Aurélien Chapelain
Première publication le 03/05/2018 – Article de recherche
Résumé
Parce que certaines constructions nécessitent d’abord une déconstruction, nous allons voir ensemble le contexte d’une discipline moderne : les neurosciences. Afin d’établir un cadre éthique et pragmatique nous allons tout d’abord briser les Neuromythes qui subsistent aujourd’hui, non seulement auprès du grand public ou de certains professionnels, mais parfois auprès de la communauté scientifique elle-même.
Mots-clés – Neurosciences, cognition, neuromythes, cerveau, vulgarisation
Dans le cadre d’un partenariat entre la société U Main Groupe et le département de recherche et développement de Linkup Coaching différents écrits autour des neurosciences seront publiés (sous forme d’article, d’essai et de livre).
Introduction
En 1990, le Président américain George W. Bush Senior a déclaré que « cette décennie sera celle du cerveau ». Barack Obama, quant à lui, a lancé en 2013, le Programme de recherche « Brain Initiative » ayant pour objectif d’accélérer le développement et les applications de technologies innovatrices pour améliorer la compréhension du cerveau humain. Afin de devenir leader de la recherche en neurologie, les Etats-Unis ont lancé un investissement de 100 millions de dollars. L’Union européenne, quant à elle, a mis en place un projet intitulé « Human Brain Project », supporté par 80 institutions et doté d’un financement d’un milliard d’Euros sur 10 ans.
Au cours des deux dernières décennies, la recherche neuroscientifique a connu un gain de popularité facilité, entre autre, par l’avancée technologique, la volonté scientifique et même politico-économique. Nous pouvons facilement constater un intérêt grandissant de la part des décideurs, des éducateurs, et plus largement des métiers de l’accompagnement (psychologues, coachs, ressources humaines, formateurs, management…) sans oublier celle du grand public. Ce phénomène est imagé par l’explosion du nombre d’articles de presse sur le sujet, qui bien souvent déclare des « révolutions » hebdomadaires sous l’étiquette des neurosciences.
Une popularité qui a évolué vers ce que certains considèrent comme de la « neurophilie », décrit par plusieurs scientifiques comme Joelle M. Abi-Rached en 2008, « The implications of the new brain sciences. The ‘Decade of the Brain’ is over but its effects are now becoming visible as neuropolitics and neuroethics, and in the emergence of neuroeconomies ».
L’attente est grande quant à l’opérationnalité des connaissances scientifiques sur le cerveau et ce à divers niveaux de la société. Les résultats neuroscientifiques ont le potentiel et sont amenés à influencer les prises de décisions politiques/sociétales, nos approches dans le management, dans le coaching, dans les connaissances en psychologie…
C’est dans ce contexte que nous voyons la prolifération de neuromythes, de méthodes pédagogiques, d’outils « révolutionnaires », ou de nouveaux titres (neurocoach, neuromarketeur…), pseudoscientifiques, soi-disant «basés sur le cerveau». Ceux-ci, issus officiellement des recherches neuroscientifiques, sont « étonnamment » rarement sourcées, et ont infecté différents domaines, comme l’éducation (Howard-Jones, Pickering et Diack, 2007, Howard-Jones, Franey, Mashmoushi et Liao, 2009) et les métiers de l’accompagnement, qui n’en font pas exception.
Définition d’un neuromythe
L’origine de ce terme est attribuée à Bruno Della Chiesa, chercheur et professeur à Harvard. Sans grande surprise, issue de la contraction de « neuro » et « mythe », ce terme renvoie à toutes les croyances infondées sur le fonctionnement du cerveau humain. Un neuromythe est une hypothèse scientifique invalidée par de récents travaux ou complétée, de manière à la rendre erronée. Les utilisations qui ont donc été faites de ces vérités et contre-vérités temporaires ou encore les diverses exploitations basées sur ces étapes de la recherche, deviennent alors à minima caduques / incomplètes voir même totalement fausses.
Ces enchaînements (découverte – exploitation – non adaptation aux vérités scientifiques connues) ont abouti à des contre-vérités sur le fonctionnement du cerveau.
Les neuromythes sont dénoncés par l’ensemble de la communauté scientifique. Ils sont particulièrement embarrassants lorsque l’on aborde le thème de l’éducation, de la P.N.L ou d’autres disciplines et ce, à cause des nombreuses dérives auxquelles ils peuvent donner lieu.
Histoire et genèse d’un neuromythe
L’OCDE, publie en 2002 un article qui décrit un résumé sur la neuromythologie qui sépare la science de la spéculation dans « Comprendre le cerveau : vers une nouvelle science de l’apprentissage, OCDE 2002, chapitre 4.6, pp.69-77. »
Un neuromythes commence généralement par un malentendu, une mauvaise interprétation et, dans certains cas, une déformation délibérée des faits scientifiquement établis pour faire valoir un argumentaire pertinent pour une pratique ou une discipline.
Comme nous l’avons déjà abordé, nous pouvons penser que cela est dû en partie aux nombreuses attentes quant à l’applicabilité de la recherche cérébrale pour la pratique de différents domaines, et ce, dans un climat de « neurophilie ».
Nous pouvons cependant nous poser la question suivante : Contredit et décrié, comment et surtout pourquoi les neuromythes perdurent-ils voir prolifèrent-ils ?
Mauvaise connaissance scientifique, des bases à la sur-vulgarisation
Les bases de la culture scientifique ne sont pas innées, et malheureusement trop peu étudiées de la part des médias qui prennent souvent pour acquis une étude scientifique. Le grand public peut, quant à lui, ignorer le fonctionnement de la recherche ou comment comprendre les résultats d’une étude…
Il est essentiel de comprendre le fonctionnement des études scientifiques (au-delà même des neurosciences) car l’évolution de la science est pourvue d’erreurs, de résultats remis à l’épreuve, rectifiés, affinés ou même contredits. Cela fait partie du processus sain de l’évolution des résultats scientifiques.
Au-delà même de ce sujet, les médias sont souvent à la recherche de la formule, du commentaire et de l’article le plus spectaculaire possible (internet titre ce phénomène sous le joli nom de « pute à clique »). Cela pousse aux articles de plus en plus spectaculaires, contre intuitifs, souvent partiels et partiaux, voir pavés de sophisme par association et de déformations. Il n’est pas rare de voir certains auteurs céder à des biais personnels tentants, qui conduisent à affirmer sans rigueur des ressentis trompeurs, qui nous arrangent, parce qu’ils nous semblent cohérents, tout en étant non fondés.
Il est courant de constater des déformations majeures entre les informations d’études scientifiques et les interprétations des médias ou de leurs lecteurs. La contextualisation de l’étude est pourtant essentielle, pour connaitre son état d’avancement, sa validité, les recommandations de poursuite d’étude qui ont été faites en conclusion, ou encore si elle a été contredite…
Les risques peuvent être parfois minimes, mais peuvent aussi être cruciaux.
Pour exemple en 2007, Joelle M. Abi-Rached, livre un article sur « Les implications des nouvelles sciences du cerveau. La Décade du Cerveau est terminée mais ses effets sont maintenant visibles comme la neuropolitique et la neuroéthique, et dans l’émergence des neuroéconomies ».
Sa publication revient sur les événements de l’élection présidentielle américaine. En effet, en Novembre 2007, sept neuroscientifiques, dont Marco Lacoboni, neuroscientifique à l’Université de Californie à Los Angeles, et différents consultants politiques ont publié un article d’opinion dans le New York Times, dans lequel ils faisaient des prédictions sur la façon dont les électeurs réagiraient aux candidats aux primaires démocrates et républicaines (Lacoboni et Al, 2007). La particularité de cette prédiction était quelle était tiré d’imageries par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) réalisées pour mesurer la réponse du cerveau de leurs sujets aux vidéos et photographies de Hillary Clinton, Mitt Romney, Rudy Giuliani et des autres candidats.
Sur la base de certaines zones du cerveau qui ont montré une activité, accrue ou diminuée, les scientifiques ont déterminé comment chaque personne avait réagi et en ont déduit, par généralisation, l’acceptabilité des candidats aux primaires auprès des électeurs indécis. Cependant, aucune de ces recherches n’a été publiée dans une revue soumise à un comité de lecture.
Trois jours plus tard, le New York Times publiait une lettre de 17 neuroscientifiques américains et européens critiques des conclusions de l’article initial et de la manière dont l’expérience avait été publiée (Aron et Al, 2007). Ces auteurs écrivent : « En tant que neuroscientifiques cognitifs, nous sommes très enthousiastes quant à l’utilisation potentielle de la technologie d’imagerie cérébrale pour mieux comprendre la psychologie des décisions politiques. Mais nous sommes affligés par la publication de recherches dans la presse qui n’ont pas fait l’objet d’un examen par les pairs et qui utilise un raisonnement erroné pour tirer des conclusions infondées sur des sujets aussi importants que l’élection présidentielle ».
A noter que l’article initial mettait Barack Obama et John McCain en large retard, pourtant Obama à bien été élu, et ce à deux reprises.
Dans un prochain écrit nous verrons comment, de manière simple, faires des recherches de résultats scientifique, et à la fois, où, comment, et les moyens d’exploiter au mieux ses informations.
Une attente à utiliser des résultats scientifiques de manière immédiate, prescriptive et directe
Dans le climat d’une société qui désire accélérer le pas constamment, la volonté d’appliquer immédiatement les résultats scientifiques est forte. Il est essentiel de comprendre que certaines sciences et particulièrement les neurosciences, encore jeune discipline, n’est pour le moment, pas à un stade prescriptif ou normatif pour la société. Nous savons que le processus de découverte scientifique est long et pavé d’erreur, de confirmation, de rétractation, et c’est d’ailleurs là toute l’honnêteté que l’on doit attendre des sciences.
Il n’est pas possible de passer du laboratoire de recherche au cabinet du psychologue, à l’éducation ou au management. Les résultats sont issus d’un environnement en laboratoire, et non d’un environnement réel avec toutes ces variables (je reviendrai d’ailleurs sur ce point dans un prochain écrit). Les sciences ne fournissent pas de réponse applicable en société, mais plutôt de nouvelles données à intégrer dans une réflexion au niveau politique, économique ou encore professionnel.
Je vous invite à suivre les écrits et la conférence passionnante d’Elena Pasquinelli, chercheuse en philosophie et sciences cognitives, professeur à l’école normale supérieure de Paris, qui nous invite donc à la prudence concernant l’application des découvertes en neurosciences à l’éducation et à la pédagogie (la neuroéducation).
Avec une certaine retenue et une honnête intellectuelle, les résultats actuels permettent simplement de poser les bases de réflexion, d’être confronté à d’autres approches…
Des intérêts pour d’autre disciplines
L’emploi des termes « neuro », « scientifique » et autre étant libre d’utilisation, nous en voyons rapidement des dérives. L’utilisation d’un vocabulaire scientifique donne immédiatement une forme de crédibilité à une pratique. Des études ont d’ailleurs été réalisées sur l’effet de persuasion des images de cerveau comme des images d’IRM. En effet, l’intégration de jargon, d’images, de schéma de cerveau donne plus d’impact et de crédibilité et rend convaincant un article et ce, même si son contenu n’est absolument pas pertinent.
Dans cette lignée, nous pouvons parler de la PNL (programmation neuro linguistique) dont le nom sous-entend et fantasme l’idée de pouvoir reprogrammer les connexions neuronales du cerveau. Cette approche est largement rependue dans les métiers de l’accompagnement, du coach au manager, particulièrement autour des sujets de communication. D’autres disciplines emploient la PNL comme la vente, le marketing ou encore la médecine. Au-delà des nombreuses polémiques autour de la PNL, nous nous concentrons ici uniquement sur la dénomination de cette discipline. La mise en avant du terme « neuro » est un argument crédibilisant et certainement marketing. Certes, le jargon de la PNL est technique et peut sembler scientifique mais l’approche quant à elle n’est en aucun cas basée sur une science et encore moins une neuroscience. Notez que les trois termes « Programmation » « Neuro » & « Linguistique » renvoient chacun à une science.
Le choix des mots est important et peut démontrer basiquement les fondements d’une approche. Ici j’expose le problème du choix conscient des noms de cette discipline, je ne rentrerai pas dans le débat de l’intérêt ou des bénéfices de la PNL. Cependant l’utilisation certainement marketing de ce terme pose d’ores et déjà des questions d’éthique et d’honnêteté intellectuelle.
Nous pouvons également faire un parallèle avec les termes récemment apparus dans des disciplines comme le management, le coaching et la P.N.L. L’utilisation de titres et de formules frauduleuses devient monnaie courante notamment à travers l’apparition des « neurocoachs », des « neuromanagers », des « masters coach » en passant par les « maitres praticiens en PNL ». Des titres clinquant mais qui jouent d’une frontière très fine.
Par exemple, le « master coach » n’est pas un coach issu d’un master universitaire, mais un coach ayant supervisé les stagiaires l’année suivant son diplôme (lequel n’est souvent légitime que dans l’organisme de formation délivreur du titre). Les coachs issus d’un master ou master 2 mettent souvent en avant la reconnaissance par l’Etat de leurs diplômes au RNCP et une éventuelle affiliation à une fédération de coaching, sous le titre de coach professionnel simplement. Pour le « maitre praticien en PNL », le terme praticien renvoie à la notion de thérapeutique, à la science médicale, et le maitre à l’expert, au diplômé de master ou au gourou au choix.
C’est pourquoi je pense que connaitre les Neuromythes est important afin d’identifier des approches en partie fausse, non mise à jour, voir tronquées.
Les Neuromythes les plus répandus
Les styles d’apprentissage VAH & le VAKOG
Ce neuromythe répandu avance que nous utilisons des canaux privilégiés pour l’apprentissage et la compréhension, et que l’utilisation d’un canal particulier et préféré améliorerai à la fois apprentissage et communication.
L’origine de cette approche semble issue d’une publication de Frédéric Vester, qui en 1975 publia « Penser, Apprendre, Oublier ». Il y explique que chaque individu utilise un ou plusieurs canaux / modalités sensorielles (auditif, visuel / optique, haptique/ kinesthésique et intellectuel) qui serait déterminés biologiquement.
La PNL a repris cette approche sous l’acronyme du VAKOG (Visuel Auditif Kinesthésique Olfactif Gustatif) puis VAK (les canaux Visuel, Auditif et Kinesthésique étant les plus répandu), en se fondant sur l’idée que chaque individu a un ou des systèmes représentationnels privilégiés, appelé aussi modalités sensorielles, dans le cadre de son processus de communication.
Largement employé à différents niveaux, des méthodes d’apprentissage à la communication, ce mythe est souvent associé à la théorie influente de Howard Gardner sur les intelligences multiples. Il remarque lui-même, que les gens le créditent souvent d’avoir inventé l’approche du VAKOG et que certains pensent même que les deux concepts sont la même chose. H. Gardner, désireux de soulager « douleur » et « distraction » causées par cette mauvaise interprétation, a écrit un article, dans le Washington Post, intitulé : « Intelligences multiples « ne sont pas des » styles d’apprentissage », dans lequel il explique, « Si les gens veulent parler d’un « style impulsif » ou d’un « apprenti visuel », c’est leur prérogative. Mais ils devraient reconnaître que ces étiquettes peuvent être inutiles, au mieux, et mal conçues au pire. «
La PNL utilise cette idée dans la synchronisation verbale et non verbale, qui aurait pour effet de facilité le rapport avec le client. Mais l’utilisation systématique de modèle comme le VAKOG, déterminé entre autres, par les mouvements oculaires, semble être une ineptie, une erreur et un joli brassage de vent.
Cette idée n’a aucune véracité scientifique et a une nouvelle fois tendance à enfermer une personne dans une case, et donc de la limiter. Le sujet des méthodes de communication comme la synchronisation, est très sensible, car souvent proche des méthodes de manipulation. Afin de garantir une bonne communication avec un collaborateur, un client, des outils simples comme l’écoute active ou la reformulation permettent à l’interlocuteur de voir notre écoute, notre empathie, notre compréhension précise de ces propos.
Le cerveau gauche et le cerveau droit
Au cours des âges, l’homme a souvent classifié en deux parties distinctes les compétences intellectuelles : d’un côté les compétences critiques et analytiques, par opposition aux compétences créatives et synthétisantes. Cette idée reçue, nommée la dominance hémisphérique ou l’hémisphéricité, est modélisée autour des deux hémisphères cérébraux et est devenue une doctrine importante en neurophysiologie particulièrement au 19e siècle.
Ce neuromythe est symbolisé à travers différents écrits, comme par exemple, le livre « Une nouvelle vision de la folie : la dualité de l’esprit », de Arthur Ladbroke Wigan (1844), retraçant l’idée des deux hémisphères cérébraux indépendants, ayant la capacité et la volonté de penser de manière indépendante. L’auteur ira même plus loin en expliquant que les deux hémisphères travaillent ensemble mais que dans certains cas, dont des cas pathologiques, les hémisphères travaillent l’un contre l’autre. Cette notion a connu un grand succès et s’est très largement répandue dans la culture populaire (exemple : « L’étrange affaire du Dr Jekyll et de M. Hyde » (1886), de Robert Louis Stevenson).
Le concept de la dominance hémisphérique attribue différentes caractéristiques de traitement de l’information à l’un ou l’autre des deux hémisphères cérébraux. On en conclut donc que l’usage dominant de l’hémisphère gauche ou droit détermine la manière de penser et la personnalité d’un individu.
La notion de styles de pensées hémisphériques différents repose sur une prémisse erronée : chaque hémisphère cérébral est spécialisé et chacun doit donc fonctionner indépendamment, avec un mode de pensée différent. Cette thèse est très éloignée des connaissances actuelles. En effet, elle utilise des découvertes scientifiques concernant les asymétries fonctionnelles qui aurait chacune un type de pensée cognitive différent. En outre, il n’existe aucune preuve scientifique directe soutenant l’idée que différents styles de pensée se trouvent dans chaque hémisphère.
Si l’on considère le style de pensée créative et émotionnelle de l’hémisphère droit, il n’existe aucune preuve scientifique qui corrobore une corrélation entre le degré de créativité et l’utilisation de l’hémisphère droit. De plus, une analyse récente de 65 études de neuroimageries sur l’émotion n’a trouvé aucun support scientifique à l’hypothèse d’une latéralisation hémisphérique droite globale de la fonction émotionnelle. Il n’y a pas de preuves scientifiques directes qui soutiennent un style de pensée analytique et logique pour l’hémisphère gauche, qui le prédétermine pour les tâches mathématiques, la lecture ou encore l’écriture.
A l’opposé, Stanislas Daheane a constaté que l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche sont actifs dans l’identification des chiffres arabes (par exemple 1, 2). D’autres données ont montré que les sous-systèmes des deux hémisphères sont activés pour certaines parties du processus de lecture, par exemple le décodage des mots écrits ou la reconnaissance des sons de la parole. Sur la base de ces découvertes scientifiques et de bien d’autres encore, les scientifiques pensent aujourd’hui que s’il existe des asymétries fonctionnelles, les deux hémisphères cérébraux ne fonctionnent pas isolément, mais plutôt ensemble dans toutes les tâches cognitives.
À la lumière de cette notion, utiliser la conception de l’hémisphéricité pour déterminer un profil ou orienté des choix pédagogiques, de communication devient plus que très discutable. Ici, le risque est d’autant plus important, qu’il existe de nombreux tests pour déterminer si une personne est dite cerveau gauche ou cerveau droit. Pour l’exemple le plus connu et basique, c’est l’observation d’une danseuse qui tourne sur elle-même, selon comment vous percevez le sens, vous êtes cerveau gauche ou droit. Cela me pose problème, pour plusieurs raisons. Logiquement la notion de cerveau gauche et droit n’existe pas, pourquoi alors opposer la logique à la créativité et chercher à déterminer un profil strict et limitant. En tant que coach professionnel, nous sommes amenés à déterminer des tendances, des facilités, mais nous ne pouvons pas aller au-delà. Limiter un client ou un collaborateur dans une case définie par « vous êtes ainsi » peut être problématique pour son développement personnel. L’homme est singulier et n’est pas fait pour être cerné par des cases limitantes.
La Brain Gym & programme d’entrainement cérébral
Nous pouvons penser que l’origine de ce neuromythe est issue de l’idée que le cerveau est un muscle. Partant de cette erreur, nous avons vu apparaitre de nombreux programmes de BRAIN GYM, des programmes révolutionnaires qui vous rendrons plus intelligent ou qui vont échauffer votre cerveau.
Créé par le couple Paul et Gail Dennison, le programme Brain Gym est né dans les années 70 en Californie. Ce programme avance la thèse que des mouvements spécifiques activent le cerveau et rendent son fonctionnement optimal pour le stockage ou la récupération de l’information. Ce programme s’est propagé dans le milieu éducatif et a été mis en avant par des « soi-disant » coach/conseiller, lancé dans plus de 80 pays, et traduit en 40 langues.
Des études scientifiques ont analysé cette « technique » et ont conclu, sans grande surprise, « Aucun programme n’a eu une influence significative sur la performance cognitive du participant, alors que des effets différents sur les niveaux de forme physique de l’échantillon ont été observés », Efficacy of Brain Gym Training on the Cognitive Performance and Fitness Level of Active Older Adults : A Preliminary Study. Cancela JM, Vila Suárez MH, Vasconcelos J, Lima A, Ayán C.
La Brain Gym ne s’appuie donc que sur des prétentions, des études non rigoureuses et des anecdotes.
Il existe aussi parmi ces programmes d’enseignements commerciaux et sous licences, des programmes d’entrainements cérébraux, dont le plus connu est le programme d’entrainement cérébral du Dr Kawashima sur Nintendo DS. Voici ici l’exemple même de l’exploitation d’un neuromythe. Ce produit, commercialisé avec un spot de publicité avec la somptueuse Nicole Kidman et la mise en avant du nom d’un neurologue Japonais, a pour idée de renforcer votre cerveau. Certains professionnels de l’accompagnement ont alors commencé à conseiller à leurs clients ce genre d’entrainement cérébral, pour la stimulation de la créativité ou encore de la réactivité.
Dans ce cas précis, l’impact n’est pas négatif, prendre du temps pour résoudre des équations n’est pas perdu. Mais l’idée d’une utilité intellectuelle et cérébrale est fausse. Voici comment Brain Gym, Nintendo et bien d’autre ont pu vendre de nombreux exemplaires de ces différents programmes.
Nous utilisons seulement 10% de notre cerveau
Ce neuromythe est certainement le plus populaire, repris à travers de nombreux format tel que des films, des séries télévisées, des romans de science-fiction, et ayant pour exemple récent des films comme « Lucy » de Luc Besson ou encore dans « The Limitless » de Neil Burger. Cependant aucune preuve scientifique n’a confirmé, ne serait-ce que partiellement, ce mythe. Les recherches ont, au contraire, démontré tout l’inverse. Chacun d’entre nous utilisons bien 100% de notre cerveau.
Comme pour les autres neuromythes, il n’est pas simple de retracer précisément l’origine et les moyens de diffusion de cette erreur. Selon les courants, certains attribuent ce neuromythe à William James, psychologue américain, qui, dans son livre « The Energies of Men », paru en 1908, a écrit : « nous n’utilisons qu’une petite partie de nos potentielles ressources mentales et physiques ».
D’autres sources parlent de Sigmund Freud, ou encore d’Albert Einstein qui aurait répondu à une question sur son intelligence : « je n’utilise que 10 % de mon cerveau ». Cependant, cet échange n’a jamais été reconnu ni considéré comme officiel. Nous pouvons également parler aussi du livre de Dale Carnegie dont la préface écrite par l’auteur américain Lowell Thomas nous livrait : “Le Professeur William James, de Harvard, disait toujours que l’homme moyen ne développe que 10% de ses capacités mentales latentes. Dale Carnegie, en aidant les entrepreneurs et entrepreneuses à développer leur potentiel, a créé l’un des mouvements les plus importants dans la formation des adultes ».
Parmi les travaux ayant certainement nourris ce mythe nous pouvons parler du psychologue Karl Lashley qui avait conclu à tort, entre autre, que le cortex cérébral n’avait aucune fonction spécifique.
Comme le présente l’OCDE sur son rapport sur ce neuromythe, une majorité de neuroscientifiques n’ont jamais adhéré à cette thèse pour différentes raisons : incohérence évolutive, aucune région du cerveau ne peut être déficiente ou manquante sans qu’il n’y ait de conséquence fonctionnelle. De plus, la cartographique actuelle des fonctions cérébrales ne laisse pas de place pour une région inactive.
Ce neuromythe a permis à certaines approches d’avancer l’argument de vous permettre d’accéder au 90% restant de votre cerveau ou encore à un potentiel du cerveau inexploré. Il existe de nombreuses approches basées sur ce mythe, utilisé par des gourous, en passant par certains auto-proclamés coachs, par la méditation spécifique ou encore par la glorification des drogues.
L’effet Mozart
Parler de ce neuromythe est ici l’occasion de parler des conséquences possibles de l’exploitation d’une erreur.
En 1993, une étude réalisée par Frances H. Rauscher, psychologue à l’Université de Whoshoa, et Gordon Shaw, physicien à l’Université d’Irvine, expose qu’écouter Mozart (précisément la Sonate pour deux pianos en Ré majeur) améliorait les capacités à résoudre des tâches d’intelligence spatiale. Cet effet fut baptisé « effet Mozart ». L’expérience a consisté à soumettre 36 étudiants en psychologie à trois conditions expérimentales d’une durée de dix minutes chacune.
Un premier groupe devait écouter l’Allegro con spirito de la fameuse sonate de Mozart, un deuxième groupe quant à lui devait écouter une piste audio avec des consignes de relaxation et un troisième restait en silence dans une pièce sans bruit. Pendant les quinze minutes qui ont suivi cette période, les chercheurs ont soumis les trois groupes à des tests de raisonnement spatial, abstrait et visuel, issus du test d’intelligence de Stanford-Binet. Les résultats ont été convertis en QI et il a été conclu que le groupe « Mozart » avait obtenu un QI supérieur à celui des groupes « relaxation » et « silence ».
Les résultats publiés rapidement dans la revue Nature, malgré le manque de rigueur dans l’analyse, ont connu un franc succès. Ce neuromythe s’est propagé et est devenu un phénomène de société. Appuyé par les médias et le marketing, le mythe s’est largement diffusé, avec au passage de nombreux profits économiques.
Pour ne prendre que quelques exemples de cet engouement :
- Les Etats de Georgie et du Tennessee ont lancé un programme d’investissement pour fournir à chaque nouveau-né un CD audio de Mozart.
- En 1999, The National Academy of Recording Arts and Sciences Foundation offre à plusieurs centaines d’hôpitaux des disques gratuits de musique classique.
- Les ouvrages de vulgarisation sur les effets positifs de l’écoute de musique classique sur la santé, l’apprentissage et d’autres domaines de la vie courante ont envahie des librairies et internet.
- Certaines entreprises ont entrepris de diffuser de la musique classique dans leurs bureaux pour augmenter la productivité, la créativité et la performance d’après ce mythe.
- La musique classique a été exploitée en tant qu’engrais pour favoriser la croissance de certaines plantes.
L’expérience initiale a pourtant été remise en cause, et même contredite. Le professeur de psychologie à la Appalachian State University, Kenneth Steele, a reproduit les protocoles établis par Shaw et Rauscher sans découvrir le moindre effet et ce, chez les 25 étudiants testés. Paru dans le magazine Psychological Science en 1999, l’article conclu « il n’y a que peu de preuves pour soutenir des programmes d’intervention fondés sur l’effet Mozart ».
Parmi les parutions notables pour dénoncer ce neuromythe nous pouvons parler de :
- John Bruer Fondateur de la James S. McDonnell Foundation, qui publie un livre « The Myth of the First Three Years, dans lequel il dénonce plusieurs neuromythes ».
- Scott O. Lilienfeld écrit quant à lui un livre sur les 50 grands mythes de la psychologie populaire.
En 2010, une équipe de recherche de l’Institut de recherche fondamentale en psychologie de l’Université de Vienne, a mené une méta-analyse statistique au travers de 39 études et plus de 3000 tests d’individus autour de l’effet Mozart. Publiée dans la revue Intelligence, la conclusion de la méta-analyse confirme qu’aucun lien précis n’existe entre l’écoute de musique classique et l’amélioration de la représentation spatiale.
Ce neuromythe est représentatif des risques liés aux diffusions d’informations tronquées ou d’erreurs délibérées. Les impacts sociétaux et économiques sont nombreux. Les investissements faits de la part des institutions, des entreprises, auraient pu certainement être orienté différemment. L’exploitation d’un neuromythe à des fins marketings révèle un manque de connaissance technique voir éthique.
Certes, écouter du Mozart ne rend pas plus intelligent, mais il semble évident que l’écoute de musique peut faciliter la créativité, l’émotion, ce sentiment agréable et appréciable, la fameuse intelligence musicale selon H. Gardner. Notons que les bienfaits fonctionnent pour Mozart et ses symphonies, mais également pour Amon Amarth et son Death Metal ou encore Tupac Shakur et son Rap.
Cerveau Reptilien, Limbique et Néocortex : La Théorie du cerveau triunique un neuromythe ?
La théorie du cerveau triunique décrit trois cerveaux distincts apparus au cours de l’évolution de l’espèce humaine : un cerveau reptilien, puis un cerveau paléomammalien (apparenté au cerveau limbique) et enfin un cerveau néomammalien (apparenté au néocortex).
Introduit par Paul Mac Lean en 1969, cette approche est aujourd’hui très controversée mais ne figure pas parmi les neuromythes. Cet outil théorique propose une modélisation de l’architecture fonctionnelle du cerveau et d’une forme d’organisation de ses aires de manière interdépendante. L’auteur avance un fonctionnement indépendant de chaque aire et va même plus loin : « Les trois cerveaux hérités de l’évolution coexistent difficilement sous le crâne humain ».
Son modèle se base sur les idées suivantes :
- La première aire, le cerveau reptilien, jeune de 400 millions d’années concernerait la survie, les fonctions de fuites, de plaisir et de peur.
- La seconde aire, le cerveau limbique, serait apparu avec les mammifères. Il concentrerait les fonctions de mémoire, d’émotions, d’apprentissage et l’instinct grégaire.
- La troisième aire, le cerveau néocortex, le plus jeune des cerveaux avec ses 3,6 millions d’années, date d’apparition des Australopithèques. Il concernerait les intelligences, la créativité, la solidarité.
Cette théorie comme les neuromythes expliqués plus haut a connu un franc succès et est encore aujourd’hui exploité dans de nombreuses approches et ouvrage de développement personnel (dont certains coachs ou encore en PNL), et même parfois dans certain milieu scientifique. Cependant, les connaissances actuelles issues de la neuroanatomie du cerveau viennent contredire ce modèle. En guise d’exemple nous savons aujourd’hui qu’une partie de « l’aire / système limbique » est impliqué dans des aptitudes cognitives élaborées : comme l’hippocampe, un des sièges de la mémorisation, de l’apprentissage, et la navigation spatiale… Encore une fois le cerveau est vu, aujourd’hui, comme un système interconnecté.
D’ailleurs la théorie se fragilise aussi d’un point de vue anatomique sur les animaux, il est connu depuis les années 80 que les reptiles possèdent une forme de système limbique et d’un néocortex (le « pallium ») comme tous les vertébrés. Nous savons que des reptiles comme le crocodile ont un comportement maternel très développé et donc opposé à l’idée du cerveau reptilien.
En conclusion, la théorie du cerveau triunique n’est pas listée parmi les neuromythes mais est très largement critiquée et bancale, son exploitation semble caduque.
Conclusion
La connaissance des neuromythes permet d’avoir une première arme afin d’aiguiser sa vigilance quant aux neuro-révolutions et plus largement face à certains domaines. Parmi les autres armes, nous pouvons noter simplement le bon sens. Il n’y a pas de méthode miracle, si cela parait trop beau et trop simple. C’est similaire aux fameuses « clefs du succès » ou encore « les secrets des leaders » que certains « coach » avancent. J’aime à rappeler deux choses simples « un professionnel vous enseigne, aide à renforcer une compétence, un arnaqueur vous révèle un secret » et que dans nos métiers de l’accompagnement (coaching, management…) une base est essentielle : « Il n’y a pas de secret, de moyens détourner de sauter les étapes, pour réussir il faut se connaitre, s’organiser, et surtout travailler ».
Une autre arme concerne aussi l’analyse conceptuelle et contextuelle, qui amène à lever beaucoup d’inepties.
A une époque où l’information transite à la vitesse d’une fibre optique et ce, sans distinction d’un article ou d’une théorie entaillée, l’esprit critique et le recul sont de rigueur. C’est aussi un point essentiel pour différencier les professionnels des autres.
Les disciplines exploitant encore ses neuromythes sont donc en erreur dans leurs approches, et nous pouvons-nous interroger sur leurs connaissances et leur formation continue. J’invite aussi certaines approches à se repositionner et changer leur vocabulaire pour plus d’honnêteté intellectuelle.
Les professionnelles de l’accompagnement, du coach au manager doivent faire preuve de rigueur et d’exigence dans leurs métiers et dans leurs recherches. La compréhension des processus de découvertes scientifiques est donc essentielle lorsque l’on parle de science.
Cet article est aussi un moyen de parler d’esprit critique, qui est essentiel aujourd’hui pour faire ses choix et s’entourer de professionnel digne de ce nom. N’oublions pas que nos recherches sur le net sont orientées, et que les résultats proposés par Google ne mettent que rarement en avant la critique.
Il existe beaucoup de chose à faire et à revoir, point sur lequel les prochains écrits reviendront aussi en détail.
Des axes d’améliorations existent et il est essentiel de proposer, chacun à notre niveau, des pistes pour créer et faciliter des croisements interdisciplinaires.
Une des idées concerne l’implication de la communauté scientifique à la diffusion de leurs recherches vulgarisées est fondamentale. De plus, afin de valider et d’accélérer les croisements interdisciplinaires la connexion entre recherche scientifique et métiers d’accompagnement semble être un prérequis afin d’assurer la bonne transition de la recherche vers la pratique.
Certaines actions ont d’ailleurs été lancées en ce sens, comme le lancement en 2007 de l’ENSN (European Neuroscience and Society Network), qui fournit une plateforme commune pour connecter scientifiques, sociologues, théoriciens de tout bord et d’école de pensée, sceptiques ou simple passionné.
Maintenant que les neuromythes sont déconstruits nous pourrons voir ensemble dans les prochains écrits la synergie possible entre les métiers de l’accompagnement et les neurosciences.