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Numéro 19 09/2024

Le rôle du coaching dans l’amélioration de la collaboration et de la communication interculturelle au sein des organisations humanitaires – Une approche par les compétences interculturelles

Nanthilde KAMARA

Nanthilde possède plus de 20 ans d’expérience dans le secteur humanitaire, où elle a travaillé au sein d’ONG internationales, d’agences des Nations Unies et d’entreprises sociales. Établie au Mali depuis une dizaine d’années, elle s’est engagée dans le coaching, partageant son expertise pour accompagner les professionnels et les organisations humanitaires dans leurs projets, en mettant un accent particulier sur le changement et l’innovation. Nanthilde accompagne l’adaptation au changement, l’intégration de nouvelles approches et technologies et le développement de stratégies visant à maximiser l’impact social et environnemental des initiatives et projets qu’elle soutient, dans le respect des valeurs et des objectifs de ses partenaires et clients.

 

Introduction

Dans un monde globalisé et en perpétuelle évolution, les enjeux de culture et de diversité culturelle occupent une place centrale dans les débats actuels, souvent marqués par des tensions identitaires. Dans le secteur humanitaire, la reconnaissance de la diversité culturelle s’est imposée plus récemment, devenant une priorité à la suite de la réforme humanitaire amorcée lors du Sommet Mondial de l’Humanitaire en 2016, notamment en lien avec les discussions sur la « localisation » de l’aide. Le mouvement « Black Lives Matter », déclenché par le meurtre de George Floyd aux États-Unis en 2020, a accentué les interrogations sur la diversité culturelle dans le secteur humanitaire, souvent perçu par certains acteurs des pays bénéficiaires comme « trop occidental, blanc et néocolonialiste ».

Cet article offre une opportunité d’explorer le potentiel du coaching pour encourager le secteur humanitaire et ses travailleurs à se questionner en profondeur sur eux-mêmes, sur leurs interactions avec les autres collègues ou bénéficiaires de l’aide, et à changer leur perspective, voire leur vision du monde, pour favoriser davantage d’échanges, de créativité, de cohésion sociale mais aussi à rendre l’action humanitaire plus efficace.

Le choix de ce sujet fait écho aux questions actuelles que se posent nos sociétés sur l’identité et la construction identitaire. Bien que cet article ne prétende pas être un travail académique sur la question complexe de l’identité, il aspire à apporter un nouvel éclairage sur le rôle potentiel du coaching professionnel dans ce domaine. La diversité culturelle touche plusieurs dimensions, englobant à la fois l’identité individuelle, la complexité des interactions entre individus, et leur relation avec les organisations. Ce sujet est donc particulièrement intéressant et riche à traiter sous l’angle du coaching.

Il existe une littérature abondante sur le coaching interculturel dans le monde de l’entreprise et de l’expatriation. Le secteur humanitaire, pourtant fondamentalement multiculturel, reste peu exploré à ce sujet. Cet article vise à contribuer à la réflexion sur la manière dont le coaching peut aider les travailleurs, managers, et leaders humanitaires à appréhender et s’ouvrir à la diversité culturelle, tout en accompagnant les organisations humanitaires à mieux intégrer cette diversité au niveau institutionnel, améliorant ainsi la collaboration, la communication interculturelle, et leur impact auprès des plus vulnérables.

À travers cet article, il s’agit de répondre à la question suivante : en quoi le coaching peut-il être utile pour accompagner les travailleurs humanitaires issus de divers horizons à améliorer leur collaboration et leur communication, en développant particulièrement leurs compétences interculturelles ?

Ce sujet complexe sera abordé en trois parties. La première partie se concentrera sur les définitions de la culture et de la diversité culturelle, sur la manière dont les organisations humanitaires traitent ces questions, et pourquoi cela est essentiel pour remplir leur mandat de sauver des vies. La deuxième partie explorera le rôle du coaching dans l’ouverture à l’autre, à sa culture et à son identité, en présentant certains cadres et modèles proposés par des coachs et des humanitaires, qui ont inspiré le choix des outils de coaching pour améliorer les compétences interculturelles des humanitaires. Enfin, la dernière partie examinera d’autres pistes où le coaching a tout son potentiel, ainsi que ses limites.

 

Diversité culturelle dans le secteur humanitaire et enjeux

« On refuse d’admettre le fait-même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit »

Claude Lévi-Strauss

Cette première partie pose les bases de l’analyse en explorant les définitions de la culture et de la diversité culturelle, ainsi que l’évolution de leur prise en compte dans le secteur humanitaire. Elle souligne l’importance de la diversité culturelle pour le secteur et propose un état des lieux actuel.

Culture et diversité culturelle : concepts, définition et champ d’application

 

Dans la déclaration universelle de la diversité culturelle[1], l’UNESCO définit la culture comme « l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et qu’elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».

Notre monde est riche de nombreuses et différentes cultures et cette diversité culturelle est définie par l’article 1 de la déclaration universelle de la diversité culturelle: « La culture prend des formes diverses à travers le temps et l’espace. Cette diversité s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités qui caractérisent les groupes et les sociétés composant l’humanité. Source d’échanges, d’innovation et de créativité, la diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant. En ce sens, elle constitue le patrimoine commun de l’humanité et elle doit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et des générations futures. »

Cette définition reconnait que la diversité culturelle est un patrimoine, une richesse pour l’Homme et qu’elle est en constante évolution, elle se construit en héritant du passé et à travers les déplacements géographiques. Face à cette constante évolution qui s’est accélérée avec la globalisation du monde, la prise en compte de la diversité culturelle est fondamentale pour garantir le « vivre ensemble », la paix et la cohésion sociale et pour aller plus loin, pour avancer, créer et innover. La diversité culturelle ne doit pas constituer un vecteur de différence, de rejet, d’exclusion, de conflit et de guerre dont malheureusement nous sommes souvent témoins mais au contraire être reconnue comme une source de richesse, un bien commun à l’humanité et comme une base à un dialogue et une solidarité entre les cultures.

En explorant le domaine de la diversité culturelle, on rencontre également le concept d’interculturalité. La diversité culturelle et l’interculturalité sont intimement liées et se renforcent mutuellement. La diversité culturelle fait référence à la richesse des différences en termes de cultures, de traditions, de langues et de modes de vie au sein d’une société ou entre plusieurs sociétés. L’interculturalité, quant à elle, se manifeste par les interactions entre ces différentes cultures, favorisant la compréhension, le respect et l’enrichissement mutuel. En encourageant le dialogue et l’échange entre des groupes culturellement variés, l’interculturalité permet de valoriser la diversité tout en contribuant à créer des ponts, à surmonter les préjugés et à promouvoir une cohésion sociale harmonieuse.

Philippe Rosinski[2], coach qui s’est intéressé le premier au coaching et à l’interculturalité, propose une représentation graphique de la culture, à l’image d’un iceberg avec une partie visible et une partie invisible, ces caractéristiques incluent des comportements observables (visibles) et des normes, valeurs et croyances sous-jacentes (invisibles). En parallèle, dans le modèle de l’oignon, les objets et produits apparents font référence aux manifestations de la culture – comportements mais aussi langue, art, cuisine etc. Les normes font référence à ce qui est considéré comme juste, approprié, et acceptable. Les valeurs constituent les idéaux d’un groupe. On peut considérer les hypothèses de base comme les croyances.

Source : Rosinski, P., & Lenhardt, V. (2009)

Diversité dans le secteur humanitaire : historique et définitions

Emergence des questions de diversité dans le secteur humanitaire

 

Les questions de diversité culturelle dans le secteur humanitaire sont relativement récentes et sont étroitement liées à l’histoire de ce secteur. Ces questions sont posées sous deux angles : reconnaître la diversité culturelle au sein du secteur humanitaire pour une action humanitaire plus efficace et efficiente et lutter pour des organisations humanitaires qui représentent davantage la diversité culturelle de ses travailleurs.

Premier du genre, le Sommet Mondial sur l’Action Humanitaire organisé à Istanbul en 2016, a marqué un tournant décisif pour le secteur en s’engageant à le réformer en profondeur pour plus d’efficacité et plus d’équité. Un acquis important issu de ce Sommet est l’accord entre bailleurs de fonds et organisations humanitaires de mettre au centre de l’action humanitaire les populations bénéficiaires et reconnaitre le rôle des systèmes de réponse locaux, régionaux et nationaux. Cet accord s’appelle le « Grand Bargain » (le grand pari) et se traduit par une volonté de « localisation » de l’aide et de reconnaitre la diversité culturelle comme un moyen d’action efficace et efficient.

Plus récemment, le mouvement « black live matter » suite à l’assassinat de l’afro-américain George Floyd et la crise de COVID19 ont également fortement marqué le secteur humanitaire et ont constitué deux facteurs déterminants de prise de conscience d’un système humanitaire nécessitant d’être repensé et « décolonisé » pour mettre un terme à un système identifié comme «  une hégémonie occidentale, avec des injustices, des privilèges « blancs » et d’oppression » [3]. Le dernier rapport sur l’état du système humanitaire de 2022 ou SOHS (State Of The Humanitarian System)[4] note que « pour le système humanitaire, cela a catalysé un nouveau niveau de débat sur le pouvoir et la diversité, en lien avec la poussée actuelle en faveur de la localisation et en donnant une nouvelle vigueur aux discussions auparavant marginalisées sur la décolonisation. »

Concept et définition de la diversité dans le secteur humanitaire :

 

Avec plus de 630 000 membres du personnel humanitaire, dont 90 % sont des ressortissants des pays dans lesquels ils travaillent, la prise en compte de la diversité culturelle apparait fondamentale pour le secteur humanitaire. En 2022, on comptait plus d’une cinquantaine de pays affectés par des crises et cadres d’opérations humanitaires.

Source : Development Initiatives based on UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA) Humanitarian Programme Cycle (HPC), INFORM Index for Risk Management, ACAPS, and UN High Commissioner for Refugees (UNHCR).

Il n’existe pas une seule définition de la diversité au sein du secteur et elle diffère entre les organisations humanitaires, qui la définissent en prenant en compte pour certaines les différences raciales, de genre, d’identité sexuelle et de classe sociale. Ces différentes définitions et interprétations de la diversité culturelle rendent d’ailleurs complexes les comparaisons dans le secteur.

Les définitions de la diversité sont assez larges et incluent également les concepts d’équité et d’inclusion que l’on peut trouver sous l’acronyme DEI (Diversity, Equity and Inclusion). Ainsi, selon le dernier rapport sur l’état du système humanitaire de 2022[5], « cela fait partie d’un ensemble plus large de questions de diversité, d’équité et d’inclusion. Le mouvement Black Lives Matter a suscité de nouveaux appels pour que le système résolve ces problèmes et a soulevé des questions sur le racisme dans le secteur».

A titre d’exemple, le Comité International de la Croix Rouge définit la diversité comme : « Diversity is about all the ways we are different. Inclusion is about making space for that difference. » ou « la diversité exprime toutes les façons dont on est différents. L’inclusion c’est de laisser de la place à cette différence »[6].

Le concept de diversité culturelle implique des dynamiques de pouvoir entre groupes « dominants », encore en grande majorité occidentaux, et groupes dominés, provenant des pays affectés par les crises humanitaires. On retrouve ainsi un lexique associé à la diversité culturelle qui inclut des termes tels que la décolonisation de l’aide ou la justice raciale.

Les enjeux de la diversité culturelle dans le secteur humanitaire

 

Les enjeux de la diversité culturelle sont nombreux et s’inscrivent dans une réflexion plus large d’une réforme du secteur humanitaire, plus diversifié, équitable, inclusif, plus juste.

Il semble qu’il y ait de plus en plus un consensus sur le fait que plus de diversité, d’inclusion et d’équité permettrait au secteur humanitaire de s’aligner davantage avec ses valeurs et d’être plus efficace. Cette prise de conscience au sein des organisations humanitaires va cependant nécessiter une réforme de fond et un changement de mentalité. Comme le déclare Martin Griffiths, le nouveau coordonnateur des secours d’urgence, « cela va être un changement générationnel de s’adapter au fait que le monde ne devrait pas être dirigé par le Nord, qu’OCHA ne devrait pas être dirigé par quelqu’un comme moi »[7].

Il existe peu de données disponibles sur l’état de la diversité au sein des organisations humanitaires et sa prise en compte à différents niveaux, que ce soit dans la gestion du personnel, du leadership, de la culture du lieu de travail, des politiques et stratégies ou encore de la programmation. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce manque de données : la problématique est récente (ou tout du moins, la prise de conscience de la problématique) et pas encore toujours intégrée au sein des organisations humanitaires, les définitions diffèrent et les outils d’évaluation ne sont pas encore assez éprouvés. Il existe aussi de fortes résistances à un niveau individuel et organisationnel. Comme le souligne le rapport de l’état du système humanitaire en 2022[8], « les recherches originales […] ont rencontré des difficultés similaires dans la collecte d’informations, ce qui suggère que de nombreuses agences ne collectent pas d’informations ou sont réticentes à partager ce qu’elles trouvent ».

Diversité et situation des travailleurs humanitaires

 

Le système humanitaire est largement hiérarchisé et dominé par des organisations basées dans les pays du Nord, avec des décisions centralisées et des bureaux dans les pays en crise, souvent gérés par des expatriés.

Selon le rapport 2022 sur l’état du système humanitaire, plus de 90 % du personnel humanitaire dans les situations d’urgence est national, mais ce personnel fait face à des écarts de salaire et de pouvoir par rapport à leurs collègues internationaux.

Les travailleurs locaux sont sous-représentés aux postes de direction, tant au niveau des sièges internationaux que dans les conseils d’administration, reflétant des problèmes plus larges de diversité, d’équité et d’inclusion.

Le manque de prise en compte de la diversité culturelle a des conséquences négatives pour les travailleurs humanitaires, pouvant entraîner des discriminations, du harcèlement, et des difficultés à signaler les abus en raison de procédures inadaptées, d’asymétries de pouvoir, et de craintes de représailles.

Ces discriminations affectent également les recrutements et la progression de carrière, avec un « plafond de verre » qui limite l’accès des travailleurs nationaux aux postes de management, souvent réservés aux expatriés, et où la maîtrise des langues internationales, notamment l’anglais, constitue une barrière significative. Les femmes sont particulièrement affectées, avec une progression de carrière plus lente que celle des hommes.

Le manque de diversité facilite aussi la cooptation basée sur la nationalité et les relations personnelles, rendant les systèmes de recrutement et de promotion opaques et inéquitables.

Leadership et diversité

 

Le dernier rapport sur l’état humanitaire souligne une amélioration de la diversité de genre aux postes de direction, avec 49 % des femmes occupant des postes de responsabilité au sein des agences des Nations Unies et 61 % dans les ONG internationales.

Cependant, les progrès sont beaucoup plus limités en ce qui concerne la représentation des personnes originaires des pays touchés par des crises, tant au niveau des conseils d’administration que des postes de direction dans leurs pays. Bien que les agences emploient un grand nombre de personnel national, seule une minorité accède à des postes de directeur pays ou de direction au siège.

Le leadership joue un rôle crucial dans la promotion de la diversité dans le secteur humanitaire. Il peut soit favoriser la diversité culturelle et l’innovation, soit constituer un obstacle. Une étude menée en 2021 par « Humanitarian Advisory Group » montre que les organisations avec un leadership divers et inclusif rapportent 25 % de plus d’innovation. À l’inverse, de nombreux travailleurs humanitaires, relayés par des articles comme ceux de « The New Humanitarian », critiquent le leadership pour son manque d’engagement et d’ouverture au changement, se demandant si ce n’est pas l’inaction des dirigeants qui freine la diversité.

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Impact au niveau de l’efficacité de la réponse humanitaire

 

Le manque de diversité culturelle au sein des organisations humanitaires impacte directement l’efficacité des réponses humanitaires. La réponse humanitaire dépend d’une évaluation précise des besoins des populations, et la diversité, qui implique une connaissance approfondie des communautés et de leurs besoins, est cruciale pour garantir l’efficacité de l’aide. Cependant, les organisations sont confrontées à des contraintes telles que l’urgence des situations, la pression des donateurs, et le manque de compétences ou de ressources, ce qui peut compromettre la compréhension des besoins réels des populations.

Des exemples illustrent comment une mauvaise compréhension du contexte culturel a conduit à des réponses inefficaces, voire dangereuses. Par exemple, au Nord du Tchad, des projets de production de spiruline ont échoué car ils ignoraient que cette activité était socialement réservée aux « forgerons » ou esclaves, et rejetée par d’autres ethnies. De même, des évaluations inadéquates dans d’autres contextes, comme en Syrie ou au Bangladesh, ont abouti à des programmes mal adaptés aux besoins réels des populations, notamment en négligeant les vulnérabilités spécifiques des femmes ou les besoins pratiques des filles scolarisées.

La capacité à comprendre, à évaluer et à adapter la réponse d’urgence la situation et les besoins dépend donc de la capacité, des compétences et de l’expérience des travailleurs humanitaires. L’étude sur l’état du système humanitaire reconnait que « le système repose toujours sur des stéréotypes sur l’identité des personnes marginalisées et le soutien dont elles ont besoin ».

 

Prise en compte de la diversité culturelle dans le secteur humanitaire : Etat des lieux

 

Le dernier rapport sur l’état du système humanitaire note que de nombreuses grandes ONG internationales ont mis en place des politiques et programmes pour améliorer la diversité de leur personnel. Ces initiatives incluent la nomination de champions de la diversité, des programmes de mentorat inversé, et des consultations à grande échelle. Cependant, l’efficacité de ces efforts reste limitée. Un atelier organisé par l’Initiative Humanitaire de Harvard a identifié plusieurs obstacles à la diversité, tels qu’une culture de la peur, le racisme structurel et un manque de financement pour les programmes de diversité, équité et inclusion (DEI).

Esther Lehmann-Sow, ancienne travailleuse dans le milieu des ONG et coach depuis 2 ans que j’ai interviewée dans le cadre de ce article évoquait le fait que « la majorité des ONG sont encore au niveau le plus bas en terme de prise en compte de la diversité. Elles préfèrent s’organiser autour d’un but commun, des valeurs communes, une même appartenance à l’organisation, plutôt que de valoriser les différences.

Des approches pour mieux intégrer la diversité dans le secteur humanitaire existent à trois niveaux : individuel, organisationnel, et méthodologique. Au niveau individuel, il s’agit de sensibiliser les travailleurs humanitaires à la diversité culturelle, aux biais inconscients, et à l’intelligence culturelle. Au niveau organisationnel, des actions comme la promotion de la diversité des idées et la facilitation du dialogue sont recommandées pour transformer la culture d’entreprise. Enfin, au niveau méthodologique, des cadres et outils d’évaluation sont proposés pour s’assurer que la réponse humanitaire respecte la dignité des populations et s’adapte à leurs spécificités culturelles.

L’étude sur le système humanitaire mentionne que « la majorité des bénéficiaires de l’aide et des praticiens humanitaires interrogés dans le cadre de nos études de terrain ont estimé que les évaluations des besoins humanitaires ne parvenaient pas à consulter les communautés de manière suffisante ou efficace. Une évaluation multi-pays a exprimé ce déficit d’engagement en termes clairs : « Il y a un manque de compréhension au niveau du terrain quant à la manière de s’engager régulièrement avec les communautés pour garantir la pertinence et la qualité des programmes. » .

Le Rôle du Coaching dans l’Amélioration de la Collaboration et de la Communication Interculturelle dans les organisations humanitaires

« Les humains doivent se reconnaître dans leur humanité commune, en même temps que reconnaître leur diversité tant individuelle que culturelle»

Edgar Morin

Le coaching[9] se définit comme une alliance entre le coach et ses clients dans un processus qui suscite chez eux réflexion et créativité afin de maximiser leur potentiel personnel et professionnel.

Pour accompagner l’évolution d’une personne, d’une équipe ou d’une organisation, le coach s’appuie sur l’art de la relation qui permet d’entrer en interaction avec quelqu’un d’une façon telle qu’il réalise les projets qu’il choisit de mettre en œuvre en transformant, si c’est pertinent, ses attitudes et ses compétences.

 

Cultures, Compétences interculturelles et coaching : définition et cadre d’analyse

 

La première partie du article a montré que la prise en compte de la diversité culturelle est fondamentale pour améliorer la communication, la collaboration et l’efficacité au sein des organisations humanitaires et rendre le secteur cohérent avec les valeurs qu’il promeut : humanisme, solidarité, justice sociale. Cependant, les efforts restent encore largement insuffisants et superficiels : ils devraient aller au-delà d’actions « tick the box »  telles que de nouvelles procédures (d’embauche, de promotion etc.), de nouveaux outils, de codes de conduite, de consultations ou de formations ponctuelles.

La prise en compte de la diversité culturelle touche tout le système d’une organisation, au niveau des individus, des équipes, des modes de communication, de management et de leadership. L’intervention de coachs, spécialistes de l’accompagnement centré sur l’humain apparait incontournable et le coaching professionnel répond pleinement à ce besoin.

Dans cette deuxième partie, l’accent sera mis sur le rôle du coaching dans le développement des compétences interculturelles, considéré comme un point d’entrée essentiel pour une meilleure prise en compte de la diversité, ainsi que comme un levier pour améliorer la communication et la collaboration au sein des organisations humanitaires.

Pour maintenir l’article à une échelle accessible et permettre une réflexion approfondie sur le rôle du coaching en matière d’interculturalité, il est proposé de se concentrer sur l’application des techniques de coaching au niveau individuel, en prenant en compte plusieurs catégories de travailleurs humanitaires. Enfin, la diversité culturelle sera abordée dans un sens large, en englobant non seulement les nationalités (par exemple, cultures française, malienne, américaine, etc.), mais également les dimensions professionnelles, organisationnelles et sociales.

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Coaching et compétences interculturelles : cadres d’évaluation des compétences interculturelles

 

Le coach peut jouer un rôle essentiel dans la prise en compte de la diversité culturelle à travers son travail sur les compétences interculturelles. Pour définir les compétences interculturelles, ce article s’appuie les derniers travaux de recherche de Margret Steixner[10] qui définit les compétences interculturelles comme « les capacités dont l’individu a besoin pour gérer le processus de développement de l’identité culturelle dans un environnement aux multiples perspectives ».

Mais comment évaluer le niveau des compétences interculturelles et leur progression possible grâce au processus de coaching ?

Il existe plusieurs modèles de référence qui permettent d’évaluer le niveau de progression des compétences interculturelles et qui peuvent être utiles au coach et au coaché pour évaluer l’impact du processus de coaching dans ce domaine.

Par exemple, Philippe Rosinski[11] propose un modèle de développement de sensibilité culturelle composé de sept niveaux ou sept étapes ou Margret Steixner[12] qui définit trois ensembles de capacités permettant aux individus de développer et d’acquérir des compétences culturelles, passant du « moi » à « eux » et au « nous ».

Un autre modèle utilisé par les coachs aujourd’hui est l’inventaire du développement culturel (ou Intercultural Development Inventory[13]) d’origine américaine : cet inventaire utilise des outils pour évaluer et faire évoluer les compétences interculturelles en considérant que le processus de développement des compétences interculturelles comme un continuum.

Ces trois modèles se rejoignent dans le sens qu’ils montrent une évolution graduelle du niveau de progression culturelle, une progression d’une absence de « détection » des différences (déni, minimisation, le « moi ») vers une compréhension et l’acceptation des différents cadres, et systèmes de valeurs, le « eux », et jusqu’à l’intégration et la co-existence de nouveaux systèmes de valeurs au système existant, le « nous ».

La spirale dynamique : compétences interculturelles et intelligence adaptative

 

”Ce que je propose, c’est que la psychologie de l’être humain mature est un processus en spirale, qui oscille, émerge et se déploie, marqué par la subordination progressive de systèmes de comportement plus anciens, d’ordre inférieur, à des systèmes plus récents, d’ordre supérieur, à mesure que les problèmes existentiels de l’homme évoluent.”

Clare W. Grave

 

Le modèle de la spirale dynamique de Clare Graves constitue un cadre d’analyse approprié de la gestion de l’interculturalité. La spirale dynamique cartographie des systèmes de valeurs et nous raconte l’histoire de l’interaction et de l’adaptation de l’individu à son environnement.

Les compétences interculturelles reposent sur la capacité d’un individu, d’un groupe ou d’un système à faire évoluer ses visions du monde pour accepter « l’autre », à adopter des nouveaux systèmes de valeurs pour s’adapter à de nouvelles conditions de vie ou à la différence.

En d’autre terme, la spirale dynamique nous montre que le travail sur les compétences interculturelles permet de développer l’intelligence adaptative.

Le coaching sur les compétences interculturelles constitue ainsi un coaching d’accompagnement au changement d’un système de valeurs vers un nouveau système de valeurs avec ses croyances, ses normes, ses idées et son éthique. Ces changements peuvent être plus ou moins importants : ils peuvent être mineurs et nécessiter quelques ajustements internes en se traduisant par un déplacement horizontal dans le même Vmeme. Le coaching peut demander à la personne des changements intérieurs plus importants qui vont se traduire par un déplacement vertical dans la spirale et d’un changement de Vême. Le coach devra alors adapter ses techniques de coaching afin d’accompagner la personne à sortir de son Vmeme traditionnel, de « changer sa carte du monde » comme le dirait Alfred Korzybski, de reconstruire sa réalité en s’assurant de sa sécurité écologique et ontologique.

 

Bateson et coaching de transition

 

Nous l’avons vu, le coaching sur les compétences interculturelles constitue un coaching de transition. Gregory Bateson apporte également des grilles de compréhension du changement que le coach peut mobiliser au cours de l’accompagnement des travailleurs humanitaires.

Comme le décrit très bien l’article de Linkup University[14], Bateson distingue deux types de changement qui peuvent intervenir dans un système humain : le changement de type 1 qui ne modifie pas l’équilibre du sujet, car il ne s’agit que de modifications à l’intérieur du système. La personne pourra effectuer quelques ajustements et mesures de correction qui suffiront à son adaptation. On pourrait supposer dans ce cas que le travailleur humanitaire a déjà développé un certain niveau de compétences interculturelles et qu’il sera ouvert à les faire grandir un peu plus.

Pour des travailleurs humanitaires avec un faible niveau de compétences interculturelles, un autre type de changement sera peut-être nécessaire et qui affectera le système lui-même. Dans ce cas, les personnes sont confrontées à un changement de type 2 qui nécessite un processus d’apprentissage et de reconstruction de la réalité de la personne, passant par l’acquisition de nouvelles attitudes mentales. C’est ce que Bateson appelle « le changement de paradigme individuel, le grand bouleversement qui entraîne un repositionnement, un moment de dissonance, où la construction identitaire vacille ». Ce changement de paradigme va nécessiter un apprentissage qui vise alors à transformer des mentalités, de réinterpréter la réalité, d’acquérir de nouvelles croyances, de nouvelles valeurs et de nouveaux comportements. Face à un « choc des cultures », cet apprentissage va permettre l’émergence d’un changement profond et durable.

 

Utilisation des outils et techniques de coaching pour développer les compétences interculturelles

 

A partir des modèles et outils développés dans la partie précédente, le coach va s’engager avec son client dans un processus d’accompagnement au changement selon une approche de restructuration cognitive.

Chaque travailleur humanitaire est différent et unique, de par son parcours de vie, sa construction de son identité à travers toutes ses expériences et en fait un sujet complexe. On pourrait trouver des travailleurs humanitaires sur l’ensemble du « continuum culturel » ou sur les Vmeme de Graves.

Le coach travaillera sur un large éventail de niveau de sensibilité culturelle, par exemple au niveau de la « prise de conscience culturelle » qui correspond au premier stade des compétences culturelles, à l’éveil aux autres et sortir seulement du « moi ». Le coach pourra travailler à des stades plus avancés, sur des changements horizontaux ou verticaux de Vmemes, sur différents degrés d’évolutions de systèmes de valeurs, pour aller plus loin, vers le « nous ».

Mon expérience et les entretiens avec des professionnels du coaching dans le secteur humanitaire confirment qu’il est rare que les clients travailleurs humanitaires prennent contact avec un coach pour une demande explicite et clairement formulée « d’améliorer leurs compétences interculturelles ».

La demande est en général beaucoup plus large comme par exemple « je veux améliorer le climat d’équipe » ou « je veux faire progresser ma carrière professionnelle ».

Esther Lehmann-Sow, ancienne travailleuse dans le milieu des ONG et coach depuis 2 ans basée au Sénégal me partageait le cas d’une femme à un niveau de senior management au sein d’une organisation humanitaire au Sénégal qui l’avait contactée pour un accompagnement professionnel car elle ciblait des postes d’executive director. Tout au long de son parcours professionnel, la cliente n’avait jamais été encouragée ou mentorée, elle se sous-estimait et minimisait son potentiel. C’est à travers le questionnement sur la situation et notamment sur les causes de cette situation que l’aspect culturel est ressorti « je ne suis qu’une femme (sénégalaise) et j’ai peu de chances d’avoir ce poste ».

C’est pendant les phases de clarification de la demande, de détermination de l’objectif et de l’exploration contextuelle que le facteur culturel pourra ressortir en tant qu’élément déterminant à prendre en compte dans le processus de coaching : il peut ressortir sous forme de croyances (limitantes) en abordant les questions d’obstacles, d’inconvénients comme l’exemple ci-dessus ou comme une ressource nécessaire à l’atteinte de l’objectif.

Le coach pourra alors considérer de travailler avec son client sur ses compétences interculturelles et lui permettre d’atteindre son objectif.

L’objectif du questionnement va permettre:

– D’effectuer un diagnostic du client :

  • Est-il ouvert au changement, à s’ouvrir à d’autres visions du monde, ou au contraire arrêté ou fermé ?
  • Quelle est son identité, quel est son « Vmême » ? Le coach va alors explorer avec le client sa vision du monde, ses valeurs, ses croyances et ses croyances limitantes

– D’évaluer l’adéquation du Vmème à sa réalité et éventuellement créer une dissonance par le questionnement si cela s’avère nécessaire en prenant en compte sa sécurité écologique et ontologique

– D’identifier les obstacles de son ancien système de valeurs et trouver des solutions pour lever ces obstacles

Et de l’accompagner pendant et après le changement pour s’assurer qu’il intègre une nouvelle « carte du monde » dans les meilleures conditions tout en garantissant sa sécurité ontologique.

Les parties suivantes présentent plusieurs profils ou personas de travailleurs humanitaires qui sont confrontés à des problématiques personnelles ou professionnelles et seraient amenés à entamer un processus de coaching qui nécessite de travailler sur les compétences interculturelles pour leur permettre d’atteindre leur objectif. Cette approche par profil, en évitant les pièges des stéréotypes et des caricatures, permettra de proposer des outils et un processus de coaching concret et réaliste tout en reconnaissant que chaque travailleur humanitaire est différent et unique.

Compétences interculturelles chez les travailleurs humanitaires internationaux ou « expatriés »

 

Les travailleurs humanitaires internationaux, souvent en position de management, sont régulièrement envoyés dans des pays qu’ils connaissent peu, pour des missions de courte durée allant de 3 à 12 mois. Dès leur arrivée, ils font face à plusieurs défis : diriger une équipe multiculturelle, prendre des décisions rapides dans un environnement inconnu, et s’adapter à des modes de vie et de pensées différents. Pour réussir, ils doivent faire preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’ouverture à la diversité.

Bien-être et stress Le travail humanitaire est particulièrement intense, surtout lors de crises aiguës comme les débuts de conflits ou de catastrophes naturelles. Ces situations exigent une intervention rapide pour répondre aux besoins essentiels des populations touchées (abri, nourriture, eau, soins de santé). Les travailleurs sont souvent exposés à des scènes tragiques et choquantes, ce qui peut entraîner un stress élevé. De plus, les conditions de vie sur le terrain peuvent être rudimentaires, avec des logements précaires, un accès limité à l’eau et aux sanitaires, et un environnement climatique difficile. Ces conditions, combinées à un « choc des cultures », peuvent engendrer des sentiments de découragement, de tristesse, voire mener à l’épuisement professionnel.

Ethique et culture Les travailleurs humanitaires internationaux peuvent être amenés à prendre des décisions qui posent des dilemmes éthiques, particulièrement en ce qui concerne l’application des principes humanitaires dans des contextes culturels spécifiques. Par exemple, à l’Est du Tchad, la question de savoir comment gérer la présence d’hommes armés de couteaux traditionnels sur des sites de distribution alimentaire pose un défi de sécurité. De même, au Cambodge, décider d’amputer ou non un enfant victime d’une mine contre la volonté de sa mère, qui craint pour la réincarnation de son enfant, illustre les tensions entre normes culturelles locales et décisions médicales.

Position et relations de pouvoir En tant que managers, les travailleurs expatriés se retrouvent souvent en position de pouvoir vis-à-vis de leur équipe nationale. Certains peuvent développer un sentiment de supériorité, fondé sur leurs diplômes, leur expérience internationale, ou leur maîtrise des langues internationales. Cette dynamique peut nuire à la collaboration et créer des tensions au sein de l’équipe.

Isolement ou entre-soi Il est fréquent que les expatriés se regroupent entre eux, limitant leurs interactions avec les populations locales en dehors du cadre strictement professionnel. Ce repli sur soi peut entraver une véritable intégration culturelle et limiter l’efficacité des interventions humanitaires.

Culture de l’organisation et valeurs Les travailleurs humanitaires expatriés adhèrent souvent à des valeurs fortes de solidarité et d’humanisme, propres au secteur. Cependant, ces valeurs peuvent entrer en conflit avec celles de leurs collègues locaux, qui peuvent percevoir le travail humanitaire principalement comme une source de revenu. Ces divergences peuvent entraîner des incompréhensions et des tensions, voire des conflits. Par exemple, un expatrié peut être frustré de constater que ses collègues locaux respectent strictement les horaires de travail alors qu’il travaille sans relâche, percevant cela comme un manque d’engagement.

 

Sur quoi va s’appuyer le coaching?

 

Le travail sur les croyances, les valeurs et les normes est fondamental dans le cadre d’un processus de coaching sur les compétences interculturelles : les normes, les croyances, les stéréotypes sont au coeur de l’identité et de la culture et elles conditionnent la capacité à s’ouvrir aux autres, à faire évoluer son système de valeurs.

Le coach travaillera sur la carte des Croyances, Valeurs, Besoins, Limites et Parasitages (CVBLP) qui permet d’aborder les croyances limitantes, le sens de ce qui est important (valeurs), les attentes (ou besoins), les limites de ce qui est possible à réaliser ou pas en termes d’acceptation, les démarches contre-productives ou les auto-sabotages (parasitages) et enfin les émotions.

Le coach travaillera sur les croyances et notamment les croyances limitantes en utilisant les domaines de conscience de Bateson, comme décrit dans le support pédagogique du coach fourni par Linkup[15]. Il remettra son client dans son environnement et dans une situation précise.

Le coach pourra alors détecter des croyances limitantes, des blocages sur lesquels il pourrait retravailler avec le client. Il pourrait aussi aborder certaines questions pour clarifier des normes et des croyances qui pourraient être en inadéquation avec l’environnement dans lequel travaille ou évolue le travailleur humanitaire expatrié. Il s’intéressera par le questionnement à la perception du client des systèmes de valeur des « autres », des membres de son équipe par exemple :

« Que pensez-vous juste ou injuste ? Approprié ou inapproprié ? , « Quelles sont les règles que vous suivez dans votre vie ? », « Quelle est votre vérité ? », « Qu’est-ce que vous considérez comme vrai et faux ? ».

Il pourra aussi confronter ces réponses à ses perceptions des autres « est-ce que vous partagez la même vérité que votre équipe, dans le pays ou vous travaillez actuellement» ?

Le coach travaillera sur les valeurs à travers ce questionnement :

Qu’est-ce qui est important pour vous ? Comment vos valeurs se manifestent ? Comment elles se nourrissent ? Ainsi, je poserai la question de « Quelles valeurs pensez-vous partager avec vos collaborateurs, votre équipe ? », « Comment le savez-vous? ».

Il va également travailler sur les émotions (colère, tristesse, peur…) pendant le processus de coaching et sur le sentiment d’empathie. Carl Rogers, psychologue américain, définit l’empathie ainsi : « l’empathie consiste à saisir, avec autant d’exactitude que possible, les références internes et les composantes émotionnelles d’une autre personne et à les comprendre comme si l’on était cette personne. »

Ainsi, il poserait les questions suivantes : « Qu’est-ce qui est différent à propos des autres cultures dans votre pays de mission? », «Comment vivez-vous ou ressentez-vous ces différences ? », « Quel est l’impact sur vos attitudes et comportements ? ».

J’ai collaboré avec certains travailleurs humanitaires expatriés qui se sentaient supérieurs vis-à-vis de leurs collègues ou de leur équipe nationale. Ce sentiment de supériorité pouvait prendre différentes formes et se traduire par exemple par des comportements type – parler mal à son collègue national à coup d’injonctions ou d’ordres donnés, rabaisser un ou plusieurs collègues en réunion «ce que tu dis n’a pas de sens », rejeter systématiquement des propositions des membres de son équipe, être directif et imposer ses décisions sans consultations préalable etc.

Ce n’était pour la plupart d’entre-eux pas conscient et ces comportements pourraient être expliqués par certains par la « différence culturelle ». Je pense au contraire que ce collègue a un niveau de compétences interculturelles très limité, au stade de déni de l’outil IDI (Intercultural Development Inventory[16]) et au Vmeme rouge selon la spirale dynamique.

Dans ce contexte, je pourrai être contactée par un de ces collègues avec une demande de coaching pour faire face à des problématiques de fonctionnement d’équipe « je manage une équipe qui n’est pas efficace, mes collègues ne sont pas impliqués et cela impacte le travail et ma charge de travail, je croule sous le boulot ». Sa demande porterait donc sur un accompagnement pour améliorer la dynamique d’équipe et diminuer sa charge de travail.

J’orienterai mon questionnement pour me permettre d’évaluer son ouverture au changement et à l’autre. Si je perçois une ouverture, je poserai des questions pour créer une dissonance chez ce client afin qu’il puisse faire évoluer sa vision du monde, qu’il modifie ses croyances sur ses collègues, qu’il se débarrasse de ses stéréotypes.

Dans ma démarche de clarifier la demande, je lui demanderai de me raconter la situation qu’il vit, qu’il décrive son travail, ses collègues, sa relation avec eux. Je lui demanderai selon lui, quelles sont les causes de cette situation pour faire ressortir ses croyances limitantes.

Nous travaillerions aussi sur les croyances limitantes qu’il pourrait avoir sur les membres de son équipe (son environnement) et ses propres croyances limitantes (son identité et ses capacités) :

ils ne sont pas capables de ….,  ils n’arriveront jamais a …, ils sont trop …, ils ne sont pas assez …, ils ne méritent pas … Ce que je n’aime pas chez eux c’est …

J’ai toujours le problème de… parce que… ; Je ne réussis pas complètement dans… parce que ;

Je n’arrive pas à…,

Je creuserai sur les aspects de pouvoir et du sentiment de supériorité : j’ai toujours raison parce que … je suis meilleur parce que …

J’utiliserai la position méta pour le questionner sur ses croyances : ils ne sont vraiment pas capables de ? Comment le savez-vous ? Ils ne sont pas assez … ? Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour qu’ils soient assez .. ?

Je lui poserai des questions sur ses valeurs et comment il perçoit celles de ses collègues : « Quelles valeurs pensez-vous partager avec vos collaborateurs, votre équipe ? », « Comment le savez-vous? »

 

Nanthilde Kamara

 

En fonction du niveau de compétences culturelles du client, l’intentionnalité du questionnement est de favoriser la prise de conscience d’autres cultures ou de faire évoluer son système de valeur vers l’acceptation d’un autre système de valeur qu’il souhaite et qui lui convient.

Le coach pourra travailler avec le client sur un plan d’action qui intègre la dimension culturelle:

  • Il travaillera avec lui (ou elle) sur les solutions possibles pour atteindre son objectif : « qu’est-ce que vous pouvez faire évoluer pour atteindre votre objectif » ? « Voyez-vous des obstacles à atteindre votre objectif ? »
  • Il travaillera avec lui (ou elle) à mettre en place des actions pour renforcer sa connaissance du pays où il travaille: commencer à apprendre quelques mots de la langue du pays (salutations, remerciements etc.), de lire quelques ouvrages sur le pays et sa culture
  • Il travaillera avec lui (ou elle) également à mettre en place des actions pour interagir davantage avec son équipe et ses collègues nationaux par exemple et mieux les connaître : , aller faire un tour de la ville avec un collègue si la sécurité le permet, poser des questions à son équipe ou à ses collègues nationaux sur leur culture : la cuisine et les plats, la danse, les fêtes traditionnelles, lire les rapports d’évaluation de besoin et poser des questions à son équipe, préparer et aller en mission d’évaluation avec ses collègues sur le terrain si la sécurité le permet.

Compétences interculturelles chez les travailleurs humanitaire nationaux

 

Les travailleurs humanitaires nationaux, souvent en première ligne, font face à des défis uniques liés à leur environnement local, notamment des conditions de travail difficiles, des normes socioculturelles rigides, et des conflits entre leurs valeurs culturelles et celles de leur organisation.

Conditions de travail difficiles Premières ressources humaines sur le terrain, les travailleurs nationaux opèrent dans des contextes émotionnellement et physiquement éprouvants. Ils sont souvent exposés à des situations de danger ou d’isolement, loin de leur famille, avec des horaires prolongés et des congés limités. Leur précarité professionnelle est accentuée par la dépendance des financements des bailleurs de fonds.

Culture et Normes socio-culturelles Les travailleurs humanitaires nationaux doivent naviguer dans un contexte où les normes socioculturelles peuvent parfois constituer des barrières à l’ouverture interculturelle. Par exemple, dans certaines régions du Mali, les relations hiérarchiques traditionnelles entre groupes ethniques peuvent nuire à la cohésion d’équipe. À l’inverse, des mécanismes sociaux traditionnels, comme les « cousineries » au Mali, peuvent faciliter des interactions positives et désamorcer les conflits potentiels.

Culture de l’organisation et conflits des systèmes de valeurs Les travailleurs nationaux peuvent se retrouver en conflit entre leurs valeurs culturelles et celles prônées par leur organisation. Par exemple, un travailleur sénégalais pourrait se sentir en désaccord avec une ONG qui promeut les droits LGBTQ, perçus comme contraires aux valeurs locales. De même, des situations où un travailleur national doit répondre à un supérieur plus jeune ou à une femme peuvent également créer des tensions, en raison des normes socioculturelles qui valorisent le respect des aînés et des rôles de genre traditionnels.

Progression professionnelle et capacité au changement Les travailleurs nationaux rencontrent des obstacles à la progression professionnelle, souvent dus à un manque de formation, de mentorat, ou à des dynamiques de pouvoir influencées par les normes sociales. Leur capacité à embrasser le changement, notamment à travers l’ouverture à de nouvelles perspectives, est cruciale pour leur développement professionnel.

Esther Lehmann-Sow, ancienne travailleuse dans le milieu des ONG et coach depuis 2 ans basée au Sénégal me partageait son expérience de coach auprès de travailleurs humanitaires nationaux. « J’ai l’expérience d’aborder les relations homme/femme, les règles sociales et les lourdeurs culturelles qui peuvent créer un obstacle à une progression de carrière professionnelle. Le coaching leur fait réaliser qu’ils peuvent se libérer des apprentissages des parents. Par exemple, un homme en position de leader est toujours un homme si il « empower » son équipe et ne les écrase pas, et il favorisera un travail d’équipe plus collaboratif.

Les échanges que j’ai eus et que je pourrai avoir avec certains travailleurs humanitaires nationaux mettraient en avant des préoccupations liées à la culture et à la différence culturelle qui sont étroitement liées à des problèmes d’estime et de confiance en soi : « mon chef ne reconnait pas mon travail car il est étranger », «je n’ai pas les compétences suffisantes pour que je puisse postuler à ce poste de manager », « je n’ai aucune chance de trouver un poste en expatriation car je suis un « national » ou « je ne m’entends pas avec mon manager (d’une autre nationalité) »

 

Sur quoi va s’appuyer le coaching ?

 

Sans répéter les points abordés dans la partie précédente, plusieurs axes seront explorés concernant les compétences culturelles :

  • D’abord, le champ CBPLV sera utilisé pour détecter les croyances limitantes et identifier le système de valeurs dans l’environnement de travail. Une attention particulière sera portée au système de valeurs du client, avec des questions sur sa perception des valeurs de ses collègues d’autres cultures et de son organisation, telles que : « Partagez-vous les mêmes valeurs que vos collègues d’un autre pays ou que votre organisation ? », « En quoi cela est-il différent ? ».
  • Le méta-modèle sera également appliqué avec des questions comme : « Qu’est-ce qui vous empêche d’accéder à un poste à responsabilité ou en expatriation ? », « En quoi le fait que votre manager soit étranger limite-t-il votre reconnaissance ? », « Ne partagez-vous aucune valeur avec votre organisation ? ».

En outre, le travail portera sur les émotions, en posant des questions telles que : « Qu’est-ce qui est différent chez vos managers ou collègues qui ne sont pas de votre culture ? », « Comment vivez-vous ou ressentez-vous ces différences ? », « Quel est l’impact de ces différences sur vos attitudes et comportements ? ».

 

Session de coaching avec B. travailleur humanitaire malien, Juillet-Novembre 2023

  1. me disait qu’au cours des 19 dernières années, il avait eu plus d’une dizaine de postes dans une dizaine d’ONG différentes. Il n’a pas réussi à progresser et obtenir un poste avec plus de responsabilités malgré son engagement en raison de son niveau académique « pas assez poussé », de l’injustice dans le milieu professionnel et son manque de chance.

Il m’a contactée avec la demande suivante « je veux être accompagné pour décider du meilleur chemin professionnel pour moi » – il avait déjà identifié deux chemins professionnels et hésitait entre les deux.

A travers le coaching, j’ai exploré avec lui ses croyances limitantes afin qu’il trouve des stratégies pour les lever :

« je n’ai pas un niveau académique suffisant » : je lui ai posé la question « par rapport à qui, par rapport à quoi ». Il m’a répondu que c’était par rapport aux managers expatriés et certains managers maliens. Je lui ai demandé ce qu’il l’empêchait d’acquérir le niveau académique suffisant. Il a réalisé qu’il était possible de se former et il a travaillé sur un plan de renforcement de capacités en identifiant les formations dont il avait besoin pour postuler à des postes à responsabilité.

« je n’ai pas eu de chance » et « le monde des ONG est injuste » : je lui ai posé la question « en quoi il considère qu’il n’a pas eu de chance ? », « en quoi le monde des ONG est injuste ? ». Il m’a confié qu’il avait d’autres collègues maliens qui avaient commencé comme lui et avaient maintenant des postes à responsabilités par ce qu’ils avaient des « connaissances, des relations » et que maintenant, ils faisaient « monter » d’autres personnes à des postes à responsabilités. Je lui ai demandé si il avait lui-même des relations qu’il pourrait mobiliser. Il m’a répondu non au début en pensant à son cercle familial puis il a mentionné un certain nombre de personnes avec qui il avait travaillé et qu’il pourrait contacter pour des références.

 

En fonction du niveau des compétences interculturelles et de l’adéquation du système de valeur à l’environnement du client, le coach proposerait les étapes suivantes:

  • Il travaillera avec lui (ou elle) sur les solutions possibles pour atteindre son objectif : « qu’est-ce que vous pouvez faire évoluer pour atteindre votre objectif » ? « Voyez-vous des obstacles à atteindre votre objectif ? »
  • Il travaillera avec lui (ou elle) pour mettre en place des actions dans le champ culturel : de lire quelques ouvrages sur le pays d’origine de ses collègues, leur poser des questions sur leur culture : la cuisine et les plats, la danse, les fêtes traditionnelles etc.
  • Il travaillera avec lui (ou elle) pour mettre en place des actions dans le champ professionnel : regarder les offres d’emploi dans son secteur et sur plusieurs pays, identifier les compétences nécessaires et les besoins en formation, contacter des collègues nationaux qui ont eu des promotions ou se sont expatriés, contacter ses anciens managers pour avoir des références etc.

Compétences interculturelles chez les femmes humanitaires

 

Les femmes humanitaires sont confrontées à des défis spécifiques, notamment le manque de confiance en soi, les tensions entre leurs responsabilités professionnelles et personnelles, et les conflits entre les normes culturelles et les valeurs de leur organisation.

 Manque d’estime et de confiance en soi De nombreuses femmes humanitaires hésitent à postuler à des postes à responsabilité en raison d’un manque de confiance en elles, souvent renforcé par un environnement de travail où leurs contributions ne sont pas toujours reconnues ou valorisées. Ce manque de confiance peut également être lié à des normes socioculturelles qui limitent l’expression et la participation des femmes.

Il existe des groupes facebook de femmes humanitaires, notamment le « Humanitarian Women Network » qui compte plus de 12 000 membres de genre féminin. On trouve de nombreux posts liés au manque d’estime ou de confiance en soi et j’en partage deux ci-dessous :

Culture de l’organisation et valeurs Les femmes avec des enfants sont particulièrement affectées par les exigences du travail humanitaire, qui peut les forcer à choisir entre leur carrière et leur famille. Les normes socioculturelles peuvent également entrer en conflit avec les valeurs de leur organisation, créant des dilemmes professionnels et personnels. D’autres femmes humanitaires se heurtent à des normes socio-culturelles qui entrent en conflit avec les valeurs de leur organisation ou avec leurs propres valeurs: par exemple, assumer un rôle de manager dans une société où les hommes sont traditionnellement perçus comme les leaders, ou subir des abus sans pouvoir les dénoncer, de peur d’être ostracisée par leur communauté.

Esther Lehmann-Sow, ancienne travailleuse dans le milieu des ONG et coach depuis 2 ans basée au Sénégal me partageait son expérience de coach auprès de femmes . « J’ai l’expérience d’aborder les relations homme/femme, les règles sociales et les lourdeurs culturelles qui peuvent créer un obstacle à une progression de carrière professionnelle. Les femmes se posent des questions comme « doit-elle être comme un homme? », « Dois-je sacrifier ma famille ? ».

 

Sur quoi va s’appuyer le coaching ?

 

Le coach pourrait travailler sur plusieurs champs autour des compétences culturelles :

  • Comme pour les autres catégories de travailleurs humanitaires, le coach travaillera d’abord sur le champ CBPLV pour détecter les croyances limitantes et identifier le système de valeurs dans leur environnement de travail. Il s’intéressera particulièrement à l’influence du genre sur leur système de valeurs et demandera leur perception, leur réalité du système de valeur de leur pays et de leur organisation : « Pour vous c’est quoi être une femme? », «Comment vous voyez-vous en tant que femme dans le secteur humanitaire, dans votre organisation ? »,« est-ce que vous partagez la même vérité que vos collègues hommes, avec votre organisation ? », « en quoi cela est-il différent ? »
  • J’utiliserai le méta-modèle et lui poserai les questions suivantes : «postuler à un poste à responsabilité, qu’est-ce qui vous en empêche ? », « en quoi le fait d’être une femme vous facilite ou vous empêche de postuler à ce poste ? »

 

Le coach travaillera également sur les émotions en posant les questions suivantes : « Comment vivez-vous ou ressentez-vous la différence d’être une femme par rapport à un homme dans votre organisation ? » , « Quel est l’impact sur vos attitudes et comportements ? ».

Enfin, il pourra aussi travailler avec la cliente sur l’estime de soi et la confiance en soi en travaillant sur ses croyances limitantes (voir plus haut) et ses limites et en posant les questions suivantes : « si un homme vous interrompt lors d’une réunion, comment réagissez-vous ? », « que feriez-vous autrement si cela se renouvelait ? », « Qu’est-ce que vous souhaiteriez changer ? », « est-ce que cela serait positif pour vous, pour votre carrière professionnelle ? »

Le coach portera une attention particulière à la sécurité ontologique et écologique de la cliente car l’évolution ou le changement de systèmes de valeurs peut-être une étape vécue comme difficile pour la cliente mais également par son entourage, son environnement si celui-ci ne partage pas son nouveau système de valeurs.

Une de mes collègues, jeune femme de 28 ans de nationalité malienne a décidé de partir sur un poste en expatriation alors que sa famille souhaitait qu’elle se marie selon la tradition et qu’elle reste vivre avec son mari à Bamako. Elle a subi de nombreuses pressions de son entourage (parents, cousins, amis etc.) mais elle est restée sur sa position et est partie en Guinée sur un premier poste d’expatriation et en tant que manager pour la première fois. Dans cette situation, sa demande de coaching pourrait porter sur un accompagnement pour réussir sa transition professionnelle sur un poste d’expatriation. Je travaillerai avec elle sur les apprentissages, sur les connaissances dont elle dispose et celles qu’elle devrait acquérir :

« De quelles nouvelles informations avez-vous besoin pour bien vivre le nouveau chapitre de votre vie ? » J’orienterai mon questionnement sur les aspects culturels et les systèmes de valeurs dans le nouveau pays – connaissance de la Guinée par exemple, connaissance du poste et profil de l’équipe à manager.

« De quelles nouvelles compétences avez-vous besoin ? »

J’orienterai mon questionnement sur les aspects de management par exemple et comment elle appréhenderait son poste en tant que femme malienne, ses relations avec ses nouveaux collègues nationaux et internationaux.

« Quels sont les apprentissages que peut vous apporter votre environnement et quels environnements sont susceptibles de favoriser cet apprentissage ? » et j’orienterai mon questionnement sur son environnement multiculturel et comment elle peut tirer le maximum de bénéfices de son nouvel environnement de travail : apprentissage d’une nouvelle langue, apprentissage du management et de gestion d’équipe.

« Qu’est-ce que je garde ? Qu’est-ce que je rejette ? Que puis-je acquérir ? » J’explorerai avec elle son système de valeur, sa vision du monde par rapport à celle de sa famille pour l’accompagner à réinterpréter sa réalité, d’acquérir de nouvelles croyances, de nouvelles valeurs et de nouveaux comportements comme par exemple.

Nanthilde Kamara

 

Le coach pourrait proposer les étapes suivantes:

  • Il travaillera avec elle sur les solutions possibles pour atteindre son objectif : « qu’est-ce que vous pouvez faire évoluer pour atteindre votre objectif? », « Voyez-vous des obstacles à atteindre votre objectif ? « Quelles solutions proposeriez-vous pour surmonter ces obstacles ? »
  • Il travaillera avec elle pour établir un plan d’action pour mettre en œuvre les solutions qu’elle aura identifié comme par exemple :identifier et adhérer à des réseaux de femmes humanitaires, chercher des postes à responsabilités souhaités et identifier les compétences qu’elle possède et qu’elle doit acquérir, identifier des pairs, des mentors qui peuvent l’appuyer.

 

Autres perspectives et opportunités du coaching sur la question de diversité culturelle

 

La diversité culturelle, en tant que défi majeur dans les environnements de travail globalisés, ouvre la voie à de nombreuses perspectives et opportunités pour le coaching. Au-delà du développement individuel des compétences interculturelles, le coaching offre un cadre pour explorer des dynamiques plus larges, telles que l’intégration des diversités culturelles au sein des équipes, l’amélioration des pratiques managériales, et la promotion d’une culture organisationnelle inclusive. En s’appuyant sur des méthodes innovantes et adaptées, le coaching peut jouer un rôle clé dans l’accompagnement des organisations et des individus vers une meilleure compréhension et valorisation des différences culturelles, favorisant ainsi une collaboration plus harmonieuse et efficace.

Ainsi, l’application du coaching interculturel dans les contextes humanitaires, en mettant en avant l’approche de l’Appreciative Inquiry (AI), serait intéressante à envisager afin de favoriser une perspective positive et collaborative au niveau des organisations humanitaires au niveau siège ou pays.

Il est suggéré de mener des entretiens avec des managers de différentes nationalités et genres pour aborder les aspects de communication, de coopération, et de culture organisationnelle.

Le coaching d’équipe multiculturelle pourrait aussi jouer un rôle crucial en créant des espaces de dialogue et d’écoute, renforçant ainsi la cohésion et la créativité au sein des équipes.

Dans les départements des Ressources Humaines, le coach pourrait contribuer à l’élaboration de stratégies favorisant la diversité, l’équité, et l’inclusion au sein des organisations.

Enfin, travailler avec les dirigeants des organisations internationales pour intégrer la diversité culturelle dans la culture organisationnelle apparait comme essentiel. Des coachings individuels pour les leaders et les managers permettent de développer leurs compétences interculturelles. Une solution supplémentaire consisterait à mettre à disposition des travailleurs humanitaires un coach indépendant pour organiser des sessions de coaching axées sur les compétences interculturelles, renforçant ainsi leur impact au sein des organisations.

 

Limites du Coaching

 

La première limite du coaching dans ce contexte réside dans le coach lui-même. Celui-ci doit être capable de prendre du recul sur ses propres systèmes de pensée, de questionner son référentiel de valeurs et de normes culturelles, ainsi que ses hypothèses. Pour accompagner efficacement son client, il est essentiel que le coach renforce également ses compétences interculturelles. Plusieurs ouvrages explorent la notion de coach « interculturel » ou « global coach », soulevant la question suivante : un coach doit-il être lui-même interculturel pour guider des équipes sur les enjeux de diversité culturelle et d’interculturalité ?

Une autre difficulté concerne les résistances potentielles des travailleurs, managers et dirigeants d’organisations à s’ouvrir à une plus grande diversité culturelle, notamment en ce qui concerne l’accès aux postes à responsabilités. La diversité culturelle est étroitement liée aux dynamiques de pouvoir, et un manager ou dirigeant peut être réticent à céder sa place au nom de la diversité, ce qui peut entraîner une opposition au processus de coaching.

Par ailleurs, la capacité du client à faire évoluer son système de valeurs peut constituer un obstacle. Selon le modèle de la spirale dynamique, le client doit être ouvert au changement de systèmes de valeurs. Le coach se trouve donc limité s’il travaille avec des profils fermés ou rigides. Cette situation soulève également une question d’éthique pour le coach : doit-il interrompre le processus de coaching dans ces cas-là ? Doit-il confronter le client à son propre paradoxe, ce qui pourrait menacer sa sécurité ontologique ?

De plus, certains travailleurs humanitaires, victimes de discriminations ou d’abus, ne peuvent pas être aidés uniquement par le coaching. Dans ces cas, une prise en charge thérapeutique serait plus appropriée.

Le coaching et l’interculturalité sont encore peu développés au sein des organisations humanitaires, malgré leur potentiel. Bien que la demande de coaching dans ce domaine soit encore marginale, une pratique plus répandue pourrait permettre au secteur de s’ouvrir davantage à des solutions centrées sur l’humain pour aborder les enjeux d’interculturalité et de diversité culturelle.

Enfin, le temps consacré à la réflexion et à la rédaction de cet article n’a pas permis de tester l’ensemble des outils proposés. Cela ouvre la voie à un approfondissement de ces connaissances et à une meilleure maîtrise de ce sujet complexe dans le cadre d’un projet professionnel futur.

 

Conclusion

 

La question de prise en compte de la diversité culturelle dans l’humanitaire est récente et est encore peu traitée malgré les enjeux qu’elle pose : enjeux au niveau des travailleurs humanitaires pour qu’ils puissent être valorisés dans leur différence et progresser professionnellement quel que soit leur genre, leur nationalité etc. et au niveau des organisations humanitaires pour qu’elles soient plus justes, plus équitables et plus efficaces.

Les efforts restent encore limités et superficiels sans adresser les causes profondes et systémiques de son manque de prise en compte. Plus de diversité culturelle dans le secteur humanitaire nécessite une volonté forte de changement, en s’attaquant aux dynamiques de pouvoir pouvant s’exercer jusqu’aux plus hauts niveaux et un changement d’état d’esprit profond.

Le coaching peut jouer un rôle puissant en développant le potentiel des travailleurs du secteur et en travaillant sur plusieurs niveaux du système. Le coaching individuel a été développé sous l’angle des compétences interculturelles dans le cadre de ce article mais il a tout son potentiel à un niveau systémique en travaillent avec les équipes, le leadership et à un niveau stratégique avec les organisations humanitaires.

Cela sous-entend aussi que le coach lui-même travaille sur son propre système de valeur et intègre les questions culturelles à son arsenal de compétences et de savoirs et puisse faire avancer la réflexion et les outils. La dimension culturelle doit être ainsi vue comme transversale dans le travail du coaching, elle rajoute une corde à l’arc du coach pour qu’il puisse mieux accompagner son client et respecter son engagement de moyens. Le métier est encore peu reconnu et répandu dans ce secteur mais il y a un vrai potentiel.

L’élaboration de ce article a constitué pour moi un vrai voyage initiatique intérieur avec un questionnement sur mon identité, mon système de valeurs, mon propre niveau de sensibilité et de compétences interculturelles. J’ai beaucoup appris en faisant des recherches sur le sujet même si j’ai le sentiment en finissant ce article de n’avoir effleuré que la surface de cette problématique de diversité culturelle et thématiques associées telles que l’identité, l’interculturalité et le coaching interculturel.

 

ANNEXES

Bibliographie

Livres

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The new Humanitarian (2021), « Aid agency action on racial justice diversity inadequate »,https://www.thenewhumanitarian.org/news/2021/10/13/aid-agencies-action-on-racial-justice-diversity-inadequate

[1] Stenou, Katérina (2002)

[2] Rosinski 2009

[3] Townsend, A., & McMahon, M. (2021)

[4] ALNAP (2022)

[5] ALNAP (2022)

[6] https://www.icrc.org/en/document/diversity-inclusion-humanitarian-sector

[7] ALNAP (2022)

[8] ALNAP (2022)

[9] International Coaching Federation ICF

[10] Steixner, M. (2020)

[11] Rosinski 2009

[12] Steixner, M. (2020)

[13] https://www.idiinventory.com/

[14] Linkup University (2021)

[15] Linkup coaching (2021)

[16] https://www.idiinventory.com/

Par Diego Torraca

#Philosophe #R&D #Autrui #Intersubjectivité

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