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Numéro 16 09/2023

Coacher la légitimité au travail : le coach peut-il rendre le leader légitime ? – Partie 3

Cet article est le troisième et dernier d’une série d’articles sur le sentiment de légitimité au travail, qui vise à comprendre et modéliser les ressorts de ce phénomène chez les leaders (managers, dirigeants, entrepreneurs) dans ce qu’il a de pertinent pour le coaching. Le but est d’offrir au coach un guide explicatif et pratique pour accompagner son client au mieux vers l’émergence et le renforcement de ce sentiment.

Un article de Lucie Dessarts
Coache Professionnelle Certifiée.


Elle accompagne les managers à naviguer leurs transitions professionnelles avec confiance et à créer la vie professionnelle qui leur ressemble.

Spécialisée en gestion de carrière et en coaching en entreprise, ses thèmes de prédilection sont l’alignement au travail, le leadership, le management, la légitimité, et l’équilibre pro/perso.

Elle utilise les outils du coaching qu’elle associe aux outils de la PNL sensorielle de Bandler, à laquelle elle est certifiée.

Elle intervient auprès des managers particuliers, ou directement en entreprise, un monde qu’elle connait bien pour avoir passé 12 ans dans des grands groupes en tant que manager jusqu’à des postes de direction.


INTRODUCTION

Cet article est le troisième et dernier d’une série d’articles sur le sentiment de légitimité au travail, qui vise à comprendre et modéliser les ressorts de ce phénomène chez les leaders (managers, dirigeants, entrepreneurs) dans ce qu’il a de pertinent pour le coaching. Le but est d’offrir au coach un guide explicatif et pratique pour accompagner son client au mieux vers l’émergence et le renforcement de ce sentiment.

Nous avons établi une modélisation du sentiment de légitimité avec l’articulation (α, β, Δ) de dans les précédents articles. Nous avons théorisé que s’approcher de la légitimité pour le leader, c’est réduire son écart de perception entre :

  • La représentation α : perception des attentes du système sur ce qui fonde la légitimité (quels facteurs sont importants, et dans quelle mesure)
  • L’évaluation β : perception individuelle de sa propre légitimité, c’est-à-dire perception de la performance individuelle vis-à-vis des facteurs perçus de légitimité.

Dans cet article, nous étudierons les stratégies et outils pratiques du coach pour agir efficacement sur les trois paramètres (α, β, Δ), et accompagner le leader dans l’émergence, la conscientisation ou le renforcement de son sentiment de légitimité. 

Prendre conscience, c’est transformer le voile
qui recouvre la lumière en miroir.
 »

Lao Tseu (VIe siècle av. J.-C.)

Partie 3 – Les stratégies du coach face au leader en quête de légitimité

Face à cette problématique, le coach peut mettre en place plusieurs intentionnalités suivant l’articulation de la légitimité chez le leader. Nous les explorerons ici, et verrons ainsi quels peuvent être les apports du coaching face à cette problématique.

3.1       Ouvrir un espace d’exploration de l’équation (α, β, Δ) de la légitimité du leader

L’engagement dans un processus de coaching de la part du client représente en lui-même un premier pas significatif vers l’atteinte d’un meilleur alignement et d’une amélioration de son sentiment de légitimité. Il suppose une volonté du client à s’inscrire dans une dynamique volontaire de cheminement vers son objectif professionnel. La posture et le cadre posé par le coach vont permettre de construire sur cette fondation.

3.1.1       La posture du coach et la relation collaborative de travail

L’outil fondamental du coach est sa posture, comme préalable à la mise en place du cadre de la relation collaborative de travail. En instaurant un rapport collaboratif dès l’entretien préalable et en posant le cadre des 3P (Protection du client + Permissions des parties = Puissance du coaching de transformation), le coach met en place les bases du succès dans l’accompagnement vers cet objectif de légitimité. En clarifiant l’approche endogène du coaching, le coach se pose en miroir neutre du leader, permettant au client de prêter attention à ce qui se joue en lui et de ne pas attendre du coach des réponses exogènes qui détourneraient son attention de l’essentiel : la conscientisation de son propre système de croyances, comme étape clé de déconstruction avant de pouvoir reconstruire un système aidant et adapté pour se mettre en action vers l’atteinte de l’objectif. Le coach ouvre ainsi un espace sécurisé que le client n’est généralement pas en mesure d’ouvrir pour lui-même dans son quotidien où il est pris dans ses automatismes de pensées et ses préoccupations immédiates.

La verbalisation de problématiques autour de sa légitimité professionnelle va constituer un premier pas important. Le leader sort de ses ruminations internes pour amorcer un premier travail de clarification et de questionnement : ce que je dis à voix haute est-il vrai ? La posture et le cadre sont les fondamentaux nécessaire au travail.

3.1.2       L’écoute active et le métamodèle à l’assaut des croyances

Le coach par son écoute active, essentiel à un questionnement pertinent, va permettre au client de verbaliser sa demande, son contexte, les causes perçues de son état problème, ce qui va permettre l’exploration de sa vision du monde et de son système de croyances, en particulier dans le cas qui nous intéresse ses croyances sur sa légitimité professionnelle : se sent-il à sa place au travail ? Se sent-il compétent pour mener à bien ses missions ? Quelles circonstances et objectifs sont les siens ? Que croit-il sur lui ? Sur ses capacités ? Sur son environnement professionnel et sur le monde du travail en général ?

L’écoute attentive de la sémantique va permettre d’affiner cette exploration systémique. En particulier, l’écoute des distorsions du langage, les généralisations, les omissions vont révéler des partis pris du client et des pensées et associations automatiques dont le client n’aurait pas conscience. Le coach pourra à l’aide du métamodèle mettre à jour ces croyances qui sous-tendent sa vision du monde et son articulation de la légitimité.

Trou de communication Exemple de verbatim de leader Questionnement de coach avec le métamodèle
Généralisation Pour être légitimes, les managers doivent tout savoir ! · Vraiment tout ?

· Avez-vous déjà rencontré un bon manager qui ne savait pas tout ?

Omission Je ne pense pas qu’on me trouve crédible à ce poste · Qui est « on » ?

· Vous l’a-t-on dit ?

Distorsion
Cause / Effet
Je suis jeune pour le poste, donc je ne suis pas légitime · Jeune par rapport à quoi ? à qui ?

· En quoi l’âge a-t-il un rapport avec la légitimité ?

Lecture de pensée Mon manager ne me trouve pas légitime car il ne me demande jamais de prendre le lead dans cette réunion · Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

· Pourrait-il y avoir d’autres raisons à cela ?

L’utilisation du métamodèle permettra ainsi d’expliciter et de clarifier les présupposés du système de croyances du client, afin de les remettre en question si nécessaire.

3.1.3      La détermination de l’objectif et de la stratégie d’accompagnement du coach

En explorant le système de croyances et la vision du monde du leader, le coach va identifier comment ce sentiment de légitimité s’articule pour guider le leader dans la formulation de son objectif et adapter la stratégie d’accompagnement. L’intentionnalité du coach est de calibrer si l’objectif et le travail se situent plutôt du côté de la perception α, de l’évaluation β ou de l’écart Δ, ou d’une combinaison de ces éléments. Ce travail de clarification peut s’effectuer par un questionnement exploratoire (dans l’esprit du PFDO[1]), ou en utilisant un outil comme le SCORE.

Au cours de son questionnement, le coach va en particulier explorer la perception α de la légitimité du leader : comment la définit-il ? A quoi tient-elle ? Quelles sont les facteurs, les preuves et les indices de légitimité selon lui ? Comment en est-il venu à ces conclusions ? Sont-elles toujours vraies ? Quelles sont les attentes de l’entourage selon lui ? Comment le sait-il ? Quelles figures sont considérées comme légitimes ou non ? L’intentionnalité du coach sera ici d’accompagner le client à mettre à plat ses croyances, de l’aider à observer si elles sont limitantes ou aidantes, et si elles sont « vraiment vraies ». Le leader pourra ensuite décider si sa vision du monde est pertinente ou non, et potentiellement faire bouger sa perception α.

Le coach va explorer également son évaluation β : se sent-il légitime au travail et dans quelle mesure ? Dans quelles circonstances ? Comment se sent-il par rapport aux facteurs perçus comme importants dans la légitimité ? Que pense-t-il de ses compétences et de ses capacités par rapport à ses facteurs ? Quelles preuves reçoit-il, quels indicateurs et indices perçoit-il pour évaluer sa légitimité ? Se voit-il comme un être figé ou en potentiel ? L’intentionnalité du coach sera ici de travailler sur la conscientisation de la construction identitaire du client et de son sentiment de compétence. En explorant ces aspects, le coach et le client vont toucher au travail que le client peut faire sur lui-même pour renforcer son sentiment de légitimité : va-t-il devoir renforcer certaines compétences, apprendre ou changer certains comportements ? Va-t-il prendre conscience que ses compétences sont déjà existantes mais qu’il ne les conscientise pas ?

Le coach va explorer l’écart Δ acceptable : à quoi cela ressemblerait-il pour le client de se sentir plus légitime ? D’être (de se sentir) tout à fait légitime ? Est-ce atteignable, et que cela demandera-t-il ? A quel moment le client sera-t-il satisfait ? Quels seront les indicateurs en son contrôle ? Est-ce une question de temps ? Ou d’autre chose ? Comment être à l’aise et OK avec l’écart s’il y en a un ? L’intentionnalité du coach est d’accompagner le client à déterminer son objectif en termes de légitimité et à trouver des façons de gérer l’inconfort d’ici là.

3.2       Questionner la pertinence des représentations de la légitimité du leader (α)

Un point de départ possible pour le coach est le questionnement de la représentation de la légitimité α du leader. Le client va évoquer sa vision du monde, et le coach va pouvoir tirer le fil de sa pensée pour en faire sortir les croyances et les questionner : le monde fonctionne-t-il toujours ainsi ? Il y aurait-il d’autres façons de voir les choses ?

3.2.1      Questionner les croyances en les recadrant pour changer de perspective

Outre le métamodèle, le coach va pouvoir utiliser des stratégies de questionnement faisant appel à des recadrages, des changements de perspective ou des exagérations et provocations, pour introduire une dissonance dans la croyance, permettre au leader de la remettre en question, de lui donner un sens nouveau, de la renverser et de la dépasser.

Les exemples de verbatims suivants cachent une représentation α de la légitimité du leader. Voyons quelques exemples de techniques de questionnement du coach :

EXEMPLE 1
Verbatims « Il faut avoir un certain style de leadership pour mener une entreprise : il faut savoir se vendre, être assuré, extraverti… »
Représentation α issue de croyances sur l’environnement Les extravertis sont légitimes et les introvertis ne le sont pas dans des rôles de leadership
Questionnement possible

du coach

–        Connaissez-vous des leaders introvertis qui ont eu énormément de succès ? Autour de vous ? Dans les medias? (référence externe)

–       A quelles qualités un leader introverti pourrait-il faire appel pour développer son entreprise ? (bénéfice induit)

–       En quoi pourrait-ce être plus intéressant et utile pour un chef d’entreprise d’être introverti qu’extraverti ? (renversement)

–       Si le chef d’entreprise a besoin de qualités commerciales pour son développement, peut-il les trouver ailleurs et où ? (dépassement)

EXEMPLE 2
Verbatims « Pour moi un manager doit avoir toutes les réponses, et j’ai peur de ne pas être à la hauteur face aux attentes de mon équipe quand je ne sais pas immédiatement donner un avis. »
Représentation α issue de croyances sur l’environnement La légitimité d’un manager repose sur son savoir exhaustif
Questionnement possible

du coach

–        Un manager vous a-t-il déjà dit qu’il ne savait pas ? Aurait-il fallu le virer ? (référence externe, provocation)

–        Pensez à quelques bons managers qui vous ont marqué dans votre carrière : en quoi étaient-ils légitimes ? De quelles qualités managériales faisaient-ils preuve ? (référence externe, changement de point de vue)

–        Est-il seulement possible de tout savoir ? Est-il même souhaitable de tout savoir ? (renversement)

–        En quoi peut-il être utile au manager de ne pas savoir ? (renversement)

–       Qu’est-ce qu’un bon manager peut faire lorsqu’il ne sait pas ? (dépassement)

 

3.2.2      Ré-évaluer les représentations d’Autrui via le jeu de rôle et la visualisation

« L’Autre » peut être un déclencheur de la mise en question de la légitimité du leader, soit par comparaison (le leader a l’impression qu’un autre est meilleur que lui, plus apte, et il ne se sent pas à la hauteur par comparaison), soit par stimulus négatif (l’attitude perçue chez Autrui réveille des émotions pénibles pour le leader : un sentiment d’infériorité, du doute, de l’impuissance, souvent faisant écho avec une situation vécue dans l’enfance).

Afin de désamorcer ces représentations dysfonctionnelles limitantes pour le leader dans sa légitimité, le coach peut faire appel à deux techniques de projection et d’imagination pour changer sa perspective.

Tout d’abord, il peut faire appel au jeu de rôle : le coach joue le rôle de cet Autrui face au leader, confrontant ainsi ce dernier à cette figure qu’il redoute, l’aidant à reprendre le contrôle de son comportement et de ses pensées. Le leader va pouvoir ainsi dans le dialogue imaginer de nouvelles façons de répondre, s’entraîner à affronter cet autre, s’armer de réponses « talisman » (j’appelle les réponses talisman les réponses toutes faites que le client s’approprie et qu’il peut re-sortir dans des situations d’inconfort pour se sentir préparé). Le coach en défiant frontalement le client dans le personnage de cet Autrui va aussi le préparer au pire : quelle est la pire chose que cet Autrui puisse faire ou dire ? Finalement que se passerait-il alors ? Les conséquences sont-elles si graves que cela ? Les émotions pénibles sont-elles finalement même un problème, si on sait les accueillir ?

Un autre outil du coach dont l’intentionnalité serait de questionner la pertinence des lectures de pensées du leader vis-à-vis d’Autrui est la visualisation : le leader se met cette fois-ci à la place d’Autrui pour adopter sa façon de penser. Ce faisant il va verbaliser ce qu’il pense que l’autre pense, donnant de la matière au questionnement du coach. Le coach va pouvoir lui demander « que cette personne pourrait-elle penser d’autre qui la fasse agir ainsi ? Que cette personne ressent-elle à votre avis ? Pourquoi se comporte-t-elle ainsi ? ». Avec ces questions, le coach peut ouvrir de nouvelles perspectives pour le leader pour recadrer ses perceptions de la situation qui lui fait remettre en doute sa légitimité. Le leader va pouvoir adopter une nouvelle lecture du comportement d’Autrui et envisager des réponses plus pertinentes pour lui.

Ces deux techniques permettent au leader de remettre en question et recadrer sa perception de son environnement et croyances associées.

3.2.3      Stimuler l’élargissement de la perspective en déplaçant le regard

Notre étude sur le sentiment de légitimité met en évidence un phénomène intéressant : il existe une différence dans l’appréciation de la légitimité lorsqu’on se l’applique à soi-même, et lorsque l’on l’apprécie chez quelqu’un d’autre.

En effet, dans notre sondage, nous avons d’abord demandé aux répondants de définir la légitimité selon eux, et de décrire les facteurs de leur propre sentiment de légitimité. Les réponses tournaient majoritairement autour du sentiment de compétence, d’ajouter de la valeur dans son poste en étant performant, d’être reconnu par l’entourage pour ses compétences.

Nous avons également demandé aux répondants de penser à une personne de référence importante pour leur rôle professionnel, plus haut placée qu’eux au travail (leur manager, leur dirigeant…) et de réfléchir aux raisons pour lesquelles ils trouvaient cette personne légitime ou non. Sans surprise, le facteur « compétence » demeure clé dans les réponses. Cependant de nouveaux mots non mentionnés dans les questions précédentes font leur apparition rendant la teneur des réponses globalement différente : leur personne de référence est légitime à leurs yeux, car elle est « à l’écoute de ses collaborateurs », « qu’elle ne juge pas les autres », qu’elle fait preuve de « qualités humaines ». D’autres mentionnent le « charisme » et le « leadership ».

Finalement, apprécier la légitimité chez autrui, c’est, au-delà de la compétence, attendre des qualités humaines, une attitude respectueuse et positive émanant d’une personne qui semble savoir où elle va et où elle veut emmener les autres, et qui renvoie vraisemblablement une impression d’être alignée et à sa place.

En utilisant cet écart entre attentes perçues et appréciation de la légitimité chez Autrui, le coach peut mener un questionnement en sollicitant sa propre personne de référence pour lui montrer que son regard sur la légitimité peut être élargi. Si la légitimité qu’il donne aux autres s’appuie sur leurs qualités humaines et leur attitude, peut-être le leader peut-il s’autoriser à penser qu’en faisant preuve d’une attitude relationnelle constructive, et en allant à la découverte de son alignement et de son charisme, il se sentira plus légitime, même s’il doute encore de la maîtrise de ses compétences.

3.2.4      Passer de croyances limitantes à aidantes : la re-décision dite le « Modèle »

Une fois les croyances limitantes du leader identifiées et remises en question, le leader peut choisir : les garder ou s’en séparer ? Le coach peut alors introduire l’outil de la re-décision,  inspiré des travaux de l’approche cognitivo-comportementale de Beck (1979) et rationnelle-émotive d’Ellis (1962), adaptés et reformulés de façon très pratique par la Master coach américaine Brooke Castillo au sein du « Modèle ».

Cet outil pré-suppose que « les circonstances sont neutres » : rien n’est en soi positif ou négatif, avant qu’un cerveau humain vienne y donner un sens et y porter un jugement, par essence subjectif. Ce modèle est très « empouvoirant », car il induit que l’individu peut reprendre le pouvoir sur son expérience de vie en changeant ses pensées sur ces circonstances extérieures.

Ce « Modèle » fait ainsi le lien entre :

  • Circonstances : les faits décrits de façon neutre et observables,
  • Cognition : la pensée, le jugement ou la croyance face à la situation, ancrée dans sa vision du monde,
  • Emotion : le ressenti corporel du client, causé par la cognition,
  • Comportement : les actions mises en œuvre par le client, motivées par son émotion,
  • Résultat : les conséquences du comportement dans la vie du client.

En conscientisant ces mécanismes, le coach va montrer au leader l’impact de ses pensées automatiques et croyances sur la légitimité sur sa réalité, mettant également au jour l’effet de renforcement circulaire des croyances. En effet plus les pensées automatiques vont être négatives ou limitantes, plus les émotions générées vont être pénibles, entraînant des comportements contre-productifs vis-à-vis de l’objectif recherché, mettant le leader dans un cercle vicieux affaiblissant de plus en plus son sentiment de légitimité.

Suite à la prise de conscience, le coach va inviter le leader à formuler une pensée alternative intentionnelle plus utile pour lui face à la même circonstance, générant émotions, comportements et résultat le rapprochant de l’atteinte de son objectif.

Dans le tableau ci-dessous, nous étudions un exemple réel abordé lors d’une séance de coaching, articulant une circonstance vécue par une jeune manager récemment promue doutant de sa légitimité. Le questionnement du coach accompagne la conscientisation de la situation par la leader, puis l’aide à réfléchir à des cognitions alternatives, en s’appuyant sur son expérience pour faire émerger une dissonance et lui permettre de choisir une cognition alternative plus aidante et adéquate.

Circonstance Je manage pour la première fois une équipe, et les membres de l’équipe ont mon âge
Cognitions automatiques Je ne suis pas légitime pour les manager, je n’ai rien à leur apprendre vu que nous avons le même âge : ils vont me trouver inutile et nulle et se demander ce que je fais là
Croyances sous-jacentes Il est important pour un manager d’apporter de la valeur à son équipe ;

La valeur ajoutée vient de l’expérience et de l’âge ;

Un manager légitime est plus vieux et expérimenté que son équipe

Emotions Anxiété, Stress, Doute, Manque de confiance
Comportement Je passe mon temps à ressasser mon stress et je ne suis pas disponible mentalement pour réfléchir à la façon dont je vais aborder cette expérience managériale
Résultat Je ne suis pas préparée face à mon équipe et j’approche ma fonction avec une posture dispersée : je ne me trouve pas à la hauteur et cela renforce mon sentiment de n’être pas légitime.
Remise en question de la cognition automatique via le questionnement –       Si on m’a proposé ce poste, c’est que je dois avoir des choses à apporter à l’équipe (et je pourrais d’ailleurs poser la question à mon manager pour avoir son point de vue étayé des raisons de ma promotion)

–       J’ai observé que les membres de l’équipe avaient des opportunités de s’améliorer dans leurs qualités de structuration et de présentation : je suis donc capable de déceler des améliorations qu’eux ne voient pas

–       Les bons managers que j’ai observés par le passé ne savaient pas forcément tout, mais ils étaient à l’écoute, clairs dans leurs instructions, de bons communicants

Cognition alternative intentionnelle Je suis capable d’apporter de la valeur à cette équipe en tant que manager, grâce aux améliorations que j’ai repérées et aussi par mes qualités d’écoute, de communication et de clarté.
Emotion alternative Confiance en soi, motivation
Comportement alternatif Je prends le temps de réfléchir à mon style managérial, à l’organisation et aux buts de l’équipe et à la façon dont je vais donner des feedbacks de façon constructive
Résultat alternatif Je conduis mon équipe avec une posture managériale concentrée et confiante, mon équipe répond positivement et je me sens plus légitime

 

3.3       Permettre le recul et déculpabiliser le leader en proie à l’illégitimité (α et β)

L’incompréhension et le jugement face à ses propres mécanismes cognitifs, parfois nés d’un manque de conscience des injonctions systémiques peuvent doubler le sentiment d’illégitimité du leader d’un sentiment de confusion et de culpabilité. « Je ne sais pas pourquoi je me stresse toujours comme ça », « je ne devrais pas penser ça mais je ne peux pas m’en empêcher… ».

L’intentionnalité du coach face à ce type de client va être de l’accompagner à prendre conscience de situations ou phénomènes externes systémiques qui l’affectent sans qu’il ne s’en rende compte, dont il voit les effets sans en identifier les causes, associant les effets à sa propre « faute ». Il va également permettre au leader de démêler des croyances inconscientes ou sous-jacentes et des injonctions conflictuelles qui peuvent le pousser à penser des choses qui ne lui conviennent pas vraiment ou à se comporter de façon pas toujours lisible pour lui-même. Le coach va permettre au client de se délester de la couche de culpabilité inhibante qui s’ajoute à ses préoccupations initiales en mettant en lumière ces injonctions systémiques.

Si le rôle du coach est de rester en position basse pour favoriser le travail endogène du client, et qu’il n’est ni un sauveur, ni un conseiller, ni un formateur, ni un thérapeute, il peut permettre au client de remettre en perspective sa situation en s’appuyant sur un fondement théorique, en s’assurant que cela se fasse à son bénéfice et dans le respect de l’éthique, et dans une démarche de neutralité : le coach ne donne jamais d’avis personnel, de jugement sur le contenu, mais il peut faire un détour par le contenu si cela permet au client de mettre des mots sur sa situation et de se rendre compte qu’il n’est pas un être incompréhensible et seul avec sa vulnérabilité. Le coach doit cependant être vigilant à ne jamais coller d’étiquette au client pour ne pas l’enfermer dans de nouvelles croyances. Il doit donc être habile dans sa formulation. Voici quelques exemples de ces phénomènes ou situations qui peuvent être repérées par le coach dans le cadre d’une problématique de légitimité.

3.3.1      Apprivoiser le changement et la nouveauté: Hudson & phases d’apprentissage

Nous avons vu dans les articles précédents que le changement et la nouveauté constituaient des conditions propices à la remise en cause du sentiment de légitimité, car ils mettent souvent le leader en position « d’incompétence consciente » et lui font perdre des repères qu’il tenait pour acquis. Un leader peut ne pas avoir pris conscience qu’il était en train de vivre des changements significatifs. Il peut alors avoir tendance à associer ses difficultés à son insuffisance intrinsèque : s’ajoute alors à ses défis initiaux une culpabilité, un apitoiement, un découragement, car il ne lit pas la situation pour ce qu’elle est et a des attentes irréalistes quant au fait qu’il devrait tout maîtriser instantanément. Le coach, lui, est attentif par son écoute aux indices qui pointent le fait que son client traverse une transition ; il va avoir en tête la roue du changement de Hudson et va s’en servir comme d’une grille de lecture pour situer le cheminement de son client sur ce cadran, et remarquer à quel point de la transition (dans quelle « saison ») le client se situe et s’il vit un changement de type 1 ou 2, pour pouvoir l’accompagner au mieux dans sa situation. Il va également être alerte aux phases d’apprentissage et reconnaître que son client passe par le stade d’incompétence consciente.

Sans se mettre à expliquer la roue du changement ou à jargonner sur l’incompétence consciente, le coach peut faire prendre conscience au client de la situation de changement qu’il vit par la reformulation ou le résumé par exemple.

En l’occurrence, une illustration pourrait reprendre cet exemple vécu en coaching, face à un client ne se sentant pas légitime dans sa nouvelle identité d’entrepreneur :

Coach : « Si j’ai bien compris ce que vous me disiez, vous avez quitté votre emploi salarié après 12 ans en fonction il y a tout juste 4 mois suite à un licenciement, vous avez réfléchi à ce dont vous aviez envie, vous avez commencé une nouvelle formation certifiante, vous avez entamé une transition professionnelle depuis l’entreprise vers le statut d’indépendant, vous avez commencé à monter 2 nouvelles activités, vous avez trouvé vos premiers clients… et vous avez peur de ne pas être légitime dans vos nouveaux projets, c’est bien ça ?  

Client :  Dit comme ça, c’est vrai que j’ai quand même réussi à faire pas mal de choses par moi-même…  

Coach :  Il me semble à vous entendre que vous faites face à beaucoup de changements et de nouveauté, vous semble-t-il curieux que vous en passiez par ce sentiment d’inconfort ? 

Client : Pas vraiment, au fond c’est bien normal et vous me faites réaliser que j’ai réussi à mettre en place beaucoup de choses et à prendre beaucoup de décisions rapidement malgré tous ces changements, et face à ces choses nouvelles que je n’ai jamais faites avant… 

Coach :  En particulier, si vous deviez revenir sur ce que vous avez réussi à faire, que retenez-vous ? … De quelles compétences avez-vous fait preuve ? … De quoi êtes-vous le plus fier ?… Sur quoi pouvez-vous vous appuyer à l’avenir pour faire face aux situations qui vous préoccupent ? » Etc.

Ainsi le coach permet au client de réaliser sa situation, de mettre des mots sur ce changement qu’il n’avait pas vraiment identifié comme tel et de faire place à plus d’indulgence, moins de dénigrement ou de culpabilité inutiles. Il lui permet de libérer son esprit d’apitoiement stérile pour se recentrer vers ses ressources et ce qui est en son contrôle.

3.3.2      Conscientiser et apprivoiser les injonctions : les drivers

Une autre prise de conscience utile à notre problématique est la mise en évidence des « drivers ». Dans le cas où le coach observe chez un client un ou 2 drivers forts qui l’empêchent d’atteindre son objectif, il pourra décider d’avoir recours à un exercice d’exploration et de conscientisation des drivers. En pratique, l’intentionnalité du coach va être de permettre la prise de conscience du leader qu’une partie de ses pensées et comportements sont influencés par ses injonctions qu’il ne conscientise pas. Dans le cas des drivers, le coach va par exemple choisir de sortir brièvement de sa position basse pour adopter ponctuellement la position haute en expliquant au leader le principe théorique derrière ces 5 drivers.  Il va mettre en évidence pour lui qu’ils peuvent provoquer des pensées automatiques que le leader tient pour « vraies » ou normales, mais qui sont en fait héritées d’un conditionnement issu de l’enfance et de l’éducation. Le coach pourra mettre en lumière à son client que, bonne nouvelle, maintenant qu’il est adulte, libre et responsable, il peut choisir de faire le tri dans ses drivers, de se « plier » volontairement ou non à ces modèles inconscients : il peut les remettre en question s’ils ne lui sont pas utiles.

Le coach va également amener le leader à identifier quels drivers peuvent le limiter, à réfléchir sur les côtés positifs ou négatifs de ces drivers, et il va l’aider à questionner ses pensées à ce sujet, et à poser des permissions qui peuvent l’aider à se défaire progressivement de son driver.

Par exemple, dans le cas d’un coaching, la cliente manager ne se sentant pas crédible dans son rôle, imaginait des attentes de son entreprise très élevées à son égard, couplées à ses propres attentes élevées de perfection. Afin de satisfaire à ces exigences perçues, elle travaillait des heures et des heures sur ses projets afin de les rendre « parfaits », travaillant sans relâche pendant de longues journées mais aussi le soir, le weekend, se réveillant parfois la nuit en pensant à améliorer son travail, dans l’optique de produire le meilleur travail possible et de ne pas se sentir mal en cas de critique sur son travail, car « elle aurait fait tout en son pouvoir pour rendre le travail le plus parfait possible ».

Le travail sur les drivers lui permit de prendre conscience qu’elle mettait en œuvre ses drivers « sois parfaite ! » et « fais des efforts », afin d’éviter les critiques et de rechercher une reconnaissance extérieure. Avec le coach, la cliente travailla à mettre en place des permissions et des stratégies pour corriger ce comportement improductif pour elle, qui la rendait stressée et fatiguée. Grâce au questionnement du coach elle décida progressivement d’opter pour ces stratégies :

  • S’autoriser à demander plus de détails à ses managers sur leurs attentes, ce qui revenait pour elle à accepter de ne pas paraître « parfaite » à leurs yeux et à montrer une « vulnérabilité ». Elle avait ainsi opéré un recadrage de sa pensée en passant de « si je pose des questions pour avoir plus de précisions, ils vont penser que je n’ai rien compris et que je ne devrais pas être manager » à « si je pose des questions, je vais montrer que je cherche à être précise et efficace, à répondre à leurs attentes ».
  • Se donner des contraintes de temps pour gérer ses tâches et éviter d’y passer trop de temps : apprendre à finir dans un temps imparti réaliste et accepter de partager ses avancées imparfaites pour recevoir du feedback progressivement, plutôt qu’après avoir passé trop de temps sur une tâche,
  • En lien avec le point précédent, apprendre à faire de la place à l’informel comme stratégie pour canaliser son perfectionnisme : changer de posture en se mettant dans la posture de partage et de transparence de son travail à son manager de façon progressive et informelle, plutôt que de prendre sur ses seules épaules la définition de perfection et de s’entêter à travailler seule des heures durant pour rendre son travail « parfait » avant de le montrer.

A l’agréable surprise de la cliente, ces stratégies lui permirent d’aborder son travail avec beaucoup moins de stress, en recevant du feedback tout à fait positif sur des rendus partiels qu’elle pensait imparfaits et nécessitant encore beaucoup de travail : son manager considérait que le travail était quasiment terminé, qu’il était tout à fait acceptable et de qualité, à quelques commentaires près, lui faisant gagner beaucoup de temps et lui permettant de se sentir légitime malgré des travaux qu’elle aurait auparavant considérés trop imparfaits à partager.

Ainsi, on voit que passer ponctuellement sur le contenu (ici en expliquant les drivers) peut permettre au coach de donner des clés au client, en « normalisant » sa perception en lui montrant que son comportement et ses pensées peuvent être « expliquées ». Cette impression d’avoir un mode d’emploi peut rendre en sentiment de contrôle au leader sur sa situation.

En termes d’écologie et de sécurité ontologique, le coach sera bien vigilant cependant à ne pas coller d’étiquette au client : il ne lui dira pas « vous faites preuve d’un driver « sois parfait ! » » mais il lui décrira le concept théorique de façon neutre et lui demandera : « vous reconnaissez vous dans certains de ces scénarios ? ». Il s’attachera également à dépeindre autant les avantages que les inconvénients des drivers et les énoncer sans jugement de valeur pour ne pas risquer de remettre le client dans une case. Libre ensuite au client de s’approprier ce concept pour en retirer des enseignements qui résonnent pour lui.

3.3.3      Donner des repères face au syndrome de l’imposteur : le test de Clance

Un dernier exemple de situation dans lequel le coach peut considérer faire un bref détour sur le contenu dans le cadre de la problématique de légitimité est dans le cadre du syndrome de l’imposteur. Là aussi le coach devra être vigilant à ne pas coller d’étiquette à son client d’une façon qui pourrait le desservir et l’enfermer. Toutefois, si le leader exprime un nombre important d’indices qui manifestent le syndrome de l’imposteur, provoquant un niveau de stress élevé comme :

  • le sentiment d’être complètement incompétent malgré des indices objectifs, observables contraires,
  • le défaut d’auto-attribution de ses réussites à ses compétences, mais simplement à la chance, au hasard,
  • la peur panique d’être démasquée,
  • la difficulté maladive à accepter des compliments,
  • la tendance à procrastiner ou laisser tomber pour s’empêcher de réussir,
  • la tendance à travailler énormément pour compenser et s’empêcher d’échouer,

alors il peut être utile pour le coach de permettre au client de se rendre compte de ce qui se joue pour lui, pour l’aider à gommer la culpabilité, l’impression de confusion, de vulnérabilité et de solitude qui s’ajoutent parfois à sa situation.

En pratique, et dans le cas où le syndrome est chronique et constitue un obstacle à l’atteinte de l’objectif de coaching sur la légitimité, le coach peut, s’il juge que c’est pertinent et au bénéfice du client faire un détour par l’explication pour donner des clés et « normaliser » la situation. L’idée est de permettre au leader de prendre conscience qu’il n’est pas le seul à avoir un discours intérieur auto-critique, pour lui permettre de se reconnecter à son sentiment d’appartenance à une humanité tout aussi vulnérable que lui et lui enlever l’illusion qu’il est seul face à ses problèmes.

Kevin Chassangre et Stacey Callahan, spécialistes du SI, conseillent d’ailleurs explicitement d’aider le client à mettre des mots sur cette réalité comme premier pas pour l’aider à en sortir. Le coach sera cependant vigilant à limiter le phénomène d’étiquetage avec le client. Voici un exemple retranscrit d’une séance de coaching réelle avec une cliente manager. Cela faisait plusieurs séances que les indices de SI s’accumulaient, permettant au coach de faire une hypothèse à ce sujet.

Coach : « Je vous entends parler depuis plusieurs séances de comportements et de pensées qui reviennent souvent. En particulier vous me dites que vos supérieurs vous répètent que vous êtes brillante, qu’ils vous donnent des promotions et des responsabilités supplémentaires régulièrement, que vos clients réclament que vous soyez spécifiquement en charge de leur dossier… et pourtant que vous ne comprenez pas comment c’est possible car vous n’avez aucune compétence particulière, vous faites vos estimations de taille de marché « au doigt mouillé » sans être sûre à 100% du résultat, vous n’avez pas l’impression d’utiliser de méthodologie précise « officiellement reconnue »… Et vous vous dites qu’ils doivent sur-évaluer votre savoir-faire de consultante, qu’ils vont finir par se rendre compte que vous ne savez rien, vous passer un savon et vous virer pour imposture… 

Cliente : Oui c’est ça…  Remis bout à bout dans une seule phrase c’est vrai que ça a l’air tiré par les cheveux. Mais c’est ce que je ressens.

Coach : Ce que vous décrivez est finalement assez commun, et on lui a même donné un nom. Voyez-vous de quoi je veux parler ?

Cliente : Le syndrome de l’imposteur ? Oui c’est tout à fait moi…

Coach : Saviez-vous que 70% des gens le ressentent à un moment ou à un autre ? (Passage ponctuel du coach en position haute : apport exogène sur le SI afin de « normaliser » le phénomène)

Cliente : 70% ! C’est beaucoup, je ne savais pas, pourtant j’ai l’impression d’être la seule à me faire des nœuds au cerveau avec tout ça…

Coach : Comment cela est-il possible à votre avis qu’autant de monde ressente cela mais que vous ayez l’impression d’être seule avec ces pensées ?

Cliente : Je ne sais pas… Peut-être parce que les gens ne veulent pas le dire ou le montrer.

Coach : Vous, par exemple ?

Cliente : Au travail, je ne pourrais jamais en parler, ce serait comme me démasquer moi-même !

Coach : Finalement si tout le monde raisonnait comme vous, plus personne ne ferait part de ses vulnérabilités, tout le monde prétendrait toujours tout maîtriser, alors que tout le monde serait paralysé à l’intérieur et stressé d’être démasqué… Qu’est-ce que cela vous évoque ?

Cliente : Récemment mon manager m’a dit qu’il ne savait pas comment aborder une situation, ça m’a soulagée de voir qu’il n’était pas parfait…

Coach : L’avez-vous trouvé illégitime ?

Cliente : Non, je sais qu’il est intelligent, compétent, de bonne volonté… Cela ne m’a pas choquée, cela m’a plutôt fait du bien de voir qu’il était humain et qu’il partageait ça avec moi. Je me suis aussi sentie utile car je me suis dit que je pouvais l’aider à ce que nous trouvions la solution ensemble.

Coach : Pensez-vous pouvoir à votre tour partager une difficulté avec votre manager qui vous a lui-même fait une confidence la prochaine fois que vous ne saurez pas ?

Cliente : Je pourrais essayer oui…

Coach : A quelle occasion ?

Cliente : Mmm… J’ai un point avec lui demain, et je vais lui demander son avis sur un point qui me pose question.

Coach : OK, nous en discuterons la prochaine fois, vous me direz comment cela s’est passé. »

Poser des mots sur la situation de la cliente lui a permis ici de se détendre à l’idée que ce qu’elle vivait et pensait n’était pas isolé, qu’elle n’était pas seule avec son problème. Allégée de cette angoisse et cette culpabilité supplémentaires, cela lui a permis d’avoir plus de recul et de se concentrer sur ce qu’elle pouvait faire petit pas par petit pas.

Dans d’autres situations, le leader peut évoquer lui-même proactivement son syndrome de l’imposteur et répéter au coach que c’est ce syndrome qui l’empêche de se sentir légitime, qu’il veut s’en débarrasser. L’intentionnalité du coach peut être alors d’explorer avec le client ce qu’il entend par syndrome de l’imposteur pour mettre à plat la façon dont cela s’articule chez lui. Le coach va accompagner le client à apprivoiser et démystifier ce syndrome. Il peut utiliser si c’est pertinent le test de Clance (créé par Pauline Rose Clance, qui a mis en évidence le phénomène) comme grille de lecture ou guide de questionnement. L’idée est d’aider le client à verbaliser ce qui le préoccupe avec ce syndrome, pour travailler par la suite à corriger le déficit d’attribution de ses succès à ses propres compétences. Cela permettra de se concentrer sur l’émergence du sentiment de compétence du leader.

3.4       Développer le sentiment de compétence du leader pour renforcer sa légitimité (β)

Une fois le client au clair sur ses mécanismes de pensée, et affranchi d’une couche de culpabilité qui le dessert pour avancer, le coach peut mener avec le leader un travail de conscientisation puis d’auto-évaluation de ses compétences dépourvue de jugement et affranchie de distorsions cognitives dysfonctionnelles.

Les sentiments de légitimité et de compétence étant si corrélés, il sera primordial pour le coach de s’assurer que son client en ait une conscience et une évaluation adaptées. En effet, Bandura théorise le sentiment de compétence et nous explique qu’il n’est pas tout d’avoir des compétences, encore faut-il les conscientiser. Sans cela, l’individu manque de confiance en lui et ne peut passer à l’action. Le coach va donc faciliter cet état des lieux des compétences, incitant le leader à les verbaliser, les exploiter mais aussi identifier les déficits de compétence « objectifs » et établir des actions correctives pertinentes.

3.4.1      Faire émerger le sentiment de compétence : ligne de vie, appréciation, 360°

Pour faire émerger ce sentiment de compétence, le coach peut utiliser plusieurs stratégies et outils détaillés ici.

L’outil de la ligne de vie peut être un point de départ avec une approche exploratoire aidant le client à toucher du doigt ses sentiments de compétence et de légitimité, en lui faisant se remémorer les moments de sa vie où il s’est senti à sa place, dans le flow. Le coach demande au client de tracer une ligne horizontale au centre d’une feuille de papier, représentant le temps : cet axe du temps peut commencer aux études ou au début de la vie active, suivant le stade de vie du client, la richesse de ses expériences passées et/ou son état émotionnel. Le leader représente sa vie à main levée, traçant de part et d’autre de la ligne horizontale (en haut pour le positif, en bas pour le négatif) son évaluation de sa satisfaction dans sa vie – se sentait-il bien, « à sa place » ? La représentation est centrée sur la carrière professionnelle, et peut inclure les activités « extra-scolaires », associatives ou projets personnels importants.

Une fois le tracé réalisé, le coach va procéder avec le client à l’analyse globale des pics et creux à la lumière des angles de compétences et de légitimité.

Puis méthodiquement, pour quelques pics proéminents où les sentiments de légitimité et de compétence seront probablement les plus forts, le coach va explorer plus en détail la systémique de ces sommets en utilisant les niveaux logiques de Dilts : quel était alors l’environnement ? Quels comportements le leader mettait-il en œuvre ? De quelles compétences faisait-il preuve ? Que croyait-il de lui et quelles valeurs nourrissait-il alors ? Qui était-il dans ce moment ? A quoi contribuait-il ?

Dans un moment où le client leader manque peut-être de confiance en lui car il doute de sa légitimité, le coach va lui faire revivre les moments forts où il s’est senti bien, pour le remettre dans une dynamique positive de confiance. Il va aussi permettre au client de réarticuler les comportements et compétences qui lui ont permis de se sentir à sa place.

Ces compétences et comportements ne sont pas forcément tous transposables exactement tels quels à la nouvelle situation qui met le leader en difficulté. Cependant, certains peuvent l’être directement (par exemple le leader se rend compte qu’il a vécu une expérience très proche au début de sa carrière qu’il n’avait plus en tête, et qu’il a très bien gérée) ou indirectement (par exemple, le leader se rend compte qu’il a fait face à beaucoup de changements dans sa vie mettant à mal sa légitimité et qu’il a toujours réussi à rebondir, quoi que soit la situation).

Le coach peut aussi conduire un processus d’appréciation des compétences de façon plus ciblée et moins exploratoire. En particulier si le client a verbalisé spécifiquement les compétences qu’il pense devoir être nécessaires pour se sentir légitime dans son poste, le coach peut mener une exploration à partir de ces compétences précises, en allant chercher les talents et compétences non conscientisées du leader, souvent exprimées dans des domaines de vie différents du travail.

Par exemple, le client peut penser qu’il n’est pas légitime pour prétendre à une promotion car le poste en question requiert du leadership, qualité dont le client se sent dépourvu. Après avoir aidé le client à définir sa perception du leadership et des comportements souhaitables dans le poste, le coach va demander au client de réfléchir à une situation où il a fait preuve de ses mêmes qualités. Il va solliciter des exemples issus de sa vie professionnelle, du domaine privé, de sa jeunesse… jusqu’à ce que le client identifie des expériences de leadership tels qu’il l’a défini, passant outre ce « gros mot » du leadership pour revenir à des comportements précis dont le leader a été capable. Cela permettra la mise en lumière des compétences existantes sur lesquelles s’appuyer pour renforcer son sentiment de légitimité et sa confiance en lui.

L’« assessment » des compétences peut prendre bien d’autres formes, et s’appuyer par exemple sur de nombreux autres outils. Par exemple, le StrengthFinder de Gallup détaille 34 forces clés donnant matière à la réflexion du leader sur l’identification de ses forces de façon constructive. Un test en ligne est disponible pour étayer et inspirer la réflexion. Le feedback 360° peut être une autre approche utile à l’émergence du sentiment de compétence, quand son questionnaire est bien calibré par le client avec le coach et interroge des personnes désireuses de s’associer au développement personnel du leader de façon bienveillante et constructive. Le coach va encourager le client à solliciter des exemples précis de situations auprès de l’entourage professionnel ou personnel suivant sa problématique. Plus les exemples de feedbacks vont être détaillés, et adossés à des exemples précis (c’est-à-dire, du feedback conditionnel), plus ils vont permettre au client de les comprendre et d’en extraire des enseignements riches et crédibles, sur ses qualités, ses talents, ses compétences et les comportements qu’il sait mettre en œuvre avec brio.

3.4.2      Renforcer et ancrer le sentiment de légitimité : visualisation, ancrage PNL

Une fois le sentiment de compétence présent, le coach va pouvoir accompagner son renforcement pour améliorer l’évaluation β du client et réduire son écart Δ avec ce qu’il considère nécessaire et important pour se sentir légitime, sa perception α. Il peut à ce moment-là s’en faire une représentation cognitive claire, qui va peut-être se doubler d’un état émotionnel positif, un ressenti de confiance en soi, parfois un dynamisme et une motivation. Il peut être intéressant pour le coach de proposer au leader d’ancrer cette sensation de confiance en ses compétences grâce à une technique de PNL, afin d’y faire appel de nouveau dans des moments de doute ou de stress et de retrouver le contrôle de soi. Cette technique s’appuie sur l’idée d’association entre un ressenti sensoriel kinesthésique et une émotion. Elle permet de court-circuiter le mental et les schémas cognitifs récalcitrants, la rendant particulièrement intéressante pour les leaders manifestant le syndrome de l’imposteur, qui vont avoir tendance à douter de leur légitimité de façon parfois irrationnelle et à oublier leurs ressources intrinsèques.

Cette technique d’ancrage peut être réalisée simplement, en induisant un état de conscience modifié chez le client par la visualisation, le projetant dans un ressenti où il se sent confiant, légitime, compétent, à sa place, en sollicitant la puissance du VAKOG du client, puis en associant un point d’ancrage kinesthésique que le client aura préalablement choisi (par exemple deux doigts qui se touchent, un pincement sur le poignet, etc…) lorsque l’émotion est en phase de montée. Un ancrage réussi permettra au client re-solliciter cet état de confiance et de légitimité de façon émotionnelle et corporelle en opérant le signe choisi, notamment dans les moments de doute, pour réactiver sa confiance en ses capacités.

3.4.3      Mettre le leader en action pour développer ses compétences

Le travail de conscientisation et de renforcement des compétences peut également mettre en lumière certaines insuffisantes dans les compétences du leader que ce dernier pourra juger nécessaire de corriger. Une fois tous ces éléments identifiés et verbalisés, le coach va mettre son client en action, pour renforcer les compétences identifiées développant son sentiment de légitimité, et pour pallier aux lacunes ou faiblesses identifiées qui limitent le client dans l’atteinte de son alignement professionnel et de sa légitimité.

Un plan d’action sur ces compétences peut être utile pour concentrer l’attention du leader vers son but. L’outil suivant peut être proposé par le coach :

Compétence

à développer ou renforcer

Objectif de développement Actions de développement et KPI Suivi hebdo Evaluation après 1 mois
Par ex. : Prendre la parole en public avec clarté et sans anxiété Se sentir à l’aise et légitime pour présenter devant le comité de direction dans 2 mois ·  S’entraîner à prendre la parole pour développer sa confiance (Au moins 1 intervention par réunion)

 

·  Développer les relations 1-1 avec les membres du comex pour se sentir plus à l’aise avec eux (1 contact formel ou informel par semaine)

 

·  Préparer un script et répéter les interventions pour être à l’aise avec son propos (intro, 3 bullet points, conclusion)

 

·  Consulter la formation e-learning sur la prise de parole pour recueillir des conseils
(Complétion formation + mise en pratique)

X X X X Après un mois, j’ai réussi à …

 

J’ai appris…

 

Je me sens plus compétent sur…

 

Je me sens à l’aise sur..

 

Je dois encore travailler…

  X X X
X X
  X

Le recours à des personnes tierces en support, à de la formation, à des mentors, à des postes et missions de transition peuvent être nécessaires pour développer les compétences. Le premier pas pour le leader est d’être conscient de ce sur quoi il doit travailler. Le formaliser dans un plan d’action à l’initiative du leader et discuté avec le coach lui permet de se sentir responsable vis-à-vis de sa progression. En portant sa conscience et son attention vers cet objectif de montée en compétence, il va progressivement permettre de faire advenir la compétence visée.

 

3.5       Travailler l’auto-indulgence, l’acceptation de soi et le détachement du leader (Δ)

Outre la conscientisation des compétences du leader, une autre partie du travail pour renforcer le sentiment de légitimité est la gestion des attentes envers soi-même et de la reconnaissance attendue de cette légitimité. L’écart Δ entre la représentation de la légitimité α et l’évaluation β propre du leader va être d’autant plus grand que le leader fait preuve d’exigences élevées envers lui-même, attribue à l’environnement des jugements durs et des attentes élevées, et imagine devoir être un autre pour mériter la légitimité et la reconnaissance des autres. Pour éviter d’être happé dans des illusions non-productives sur le masque social qu’il lui faudrait porter pour mériter la légitimité, et réduire l’écart Δ, le leader va devoir travailler l’acceptation, le détachement et l’affirmation de son style propre.

3.5.1      Explorer les exigences et attentes perçues pour questionner leur pertinence

La première étape de ce travail est pour le coach le questionnement des attentes perçues par son entourage professionnel dans son poste, pour s’assurer qu’elles sont réelles et non imaginaires.
Par exemple, nous avons observé à plusieurs occasions des clients de coachings qui évoquent en séance des « attentes élevées » de la part de leur entreprise, de la part de leur manager, de la part de leurs clients potentiels, les faisant douter de leur légitimité et de leur capacité à y répondre, sans réellement être au clair sur le détail de ces attentes une fois interrogés. Le questionnement des attentes perçues peut parfois permettre au coach de mettre à jour des lectures de pensées non fondées du leader sur son entourage professionnel ou une perception globalement surévaluée et surinvestie des attentes du monde du travail, couplées à un manque de confiance en soi.

Ainsi dans un processus de coaching auprès d’une leader manager qui pensait que son manager attendait d’elle un niveau de prestation bien supérieur à ce qu’il attendait en fait, le questionnement sur les attentes perçues a finalement encouragé la manager à demander à son chef plus de détails sur ce qui constituait un travail acceptable, au lieu d’imaginer des attentes irréalistes lui faisant douter de sa capacité et de sa légitimité à occuper son poste.

De même dans un autre processus avec une leader chef d’entreprise, le questionnement sur les attentes perçues de la part des clients a permis, via la mise en place d’un jeu de rôle en se mettant à la place de ces mêmes clients, de recadrer et normaliser les attentes vraisemblables.

La surévaluation des attentes perçues va souvent être associée aux peurs du client : peur de décevoir, peur de l’échec face aux attentes élevées, peur de se tromper… Une étape pour le coach à ce stade va être non seulement de questionner la pertinence des attentes perçues pour atténuer les peurs non nécessaires ou inutiles, mais également de questionner ce que ces peurs révèlent des besoins du client afin de l’accompagner à les identifier et trouver des façons d’y répondre.

3.5.2      Développer l’auto-indulgence du leader : se décentrer et se parler gentiment

Au-delà de la rationalisation des attentes du système sur ce qui mérite reconnaissance et confère la légitimité, une autre intentionnalité du coach peut être d’accompagner le client à adopter plus d’indulgence envers lui-même.

Un outil pour y parvenir peut-être le décentrement, ou position méta, c’est-à-dire pour le leader de se mettre à distance de lui-même et de s’observer et se juger extérieurement. Par exemple, le coach peut demander au leader : « si vous étiez votre ami, et que vous voyiez vous comporter tel que vous le faites, exprimer les capacités qui sont les vôtres, obtenir les résultats qui sont les vôtres : que vous diriez vous ? Que penseriez-vous de vous ? » Souvent l’individu va prendre du recul et être plus indulgent avec lui-même dans ces conditions qu’il ne l’est d’habitude.

En séance de coaching, nous avons utilisé cette technique avec une manager leader qui pensait « ne pas être à la hauteur de son poste car elle ne gérait pas bien son stress, et un manager ne devrait pas se laisser stresser autant sinon cela lui enlève de la crédibilité ; un leader devrait rester calme ». Elle doutait de sa légitimité de manager dans ces conditions.

Coach : « Si vous étiez votre amie, que vous diriez vous dans ce contexte ?

Cliente : Je me dirais que ce n’est pas la peine de stresser car je gère, j’ai toujours réussi à gérer les projets par le passé ; et ce n’est pas si grave de stresser en soi, cela arrive à tout le monde, mais surtout je me dirais que le projet est entre de bonnes mains avec moi et que tout va bien se passer ! »

Il s’agit ensuite pour le coach de terminer l’exercice en mettant le client en position Méta une seconde fois : « Que pensez-vous de ce que cette amie vient de vous dire ? » pour aider le leader à garder la tête plus froide par rapport à ses aptitudes, et à relativiser ses doutes et à faire preuve de plus d’indulgence avec lui-même.

Pour renforcer ce procédé de décentrement, et lui donner de la longévité, le coach peut encourager le leader à prêter attention à son discours intérieur et en particulier à la façon dont il se parle, s’il a une tendance naturelle à être très exigeant et dur avec lui-même. Un exercice d’inter-séance peut consister pour le leader à prêter attention à ses pensées et jugements sur ses compétences et capacités, et à se demander : « me permettrais-je d’être aussi dur et exigeant avec un ami ? Serait-ce justifié et approprié ? ». La réalisation de son exigence sans commune mesure avec l’exigence portée aux autres peut aider le leader à ré-évaluer la pression qu’il se met, et à créer une habitude d’indulgence avec lui-même, lui permettant de réduire l’écart Δ entre α et β pour mieux apprécier sa légitimité.

3.5.3      Eveiller le leader à l’indépendance émotionnelle pour permettre le détachement

Face à un leader très dépendant du regard des autres et sensible aux jugements, qui aurait tendance à juger durement sa compétence dans son poste pour anticiper des critiques potentielles comme pour s’en prémunir, l’intentionnalité du coach peut être de faire travailler avec le leader sur son indépendance émotionnelle et cognitive : la réalisation que chaque individu est seul responsable de son état émotionnel et de ses pensées, et qu’il est illusoire de penser contrôler les pensées et émotions de son entourage, en particulier leurs jugements à notre égard.

En effet, le leader peut vivre dans l’illusion qu’il doit agir de telle ou telle façon pour se conformer aux attentes imaginées de son entourage pour mériter leur reconnaissance et susciter de la légitimité ; et souvent la façon dont il imagine se comporter met en œuvre des lectures de pensées sous-tendues par sa propre vision du monde, différente de celle des autres. Le leader peut par exemple chercher à contenter autrui en étant conforme à des attentes imaginées, et s’attendre à obtenir certains résultats qui lui paraissent logiques et attendus à ses yeux ; cependant son entourage ne va pas forcément répondre à ses comportements comme le leader le projetait, car les membres de l’entourage agissent selon leurs propres visions du monde.

Dans l’intentionnalité de recentrer le client sur ce qui est dans sa zone de contrôle et de se détacher du regard d’autrui, le coach peut par exemple proposer un recadrage au client en lui soumettant cette idée : imaginer (et peut être réaliser) qu’il n’a aucune prise sur ce que son entourage professionnel va penser de lui, car les membres de son entourage sont absolument et constamment libres et seuls maîtres de leurs jugements à son encontre qu’ils soient positifs ou négatifs, justifiés ou injustifiés. Si le client fait l’exercice de se projeter en adoptant cette cognition, qui semble une modélisation assez proche de la façon dont fonctionne la réalité, il peut réaliser qu’il n’a de prise et d’impact directs que sur ce qu’il pense de lui-même et non ce que les autres pensent. Il peut alors s’il le souhaite commencer à adopter une perspective différente, et se concentrer sur ce qu’il doit faire pour être en accord et se satisfaire lui-même, la seule personne dont il est en pleine mesure d’influencer les jugements.

Ainsi le coach va aider le leader à se détacher des attentes imaginées du système et à se poser la question : « d’après moi, et pour être aligné avec moi-même, que dois-je penser, comment dois-je me comporter pour m’efforcer d’être le plus « à ma place » possible ? ».

3.6       Faciliter l’alignement et l’affirmation de soi vers la légitimité charismatique (Δ)

Le détachement du regard d’autrui, la relativisation de son importance et la réalisation de sa contingence vont permettre au leader de recentrer son sentiment de légitimité sur lui-même. Nous avons vu qu’être légitime, c’est en partie se sentir « à sa place ». Se sentir à sa place passe par se sentir aligné avec et conscient de son identité : une étape aidante pour accéder à cet alignement est l’identification pour le leader de la distinction entre son Moi Social et son Moi Privé profond. Afin de permettre au leader de démêler ces deux entités, le coach peut faire travailler le leader sur son système CVBLPE, en commençant par un travail sur ses valeurs.

3.6.1      Conscientiser les contours du Moi profond : le travail sur les valeurs

Identifier et verbaliser les valeurs les plus profondément importantes et fondamentales pour le leader est un exercice qui va lui permettre d’avoir conscience de ses besoins, d’être plus à l’écoute et de décoder les raisons qui le font se sentir à sa place ou en dissonance avec son environnement et son entourage professionnel. Cela va lui permettre de décoder les situations auxquelles il fait face pour comprendre ses émotions et ses frustrations : si ses valeurs sont nourries, il aura plus de chance de ressentir des émotions positives, et si ses valeurs sont bafouées, il ressentira probablement de la frustration.

En particulier, face à un leader qui dirait se sentir illégitime au travail, en relation avec une problématique de « manque de sens », le coach peut utiliser cette expression comme un indice sémantique pour orienter sa stratégie de questionnement vers l’émergence des valeurs et des « essentiels » du leader.

En effet, on pourrait imaginer des leaders aux compétences identiques dans des postes similaires dans la même entreprise, globalement tous deux qualifiés pour leur poste, l’un motivé par la valeur « collaboration », l’autre par la valeur « compétition ». Suivant la culture de l’entreprise dans laquelle ils se trouvent, soit plus collaborative, soit plus compétitive, l’un ou l’autre pourra se sentir plus à sa place et légitime que l’autre, à compétences égales par ailleurs.

Cet exemple illustre bien que le sentiment de légitimité dans un poste n’est pas une simple fonction de la compétence au sens large et de la reconnaissance de ces compétences, mais aussi d’un alignement du leader avec lui-même et l’environnement pour qu’il se sente dans son élément, à sa place, dans le « flow ».

L’intentionnalité du coach va être de faire conscientiser les valeurs importantes pour le leader, qui doivent être activement nourries au quotidien afin de lui permettre de se sentir à sa place. Ce travail sur les valeurs permettra au leader de remettre en perspective que son sentiment d’illégitimité peut être dû à une inadéquation de son environnement professionnel par rapport à ses besoins et son identité profonde. Cette conscientisation permet au leader d’ôter une couche de culpabilité ou de dépréciation à ses pensées, pour l’orienter vers la pleine conscience de ce qu’il veut ou ne veut pas, lui permettant de devenir acteur de ses choix. Il prend ainsi du recul sur son environnement professionnel.

L’exercice permet également au coach de questionner le Moi profond du client par opposition au masque social qu’il endosse peut-être pour se conformer à des attentes imaginées ou des injonctions perçues de l’environnement. Il peut permettre en particulier aux leaders qui font un amalgame entre leur identité et leur travail de prendre du recul et de rétablir une distinction entre les deux.

Le coach peut faire émerger les valeurs par un questionnement autour des choses importantes pour le client, ou utiliser comme support une liste de valeurs que le leader pourrait choisir instinctivement, puis ordonner en les comparant deux à deux jusqu’à n’en retenir que 5 principales et non négociables. Le coach interrogera également la définition que le leader fait de chacune de ses valeurs pour continuer à mettre à jour sa vision du monde.

3.6.2      Projeter le leader dans la visualisation de son sentiment de légitimité : Bateson

Une fois les valeurs du leader identifiées, le coach peut considérer de projeter le leader dans la situation professionnelle dans laquelle il se sentirait pleinement légitime, pour explorer à quoi cela ressemblerait pour lui. Un exercice puissant pour aider le client à se projeter, pour faire émerger l’espace solution et les conditions nécessaires à l’alignement du client est l’outil inspiré du travail de Grégory Bateson, ou les niveaux logiques de Dilts. L’intentionnalité du coach est de faire exprimer au client à quoi cela ressemblerait d’être légitime, à sa place, compétent, confiant en lui, reconnu. Il peut ainsi lui faire toucher du doigt que ce sentiment est accessible en lui faisant imaginer les conditions et sensations associées. Il va pouvoir lui faire verbaliser indirectement les éléments qui doivent changer dans sa situation actuelle pour que cela se produise. Cette visualisation peut également permettre après l’exercice de faire émerger des solutions et des plans de mise en action.

Pour cela, le coach va projeter son client dans l’avenir à un moment qui fait sens pour le client par rapport à son objectif de légitimité ou d’alignement professionnel, et où il l’aura atteint.

Il va lui dire : « ça y est, votre objectif est atteint, vous vous sentez complètement légitime, à votre place, compétent et confiant au travail, reconnu par vos pairs : où êtes-vous ? Et à quoi votre environnement ressemble-t-il ? ». Le coach va mener le questionnement en mode rétrograde associé, en projetant son client dans le futur mais en parlant au présent comme si l’objectif était bien atteint.

Il va le faire progresser sur l’échelle des niveaux logiques de Dilts, partant de l’environnement vers les comportements, puis les compétences, les croyances et valeurs, vers l’identité pour finir au sens ou à l’appartenance, en prenant soin d’ancrer les réponses dans le niveau précédent pour articuler les éléments de façon logique.

Source du schéma : e-marketing.fr

Le coach peut ensuite restituer au client ses propres mots en redescendant les niveaux de la pyramide pour lui renvoyer l’image de la légitimité professionnelle qu’il a construite, puis questionner le leader sur son ressenti dans l’exercice. Il peut ensuite reprendre l’exploration des croyances limitantes ou des cognitions bloquant le leader vers l’atteinte de cet alignement permettant sa légitimité. Il peut au contraire si c’est pertinent renforcer les prises de conscience de son client sur ce dont il a besoin pour se sentir légitime, en termes de nouvelles façons de pensée, de compétences à développer ou à mobiliser, de comportements à mettre en place, d’environnement à rechercher, de valeurs à nourrir, pour pouvoir être lui-même, authentique, aligné, et à sa place. Ce travail devrait permettre au leader d’être prêt à verbaliser des options de plan d’action, et l’intentionnalité du coach sera alors l’accompagnement de cette mise en action.

3.6.3      Faciliter l’expression de son style authentique vers la légitimité charismatique

Finalement, le travail mené sur la construction identitaire via des outils tels l’exploration des valeurs et le Bateson vont permettre au leader de consolider ce qui fait son identité et son Moi profond et authentique. Ce travail va permettre de mettre à jour les confusions possibles de ce Moi authentique avec le Moi social que le leader aurait construit parfois sans s’en rendre compte, à coup de croyances, pensées automatiques, injonctions sociales et parentales ayant imprégné sa vision du monde et sa perception des attentes de l’environnement à son égard.

C’est en « se retrouvant », libéré du carcan de ses croyances non nécessaires, que le leader va pouvoir choisir s’il le souhaite, les yeux ouverts, de s’affirmer, d’exprimer son style, d’être lui-même et à sa place, sans faux semblants. Et en étant lui-même et en sachant ce dont il a envie ou pas envie dans sa vie et dans son contexte professionnel, on peut penser qu’il va être mieux disposé à exprimer un leadership plus authentique, plus naturel pour lui, appuyé sur ses talents, sa personnalité, ses forces, sa confiance retrouvée en ce qui le distingue et est important pour lui. Cet alignement lui permettra par ricochet de gagner en charisme, en étant et projetant à son environnement une personne en accord avec elle-même, ouvrant la voie à une dynamique de cercle vertueux dans ses interactions avec son entourage.

Le coach va pouvoir accompagner le leader à consolider cette sensation d’alignement tout au long de la mise en action, ou si l’objectif de se sentir légitime du client est atteint, à l’aide d’un exercice de clôture, comme un arbre de vie modélisé sur le thème de l’identité authentique et professionnelle du leader, ou un exercice tel l’étoile du changement, qui permet au client de résumer en un diagramme les choses apprises au cours du coaching. En particulier, le leader va pouvoir résumer : ce qu’il veut garder, ce qu’il veut développer, ce qu’il veut créer, ce qu’il veut réduire, ce qu’il veut supprimer, et ce qu’il va mettre en œuvre pour se sentir légitime à l’avenir.

Peut-être le leader changera-t-il simplement ses croyances sur l’environnement en se rendant compte par exemple que personne n’attend de lui de tout savoir pour être légitime dans son poste, ou que son âge n’est un problème que dans ses yeux et pas dans ceux de ses collègues qui le trouvent tout à fait compétent et légitime : il aura alors surtout travaillé à faire évoluer sa représentation α.

Peut-être que le leader se rendra compte de compétences qu’il ne soupçonnait pas, ou de comportements qu’il pourrait mettre en œuvre et qu’il s’était peut-être interdits ou n’avait pas identifiés auparavant. Il aura retrouvé sa confiance en ses capacités et sa légitimité, et il aura alors surtout travaillé avec le coach à ré-évaluer son évaluation β.

Peut-être que le leader décidera de s’affranchir d’un style de leadership emprunté qu’il pensait attendu de lui, mais qui n’était pas le sien. En faisant tomber un masque social qui le desservait, ou en décidant de changer d’environnement professionnel, il aura retrouvé son alignement vers l’expression d’un style authentique, affirmé, plus charismatique. Il aura alors travaillé sur la réduction et/ou l’acceptation de son écart Δ pour se sentir à sa place, mettant en place des actions pour reprendre le contrôle de son sentiment de légitimité.

 

CONCLUSION

Finalement, notre exploration du sentiment de légitimité chez les leaders du point de vue du coaching nous amène à conclure que le coach, dans la mesure où il s’appuie sur l’éthique et le professionnalisme, peut offrir un accompagnement puissant au leader lui permettant de retrouver la maîtrise de son sentiment de légitimité.

En effet, si le coach ne rend pas le client légitime, c’est le processus de coaching qui peut rendre au leader l’accès à son sentiment de légitimité.

Cet accompagnement, rendu possible par la posture du coach via l’ouverture d’un espace de déconstruction et de reconstruction des schémas cognitifs, via le questionnement et le recadrage, va permettre au leader d’effectuer un travail endogène en profondeur vers ce sentiment qui réside à l’intérieur de lui, et qui n’est pas un absolu résidant à l’extérieurde lui comme il aurait pu initialement le croire.

Lui seul peut redonner au mot subjectif de « légitimité » le sens qui pertinent pour lui.

Lui seul peut prendre le contrôle de sa compétence.

Lui seul peut déterminer et trouver sa place, en adéquation avec son environnement.

Et qu’en est-il de la reconnaissance de l’entourage, centrale dans la définition de la légitimité, cette validation apparemment extérieure ?

Par le coaching, le leader prendra conscience que la seule reconnaissance qui est en son contrôle, c’est la sienne. Et qu’à partir du moment où il a fait le tri dans sa vision du monde pour s’alléger des croyances qui ne le servent pas, où il a repris le contrôle de son sentiment de compétence, où il a trouvé les clés de son fonctionnement et est indulgent avec lui-même pour cheminer à son rythme, où il est clair sur qui il est et où il va, il sera en mesure de trouver sa place, de s’y sentir bien, dans le flow, en alignement avec son Moi profond, faisant rayonner cet alignement comme une aura charismatique.

Et alors il sera à l’aise avec son propre regard sur lui-même : légitime.

 

[1] PFDO : Protocole de Formulation et Détermination de l’Objectif

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