? Quel est son idéal quand il pense aux relations interculturelles, aux rapports hommes-femmes, à la place des uns et des autres, aux relations qui doivent se nouer entre les êtres humains ?
Quand j’interroge une femme en lui demandant : « comment pourriez-vous préserver, à vos yeux, votre identité féminine tout en travaillant comme conductrice d’engins de chantier ? », je présuppose, et transmets donc ma croyance selon laquelle il est possible « d’être femme » tout en occupant un métier traditionnellement masculin. Je transmets aussi une autre croyance, qui est que l’individu est capable de construire sa propre image de la féminité (ou de la masculinité, évidemment), en dehors et indépendamment des injonctions sociales. C’est son image à lui (elle) qui compte, sa représentation, son dialogue intérieur. D’autres pourraient ne pas partager cet avis, et adopter d’autres manières d’accompagner le renforcement de l’identité chez la personne. Mes accompagnements sont donc imprégnés de ma propre conception des choses.
De même, quand j’invite les personnes en reconversion à explorer un champ des possibles en dehors des fonctions sociales traditionnelles homme-femmes, je laisse entendre que ce champ existe par-delà les représentations traditionnelles du féminin et du masculin. Quand j’invite les travailleurs sociaux à chercher les points communs qui les rapprochent des personnes étrangères qu’ils reçoivent plutôt que de s’arc-bouter sur les différences perçues, je présuppose l’existence de ponts entre les êtres humains, ponts qui transcendent les différences culturelles. Dans ma vision des choses, celles-ci sont des couches superficielles, des filtres, des habillages qui cachent et rendent difficiles l’accès à un noyau humain, semblable aux quatre coins du globe. C’est cette croyance en la possibilité d’une rencontre, d’une compréhension intime de l’autre, quelles que soient ses différences apparentes, qui me permet d’affirmer que le lien est possible, et de dire, plus prosaïquement, dans le monde du travail, qu’on peut tout-à-fait surmonter les différences dans une équipe multiculturelle pour peu que l’on en ait envie.
Aussi, en tant que coach, je suis loin d’être neutre et je porte dans mes accompagnements la force de mes croyances et de mes propres convictions, ma vision du monde.
Aujourd’hui en France, comme dans d’autres pays, le débat sur l’égalité hommes-femmes a pris une très grande ampleur. Même si la loi est sans équivoque en faveur de l’égalité, les opinions quant aux manières d’y arriver ou quant à l’expression réelle de cette égalité dans les pratiques sociales peuvent être très divergentes.
Le concept même de « genre » est remis en cause, avec la publication de textes et de prises de positions sur la « théorie du genre », qui souvent confondent identité sexuelle (se sentir homme ou femme) et orientation sexuelle (être attiré par un homme ou par une femme) 11. Lire par exemple cet article du Monde de 2013 : « La « théorie du genre », nouvel ennemi de l’ordre « naturel », https://www.lemonde.fr/societe/article/2013/09/14/la-theorie-du-genre-nouvel-ennemi-de-l-ordre-naturel_3477606_3224.html . Positions qui sont souvent l’expression d’une peur viscérale de la confusion des genres, c’est-à-dire la peur d’une société dans laquelle on ne pourrait plus distinguer l’homme de la femme. Pour ces pourfendeurs de la théorie du genre, lutter contre les stéréotypes, favoriser la mixité des métiers mais aussi des jeux d’enfants dans les crèches, constituent les premiers pas vers une société sexuellement indifférenciée. Et cela leur est insupportable. Ces personnes, sans contester frontalement l’objectif d’égalité (par exemple l’égalité salariale, qui présente peu d’opposition ouverte aujourd’hui), défendent en réalité une vision duale de la société, dans laquelle femmes et hommes constituent deux catégories fondamentalement et irréconciliablement différentes.
Le féminisme lui-même revêt des courant bien différents et des conceptions parfois presque opposées, entre les tenants d’une approche essentialiste, pour laquelle il existe des différences naturelles irréductibles entre hommes et femme, et les tenants d’une approche culturaliste ou constructiviste, pour lesquels quasiment toutes les différences sont des constructions sociales (donc potentiellement déconstructibles..). Entre ces deux pôles, il existe de nombreuses autres représentations, et derrière ces représentations, différents projets de société.
Aujourd’hui enfin l’évolution des mœurs, mais aussi l’émergence (dans le sens de l’existence sociale) des phénomènes transgenres viennent d’autant plus bousculer la vision traditionnelle et duale du monde. Admettre l’existence de la possibilité d’un changement de sexe (et plus globalement, d’un changement de genre), ou encore admettre l’existence de personnes qui ne se reconnaissent dans aucun genre, c’est déjà fissurer l’image bien solide du monde divisé en deux. L’évolution de la société française avec le mariage pour tous, l’homoparentalité et les questions qu’elle pose, par exemple très concrètement autour de l’appellation des deux parents de même sexe, tout cela vient questionner les frontières du masculin et du féminin.
Avec ce changement de notre rapport au monde, nous sommes au bord d’une rupture épistémologique majeure, et c’est vertigineux.
Dans ce cadre, le coach, mais aussi le psychologue, le consultant, le conseiller, ainsi que tout accompagnant, ne peut faire l’économie de se questionner sur sa propre éthique, sa propre philosophie, et la contribution qu’il veut apporter au monde de demain.