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Hors-Série Numéro 4 10/2017

Ethique, morale et déontologie : la place du coaching

Définir la place du coaching non pas là où il devrait être mais là où il est déjà, à partir de son rôle et de sa fonction utile, au-delà des querelles partisanes : telle est l’ambition de cet article.

Gérald Portocallis
Article de recherche – première publication le 24/10/2017


Résumé

Définir la place du coaching non pas là où il devrait être mais là où il est déjà, à partir de son rôle et de sa fonction utile, au-delà des querelles partisanes : telle est l’ambition de cet article. Afin d’assigner à sa juste place le coaching, il s’agit de discerner la véritable portée éthique de ce métier qui ne va pas forcément de soi. Pour cela, il convient de situer le coaching parmi les théories morales existantes afin de montrer qu’il ne défend ni le vertuisme, ni le déontologisme, ni le conséquentialisme et encore moins une forme d’existentialisme.
Le coaching est selon nous l’application pratique et pragmatique d’un perfectionnisme moral clairvoyant, lucide et déflationniste au sens où la démarche n’appelle pas la réalisation d’une nature humaine mais le développement d’une compétence éthique. Celle-ci ne peut s’élaborer qu’à travers le parcours d’une mini-éthique composée de trois moments : une éthique de la conscience et de la connaissance de soi, une éthique de la déconstruction et une éthique de la congruence.
Le coaching fait appel ainsi à une vision moderne de l’homme mais est également conscient des illusions que cette image véhicule. En ce sens, le métier de coach impose au professionnel le déploiement d’une vision et un retour à la texture d’être de chaque individu. Si le coach participe de la moralité, c’est parce qu’il est attentif, au sens plein du terme, aux concepts et aux mots de son client afin de discerner sa manière de voir le monde. Vision, texture d’être et attention : trois concepts permettant d’appréhender une éthique du coaching centrée sur l’individu et à son bénéfice.
Mots-clés : Coaching, Ethique, Déontologie, Philosophie, Morale

Abstract

This article aims to define coaching through its functions, not where it should be, but where it already is. In order to put coaching in its rightful place, we will show its ethic significance, and therefore locate it amongst the existing moral theories, such as vertuism, deontologism, consequentialism and existentialism. Coaching is the practical and pragmatical application of a perspicacious moral perfectionnism, insofar as its approach does not call to the realisation of a human nature but to the development of ethic competences. Therefore, coaching carries a modern vision of human but is also conscious of the illusions this vision involves.
Keywords : Coaching, Ethic, Deontology, Moral, Philosophy


« Aider l’individu à prendre conscience de ses étalons ultimes qui se manifestent dans le jugement de valeur concret, voilà finalement la dernière chose que la critique peut accomplir sans s’égarer dans la sphère des spéculations. » (Weber, [1904] 1965 : 125-126)

Introduction

L’éthique semble avoir recouvert le champ de tous les questionnements. Dès qu’une interrogation sur le sens d’une action à réaliser ne peut être décidée par le droit (pour un problème sociétal) ou par un raisonnement logique et rationnel (pour un individu), alors on emploie souvent le mot d’éthique. En ce sens, on voit des comités d’éthique se former pour examiner ces questions dont la réponse est à construire. Cependant, lorsqu’on évoque le fait que notre conduite ou que notre discipline est éthique ou bien que notre démarche s’inscrit et souscrit à des principes éthiques, on entend souvent par là le fait d’adopter des règles pratiques de conduite et que cela est jugé bon. L’expression « c’est éthique » revient alors justifier notre démarche. Mais par rapport à quoi et pour qui ? L’éthique semble être paradoxalement à la fois une ressource pour le questionnement mais aussi un arrêt dans la procédure de la justification. Dans ce dernier sens, l’appel à l’éthique n’aboutit pas à l’examen d’arguments et de possibilités nouvelles, mais arrête au contraire toute discussion. C’est éthique donc c’est bien. N’en parlons plus. Cela évite ainsi une discussion réelle sur la nature et la portée de nos valeurs.
Alors que l’éthique sonne moderne à nos oreilles, la morale, quant à elle, n’est pas bien lotie de nos jours. Comme le clamait déjà Léo Ferré, dans le morceau Préface « N’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres ». La morale est en ce sens plutôt de nature commune et rattachée à la collectivité et à ce qui est convenu dans une société donnée. Ce n’est pas ma morale mais celle dans laquelle j’ai grandi et que je me suis plus ou moins appropriée. Elle fait écho aussi de manière plus large à la tradition et peut vite être suspectée de moralisme. La morale est alors considérée comme un ensemble de règles prescriptives, soit provenant de la société soit que je forme et que je m’applique.
Pour résumer, l’éthique ferait plutôt référence aux désirs et aux intérêts (au sens de ce qui m’intéresse) de la personne alors que la morale ferait plutôt écho aux règles établies et impératives qui me sont soit imposées, soit que je m’impose à moi-même. Nous reviendrons sur cette fameuse distinction entre éthique et morale et s’il y a lieu de les opposer nettement.
Ce bref examen de nos manières de parler de ces deux mots nous permet certes de commencer la réflexion mais nous arrête presque dans la foulée. Ne nous méprenons pas ici sur notre attention au langage ordinaire. Celui-ci est à la fois ce à partir de quoi il faut partir et là où il s’agit d’arriver mais à la condition que ce qui est dit nous fasse avancer dans nos manières de voir. Or, comme nous venons de le remarquer, le fait que d’un côté le terme d’éthique soit employé pour arrêter la justification et assimile tout action par défaut à l’idée de bien et que d’un autre côté, celui de morale ne désigne rien d’autre que les mœurs des autres sur une tonalité critique, nous questionnent. Tout se passe comme si l’éthique allait de soi car tout en elle est positif et comme si la morale devait être abandonnée, trop impérative et loin de mes désirs réels.

« En termes plus nets, l’éthique faisait moderne et profond. En revanche, la morale n’était encore ni moderne ni laïcisée. Elle ressemble à une vieille pensée grincheuse et agitant le martinet, occupée de normaliser les pensées et les actes, et surtout d’intervenir dans la vie privée pour briser satisfactions et plaisirs » (Canto-Sperber 2001, p. 25).

Cependant, en opérant de la sorte, nous ne définissons rien et la pensée semble être à l’arrêt.
Face à ce constat, cet article a pour ambition de réhabiliter toute la profondeur épistémologique du travail réel du coach et de ce métier qu’est le coaching. Il s’agira ainsi de repenser ces deux notions d’éthique et de morale en essayant de comprendre ce qui se joue à travers elles. Nous examinerons également la portée épistémologique et pratique du Code de déontologie (nous nous référons dans cet article au Code de déontologie global de l’EMCC) auquel se réfèrent les coachs. Le Code de déontologie pourrait alors nous servir justement de moyen terme entre l’éthique et la morale pour penser l’articulation entre les valeurs et les normes sociales. Nous essaierons ainsi de définir de réels principes éthiques qui s’articulent et qui donnent à penser le métier de coach dans le monde dans lequel nous vivons.
En essayant de penser ce que peuvent être l’éthique, la morale et la déontologie du coaching, nous donnons une véritable place au coaching car la place du coaching ne peut être évaluée que si ce métier est situé dans le monde de la philosophie morale et des sciences humaines et sociales.
Ce n’est qu’à la condition d’un adossement et d’un enracinement profond dans les sciences humaines qu’il sera donné une juste place au coaching. Mais attention à ne pas se tromper de question. Notre but n’est pas de définir la place du coaching là où il devrait être mais de situer ce métier là où il est, à partir de son rôle et de sa fonction utile, au-delà des querelles partisanes. Il est grand temps aujourd’hui de reconnaître sereinement la place que le coaching a prise. Son inscription dans la vie sociale, quel que soit le niveau (individu, équipe, organisation) est réelle. Il demeure néanmoins à réaliser le travail d’approfondissement rationnel et descriptif de ce métier exigeant, adossé aux sciences humaines, au bénéfice des clients en considérant toujours que l’individu est au centre de nos préoccupations.
Cet article a ainsi quatre objectifs :
1) définir à la fois les termes d’éthique, de morale et de déontologie et dresser un panorama des différentes orientations de pensée en morale,
2)  situer la place du coaching dans le champ de la philosophie morale et des sciences humaines,
3) déterminer la portée épistémologique et pratique du Code de déontologie,
4) Elaborer sous la forme d’un triptyque ce que signifie pour un coach d’être impliqué dans une vision éthique, morale et déontologique.

1. Définitions et courants de pensée

Qu’on accorde un certain crédit à la moralité ou qu’on veuille la critiquer voire la faire disparaître, il s’agit de rendre compte de la présence de certaines règles et de normes présentes dans nos sociétés, qui structurent le champ de nos actions. Dans nos actions quotidiennes, nous opérons des choix, nous délibérons à propos de futures décisions, nous évaluons certaines options et suivons des règles communes. A cet égard, il ne faut pas confondre les règles et normes morales avec les lois juridiques. S’il peut exister un champ proprement moral, c’est parce que justement tout n’est pas régi et édicté par la loi et le droit. Même si la morale et l’éthique peuvent établir des principes ou des règles, ces premières ne sauraient s’y réduire complètement.

« Dire que c’est mal, ce n’est pas dire seulement que c’est contraire aux règles … Les idées de bien et de mal sont différentes des idées de ce qui est conforme ou contraire aux règles. Autrement, on ne pourrait pas s’en servir pour évaluer les règles, aussi bien que nos actions » (Nagel, 1993, p. 73-74).

Ce qui permet l’établissement d’un domaine spécifiquement moral est le fait que l’homme soit un être qui exprime des jugements en relation avec des normes et des valeurs. Nous reviendrons plus tard sur la distinction entre normes et valeurs.

1.1. Ethique et morale : une différence substantielle ?

Comme il est apparu dans l’introduction, une distinction s’est établie dans le langage ordinaire entre éthique et morale. Doit-on souscrire à une nette différenciation entre ces deux notions ? Nous pensons que non et nous suivons à cet égard toute la tradition de pensée analytique. L’éthique/morale regroupe plutôt un ensemble de questions liées à l’action humaine, à savoir la réflexion sur le bien, le juste, la justification de nos actes, la délibération et l’examen des savoir-faire et de nos pratiques. Le renvoi à l’étymologie pour opérer une distinction est également sans issue. L’origine grecque ethos et l’origine latine mores renvoient au même domaine général des mœurs, des coutumes et des caractères.
Une remarque à cet égard est essentielle : la différenciation entre éthique et morale tient plus au fait de conventions de philosophes qui, dans leur usage des mots, préfèrent définir ces deux notions en les rattachant à une perspective spécifique ou à un courant de pensée. C’est exactement ce que Ricœur a réalisé dans Soi-même comme un autre lorsqu’il déclare que

« c’est donc par convention que je réserverai le terme éthique pour la visée d’une vie accomplie et celui de la morale pour l’articulation de cette visée dans des normes caractérisées à la fois par la prétention à l’universalité et par un effet de contrainte … On reconnaîtra … l’opposition entre deux héritages, un héritage aristotélicien, où l’éthique est caractérisée dans sa perspective téléologique et un héritage kantien, où la morale est définie par le caractère d’obligation de la norme, donc par un point de vue déontologique » (Ricœur p., 1990, p. 200).

L’éthique est donc pour Ricœur du côté de l’individu et de ses désirs, du particulier et du bien entendu comme vie bonne alors que la morale est du côté du collectif, du souci des autres, de la contrainte et du juste, devenu prioritaire sur le bien. Nous reviendrons sur ces aspects dans la présentation des trois grands courants de pensée de la philosophie morale. Cette distinction est-elle si éclairante ?
Nous pensons que cette différence peut parfois s’avérer intéressante dans certains contextes pour exprimer une tonalité particulière. « Après tout, c’est une ressource supplémentaire pour la pensée que d’avoir deux termes au lieu d’un seul, à condition que la différence se limite, en l’occurrence, à une différence d’accent » (Canto-sperber, 2001, p. 25). Ainsi, on comprend plus facilement l’expression de vie éthique ou de vie bonne que de vie morale. L’idée d’une vie morale fait de suite écho dans notre esprit à une vie ascétique, sans grand bonheur. On parle désormais plus volontiers de l’éthique aristotélicienne et de la morale kantienne (même si à une époque pas si tardive on employait aussi l’expression d’éthique formelle pour qualifier la pensée de Kant). L’utilisation de ces deux notions dans la langue ainsi que les conventions de certains philosophes ont donc transformé en quelque sorte l’usage. Cependant, même si nous pouvons en tenir compte, quelques réserves doivent être précisées pour bien comprendre ce qu’il ne faut pas attendre d’une telle distinction qui demeure une simple différence d’accent.
Premièrement, aucune amélioration ni aucune découverte en philosophie morale ne peut être attendue de cette distinction. Comme le précise Alexandre Jaunait, différencier éthique et morale

« n’est pas une nécessité épistémologique fondamentale dont dépendrait une révolution scientifique à venir. En outre, donner son opinion sur cette distinction n’engage pas à grand chose étant donné qu’il n’existe guère de point de vue surplombant permettant d’infirmer et de corriger telle ou telle définition » (Jaunait A., 2010, p. 107).

Néanmoins, si nous partageons totalement ce point de vue, il s’agit néanmoins de discerner ce qui peut être masqué derrière cette pseudo-distinction un peu trop simpliste, qui pourrait conduire à des confusions conceptuelles.
Deuxièmement, et d’ailleurs même Ricœur le reconnaît, si rien ne distingue les deux notions au niveau de leur étymologie, c’est parce que l’idée de mœurs comporte « la double connotation … de ce qui est estimé bon et de ce qui s’impose comme obligatoire » (Ricœur P., 1990, p. 200). Il ne faut surtout pas croire que l’éthique concernerait seulement les préférences des individus. Dans ce cas là, il y aurait autant d’éthiques que d’individus. A suivre cette logique, alors, ne parlons plus d’éthique mais de choix d’individus. « L’éthique n’est pas le lieu de l’arbitraire de chacun. L’éthique se formule à partir de principes universels, de règles communes, de référents partagés qui forment la base solide et collective des évaluations et des jugements » (Canto-Sperber M. & Ogien R., 2004, p. 8). Si rien ne s’impose à l’individu lorsqu’il doit effectuer un choix en vue d’une certaine finalité, alors la question ne relève plus de l’éthique.
Troisièmement, on pourrait également penser que la morale aurait pour but de dévoiler nos devoirs en se rapportant à une règle ou une loi. Néanmoins, réduire la morale à la loi et à nos devoirs est également une erreur. C’est oublier que tous nos savoir-faire et nos pratiques sont instituées dans un cadre collectif. Ce ne sont pas des habitudes créées par l’individu, qui doivent ensuite être contraintes par la loi.
En ce sens, une opposition trop franche ne permet plus de penser l’un des problèmes majeurs qui sous-tend toute la réflexion en philosophie morale à savoir la question de la normativité des actes, c’est-à-dire la situation dans laquelle j’éprouve le fait que je doive réaliser cette action.

1.2. Tentatives de définitions

Commençons par examiner la morale. La morale peut être définie comme un ensemble de principes et de normes en relation avec les idées de bien et de mal qui ont pour caractéristique majeure de guider ou de contraindre l’individu dans ses actions. Si un individu ne respecte pas une norme, alors celui-ci peut être troublé (j’ai mal agi) ou peut être mal vu par ses amis. Ces normes et principes régulent et forment le socle commun d’une société donnée. La morale est ainsi définie comme une institution sociale. Comme nous l’avons vu, si une nuance d’accent doit intervenir pour désigner une spécificité de la morale par rapport à l’éthique, on pourrait dire que le jugement moral est assez soudain suite à une parole ou à une action. L’approbation ou la désapprobation morale est réactive et procède d’une réflexion immédiate. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’éthique, quant à elle, serait une discussion et une réflexion plus approfondie sur l’étude et l’analyse des concepts permettant de justifier a posteriori une action. Cela indique seulement que la morale étant plus intériorisée par l’individu, les réactions morales de ce dernier sont plus rapides. Cela dépendra néanmoins du degré d’intériorisation et de conscientisation des normes par l’individu.
La morale est donc plutôt tournée du côté du collectif et exprime le souci des autres. Même si un individu peut se soucier plus de lui-même ou de ses proches, « il a une raison de tenir compte des effets de ses actions sur le bien-être ou la souffrance de tout un chacun » (Nagel, 1993, p. 82) car

« le fondement de la moralité est une croyance dans le fait que ce qui est bien ou mal pour des individus (ou des animaux) est bien ou mal non seulement de leur point de vue, mais d’un point de vue beaucoup plus général que toute personne pensante peut comprendre » (ibid., p. 82).

Qu’en est-il de l’éthique alors ? L’éthique serait plutôt axée du côté de l’individu, en tant qu’être évaluatif, et pourrait être défini comme une façon d’être et de se comporter. On voit bien dès lors qu’elle est tout autant réflexion que pratique. On ne saurait opposer la morale qui serait du côté de la théorie et l’éthique qui serait du côté de la pratique. La différence d’accent suggère juste que lorsqu’on parle de vie éthique, on parle de la réflexion et de ma pratique en tant qu’individu singulier, même si je m’inscris dans une société normée.
La déontologie, du terme grec deonta, les devoirs, renvoie à l’étude des devoirs et de ce qu’il convient de réaliser dans l’exercice d’une profession. Pour donner une définition générale, c’est une réflexion sur les pratiques d’une profession afin de mieux les évaluer. La pratique est au centre de la déontologie, qui ne s’intéresse pas à des problèmes théoriques en tant que tels. La déontologie assure une meilleure régulation d’un métier au sens où les pratiques sont codifiées et organisées notamment lorsqu’un Code de déontologie est réalisé. Le Code spécifie les bonnes et les mauvaises pratiques. Cela permet à la fois de donner de la crédibilité et de la reconnaissance à un métier et de pouvoir sanctionner des pratiques non conformes à certaines règles établies. En ce sens, un Code de déontologie, en fournissant des repères et des principes pratiques, aide le professionnel dans la prise de ses décisions. Une déontologie professionnelle a enfin pour objectif de circonscrire un espace professionnel et de fournir l’identité propre d’une profession. « Lorsque un groupe chercher à se doter d’une déontologie, il cherche par là-même à symboliser son identité et ses règles, et à définir dans le même mouvement son espace légitime » (Jaunait A., 2010, p. 113).
En ce sens, la déontologie doit être distinguée de la morale professionnelle qui est beaucoup moins formelle et moins structurée. La morale professionnelle serait plus ou moins intériorisée par les acteurs d’une profession alors que la déontologie est codifiée et rendue publique à travers un Code de déontologie justement. Il faut aussi discerner la déontologie d’une réglementation professionnelle qui explique l’organisation d’une profession, ses structures et le moyen d’y accéder. Attention enfin de ne pas confondre la déontologie avec la morale et l’éthique.
A la différence de la morale, qui se veut générale et commune, la déontologie provient des professionnels qui la pratiquent. La profession est la seule source de la légitimité des normes et des principes qu’elle énonce. En ce sens, elle est auto-fondatrice et s’auto-détermine dans ses modalités de fonctionnement pratique. La déontologie est différente de l’éthique également au sens où, si on prend l’exemple de l’éthique appliquée, cette dernière vise plus à interroger ce qui est interdit et ce qui est permis à l’intérieur d’une discipline à partir de normes ou de valeurs morales plus larges qui convoquent la société dans son ensemble. Alors que la déontologie concerne seulement les professionnels et les clients dans la relation à ces derniers et est régie par ces mêmes professionnels. Lorsqu’on parle d’éthique appliquée à la médecine,  les éthiciens interrogent non pas la pratique des médecins mais la possibilité ou l’interdiction de réaliser certains actes au nom d’une vision plus globale de l’homme qui engage la société dans sa globalité. En ce sens, « l’éthique consiste davantage à ajouter de la morale à des pratiques … l’éthique, en tant que champ d’activité et de réflexion, produit de la morale au sens le plus classique des activités évaluatives et prescriptives » (Jaunait A., 2010, p. 120).

1.3. Présentation de trois théories morales

Pour mieux comprendre la place du coaching et l’éthique qu’elle peut développer, il convient de préciser quelles sont les orientations des trois théories morales dominantes en philosophie morale.
1.3.1. L’éthique des vertus :
La première théorie morale est l’éthique des vertus ou vertuisme qui est une doctrine directement inspirée d’Aristote et qui a connu un regain d’intérêt conséquent dans la deuxième moitié du XX e siècle sous l’impulsion de philosophes comme Anscombe G.E., Foot P. ou bien MacIntyre A. On la nomme parfois arétisme, car arété signifie en Grec vertu mais aussi et surtout l’excellence. La vertu d’une action consiste en la réalisation de son excellence et de sa perfection. L’idée majeure de cette doctrine est que ce qui importe est le développement de la perfection de soi. Il s’agit d’être quelqu’un de bien et une belle personne dotée de vertus comme la générosité ou bien le courage. Les vertus, qui sont des dispositions à agir, se développent à travers les habitudes et conduisent à l’amélioration de l’individu qui devient alors un exemple. L’homme prudent chez Aristote n’est pas qualifié par une liste de vertus mais il prend l’exemple de Périclès, un homme qui sait prend la bonne décision au bon moment. Sa qualité dans l’action dépend de son jugement. Son jugement sera bon car l’homme est vertueux. « L’agent moral … fait ce qui est vertueux parce qu’il est vertueux » (MacIntyre, 2016, p. 146). Dans la vision aristotélicienne, le bien que vise l’individu est son bonheur. C’est en ce sens une doctrine eudémoniste. Le Bien est donc prioritaire sur le juste.
L’éthique des vertus élimine ainsi les notions modernes de devoir et d’obligation pour promouvoir une logique d’accomplissement de soi et de perfectionnement de soi en vue d’une vie heureuse. Seul l’exercice des vertus nous y conduit. Mais attention, les vertus ne sont pas un moyen pour parvenir au bien qui est la finalité de ce que désire l’homme, à savoir le bonheur.

« Ce qui constitue le bien, c’est une vie humaine complète vécue au mieux, et l’exercice des vertus est une partie nécessaire et centrale de cette vie, non un simple exercice préparatoire visant à l’assurer. Nous ne pouvons donc définir le bien pour l’homme sans référence aux vertus » (Ibid.).

L’éthique des vertus souscrit ainsi à une approche téléologique, car le bien est ce qui est visé par nos actions. Le principe de mon action est de faire le bien, ce qui conduira à la justice comme effet.
1.3.2. Le déontologisme
La deuxième grande théorie morale est le déontologisme. Cette doctrine est à l’opposé de l’éthique des vertus. Elle considère que l’acte est moral que si, d’une part il n’obéit pas à nos inclinations, à nos désirs ou à nos intérêts et si, d’autre part, on ne tient pas compte des conséquences de nos actes. L’important n’est pas de penser aux effets de notre acte. Seul importe la forme de notre acte. Le déontologisme s’oppose ainsi à toute forme de visée de la vie bonne ou de vision téléologique. Si je réalise un acte pour mon bien, alors cet acte ne peut remplir les conditions de la moralité. Il y a des actes qui doivent être réalisés de manière impérative et inconditionnelle. Il faut agir de manière juste, un point c’est tout. Car sinon, cela rajouterait une condition au motif de l’action. C’est pourquoi, le déontologisme ne parle pas de vertus mais de devoir.
La morale kantienne est l’exemple parfait du déontologisme. Selon Kant, un acte est moral que s’il prend la forme rationnelle d’un impératif catégorique dont une des formulations les plus célèbres est « Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle  » (Kant E., 1994, p. 97). Un devoir est moral que s’il est susceptible d’être reconnu par tous et toujours comme un principe devant s’appliquer sans provoquer de contradiction dans la pensée ou la volonté. Enfin, en agissant de la sorte, je deviens un individu autonome et rationnel et fonde ma liberté dans ma puissance de décision. Je ne suis plus soumis aux déterminations intérieures ou extérieures. L’autonomie du sujet et sa liberté proviennent du fait qu’il agit en conformité à la Loi morale.
Kant distingue deux types de devoirs. Les devoirs parfaits sont ceux qu’il s’agit de toujours respecter et en toutes circonstances. Le devoir de ne pas mentir en fait partie car si je mens une fois, je sape une fois pour toute l’idée de confiance. Je ne peux vouloir mentir car cela signifierait que j’élève ce principe de manière universelle et je ne peux vouloir que les autres mentent. Il  y a également les devoirs imparfaits, comme le devoir de charité, qui ne peuvent pas être toujours réalisés et en toutes circonstances. Cependant, il s’agit de faire ce devoir autant que possible et il serait mal de ne jamais le respecter. Mentionnons également les devoirs envers soi-même comme celui de s’améliorer et les devoirs envers autrui, comme celui de toujours traiter une personne comme une fin et non comme un moyen. Ces deux derniers devoirs se répartissent aussi en parfaits et imparfaits.
1.3.3. Le conséquentialisme
Enfin, la troisième théorie morale est le conséquentialisme. Cette théorie repose sur un principe unique d’action qu’il faut toujours faire le plus de bien ou à défaut le moins de mal possible. L’action est donc jugée et évaluée par rapport à ses conséquences d’où le nom de la théorie. Contrairement au déontologisme qui m’impose de toujours respecter une règle en toutes circonstances et quelles que soient ses conséquences, le conséquentialisme est plus souple et s’intéresse au contexte de l’action. Il est possible d’enfreindre une règle si l’application de celle-ci produirait plus de mal que de bien. Ce qui fait qu’une action est considérée comme morale est alors fondée en dernière instance sur une valeur. C’est en cela que le conséquentialisme adopte une perspective téléologique.
L’utilitarisme est la théorie morale conséquentialiste par excellence. L’utilitarisme classique de Bentham part du constat que la valeur intrinsèquement positive est le plaisir et que la valeur intrinsèquement négative est la douleur. Etant une valeur intrinsèque, elle n’a pas besoin d’être justifiée. Tout être humain, parce qu’il recherche le maximum de plaisir et le minimum de douleur, toute action doit viser l’augmentation du plaisir. Mais étant donné que les causes du plaisir peuvent varier, ce qui va importer finalement, c’est l’augmentation du bonheur pour le plus grand nombre. C’est pourquoi, l’utilitarisme ne doit pas être confondu avec un individualisme égoïste où seuls mes intérêts personnels comptent. Si j’évalue une action à l’aune de ses conséquences, et que celles-ci me sont favorables mais défavorables pour le plus grand nombre, alors il est moralement mal de réaliser cette action. Une action est morale si et seulement si elle a pour conséquence l’augmentation du bien-être de tous par rapport à une autre action alternative. Le conséquentialisme est donc une doctrine impartiale et impersonnelle, qui renie les intérêts directs de l’agent moral tout comme le déontologisme.
1.3.4. Théories attractives et impératives : le Bien et le Juste
Après l’examen de ces trois théories morales, nous voyons donc qu’il y a une opposition entre les théories attractives et les théories impératives. Si finalement il y a une distinction à réaliser entre les théories, c’est à celle-ci qu’il faut se ranger car elle est beaucoup plus éclairante que celle entre éthique et morale. Car l’un des derniers torts de la peudo-distinction entre éthique et morale est d’aboutir à la confusion entre deux problématiques majeures bien que différentes, qui sont celles d’un côté du bien et du juste et de l’autre, du téléologique et du déontologique.
Selon le schéma proposé par Ricœur, on aurait d’un côté une perspective téléologique et attractive, celle défendue par Aristote. On entend par théorie morale attractive une théorie qui donne la priorité du bien par rapport au juste. De l’autre, on aurait la perspective déontologique et impérative, celle défendue par Kant. On entend par théorie morale impérative une théorie qui donne la priorité du juste sur le bien. Mais encore une fois, il ne faut pas se méprendre et croire que les deux notions du juste et du bien sont totalement séparées. Comme le remarque Larmore C.,

« chaque théorie fait également usage de l’autre notion, mais elle l’explique relativement à la notion qu’elle tient pour principale. Si le juste est fondamental, le bien sera ce que désire ou désirerait l’agent dans la mesure où ses actes et ses désirs sont conformes aux exigences de l’obligation. Le bien est donc l’objet du désir juste. Si le bien est fondamental, le juste sera ce que l’on doit faire pour obtenir ce que l’on voudrait effectivement si l’on était correctement informé » (1993, p. 46).

Mais qu’en est-il alors de l’utilitarisme ?
C’est là où la distinction entre éthique et morale devient inopérante car l’utilitarisme est une doctrine à la fois conséquentialiste, donc téléologique, et en même temps impérative. Pour l’utilitariste, une action est juste si elle produit le plus grand bien ou bonheur pour tous. Mais « le bien est défini par le devoir de considérer impartialement le bien total de tous les individus concernés, quels que puissent être nos intérêts propres ; par conséquent, nous avons le devoir inconditionnel de chercher à l’atteindre » (Larmore C., 1993, p. 49). Dès lors, ce qu’occulte la distinction, c’est l’aspect proprement moderne en philosophie morale. Finalement, ce qui distingue les conceptions modernes des philosophies antiques, c’est la priorité du juste sur le bien au sens où l’obligation morale est indépendante du bien propre de l’agent. C’est pourquoi, l’utilitarisme demeure une théorie impérative même s’il n’est pas une doctrine déontologique.
Nous n’analyserons pas dans cet article les forces et les faiblesses de toutes ces thèses. Nous ne rentrerons pas non plus dans la déclinaison de toutes ces théories car elles ont été précisées et développées au fil des deux derniers siècles. Enfin, ceci doit être dit, il existe également bien d’autres théories, comme l’éthique du care ou l’éthique sceptique mais ces trois théories morales sont néanmoins les plus représentatives dans le champ de la philosophie morale.
Mais surtout, ce qui nous importe de voir maintenant c’est la portée de ces trois thèses par rapport au métier de coach.

2. La place du coaching par rapport aux théories morales

En effet, comme l’ont bien souligné des auteurs comme MacIntyre, l’individu moderne est l’héritier de nombreuses théories et de valeurs qui peuvent être en contradiction les unes avec les autres. Des expériences de pensée morale dans la tradition analytique, comme le dilemme du tramway, ont bien montré que selon les variantes d’un même scénario, les individus peuvent répondre de manière différente. Ainsi, je préfère tuer une personne pour en sauver cinq s’il est certain que si je ne fais rien, 5 personnes devront nécessairement mourir. Néanmoins, je me refuse à pousser quelqu’un sur la voie pour sauver la vie de 5 personnes. Dans le premier cas de figure, j’agis en conséquentialiste car je préfère qu’il y ait quantitativement moins de tués. J’obéis à la règle du moindre mal. Mais dans le second cas, en refusant de pousser quelqu’un sur la voie, j’agis en déontologiste car je ne veux pas me servir d’un individu comme d’un moyen, par devoir du respect de la dignité humaine qui est une valeur inaliénable et universelle. Ainsi, selon les contextes, je peux agir de manière différente selon des principes différents.
Nous aimerions donc ici clarifier la position du coach par rapport aux théories morales, notamment par rapport à l’éthique des vertus qui vise l’accomplissement et l’excellence de soi et par rapport aux devoirs déontologiques envers soi-même et aux autres. Autant le dire tout de suite, le coaching selon nous défend un type de perfectionnisme moral, mais qui ne ressemble en rien à l’éthique des vertus car il ne fait pas dépendre l’excellence d’un caractère ou d’une personne uniquement. Le perfectionnisme moral que le coaching défend se rapproche plus de celui que des philosophes comme Cavell S. ou Murdoch I. ont développé, c’est-à-dire une pensée de l’amélioration de soi clairvoyante, lucide et déflationniste au sens où il ne s’agit pas de définir un principe unique guidant l’action ou de présupposer une nature humaine. En ce sens, ce type de perfectionnisme remplace la notion de vertus par celle de « vision personnelle » et celle de caractère par celle de « texture d’être ». Nous détaillerons plus précisément cette élaboration de ce que peut être l’éthique du coaching à travers une mini-éthique en forme de triptyque dans la prochaine partie.

2.1. Le coaching n’est pas le bras armé de l’éthique des vertus

Partons de deux des définitions du coaching proposés par Plessis S. pour interroger la notion de performance et d’accomplissement de soi.
« Le coaching consiste à accompagner des personnes ou des groupes dans la définition et l’atteinte de leurs objectifs, au bénéfice de la réussite de leur évolution personnelle et professionnelle. » « Le coaching a pour but de libérer le potentiel des hommes et /ou des équipes. » Que faut-il entendre par « évolution personnelle et professionnelle » et « libération du potentiel » ? Il est très intéressant de définir plus précisément ces deux notions car c’est souvent sur ce genre d’expressions que les critiques de ce métier se concentrent pour dénoncer soit un conformisme sociétal — le coach influencerait le client dans une manière de faire et de voir conforme à l’idéologie régnante dans une société donnée — soit une position maximaliste en éthique selon laquelle il est accordé

« autant d’importance au rapport à soi-même qu’au rapport à autrui, et que, au nom de la « nature humaine » ou de la « perfection humaine » [pour les défenseurs de l’éthique des vertus] et de la « dignité humaine » [pour les déontologistes du type kantien] , elles contestent notre liberté de faire ce que nous voulons de notre vie et de notre corps, même lorsque nous ne nuisons à personne, ou à personne d’autre que nous-même » (Ogien R., 2007, p. 59-60).

Il s’agit de penser ces deux notions selon deux aspects. Premièrement, elles pointent du doigt le fait que certaines de nos déterminations, qu’elles soient intérieures (représentations et croyances) ou extérieures (influences et pressions sociales) nous limitent dans nos possibilités. Plus précisément, elles nous enferment dans une certaine manière de voir. L’évolution ne se définit pas comme le fait de passer d’un état psychologique à un autre ou encore moins la transformation progressive d’un caractère défectueux à un bon caractère que la prise de conscience des cadres de référence qui déterminent notre façon de nous représenter les choses. L’évolution désigne juste la prise de conscience de l’ensemble de nos influences qui nous constituent. Le terme de libération, de même, indique bien, contrairement à la notion de liberté, que le processus entamé dans la relation de coaching est continu et perpétuel. Alors que la liberté supposerait que celle-ci soit un donné, une condition de notre humanité, l’idée de libération implique au contraire que tout est à réaliser. La liberté ne saurait se réduire à la prise de décisions et à la réalisation de choix car  

« c’est aussi la liberté de penser et de croire de manière diverses, de voir le monde de manière diverses, d’être sensibles à des configurations différentes et de les décrire dans des mots différents « Murdoch I., 1997, p. 62). En ce sens, tout processus hautement libérateur ne peut être suspecté de conformisme. « Le perfectionnisme est une morale pratique … qui se définit d’abord par le refus de la conformité » (Laugier S., 2010, p. 14).

Deuxièmement, si le coaching n’a pas pour objectif de développer l’excellence de l’individu, cela tient au fait que « l’idée de perfectibilité de l’individu … ne constitue pas un idéal de vie bonne qui puisse servir de mesure universelle, mais une image dont chacun doit élaborer une mesure personnelle » (Donatelli P., 2010, p. 89-90). Dès lors, les notions d’habitudes et de dispositions qui sont au cœur du vertuisme ne vont pas forcément nous aider car elles présupposent une vision de la vie bonne et plus généralement de la nature humaine. Ce qui empêche le coach de toute tentation maximaliste, que ce soit pour lui-même ou pour son client, c’est justement le fait qu’il reste centré sur la vision personnelle et sur l’objectif visé. Cela engage alors un nouveau rapport à la moralité. Ce qui est moral n’est pas forcément d’abord ce qui engage un rapport à soi ou aux autres. Le souci de soi ou des autres n’est que la conséquence d’une source plus fondamentale qu’est notre vision personnelle du monde. « La manière même dont nous voyons et décrivons le monde relève de la moralité, et le rapport entre cette vision et notre comportement peut être très complexe » (Ibid., p. 62). En se focalisant sur la réalité qu’il croit percevoir chez son client, le coach est certes engagé dans le champ de la moralité mais n’implique pas une influence au niveau de ses choix futures et de ses représentations relatives à la vie bonne ou à quelconque nature humaine. En cela, l’éthique du coaching est profondément anti-fondationnnaliste. Aucune perspective de fondation de la moralité dans une nature humaine ou dans une forme de loi morale n’est présente dans le métier du coaching. Le coaching étant au bénéfice du client, c’est à ce dernier de trouver sa propre solution. Elle sera donc forcément personnelle. Pour conclure on pourrait dire que ce qui importe dans l’idée d’évolution définit plus l’écart qui nous sépare de notre potentiel réalisable que son atteinte en terme d’excellence. Le Bien est en quelque sorte toujours au-delà et c’est ce qui conduit le coach à une position d’humilité. « Comment savons-nous que les grands hommes ne sont pas parfaits ? Nous voyons des différences, nous sentons des orientations, mais nous savons que le Bien est encore quelque chose d’autre » (Murdoch I., 1994, p. 113).
Nous avons donc vu que le métier de coach ne pourrait s’identifier à une méthode globale permettant l’amélioration des individus à la manière du vertuisme. Cependant, le coach n’a t-il pas des devoirs envers les hommes en général ? Même si les devoirs du coach envers sa profession et son client sont établis dans le Code de déontologie, n’a t-il pas des devoirs plus fondamentaux envers lui-même et envers son client, du type des devoirs imparfaits kantiens comme le devoir de charité ?

2.2 Le coaching n’est pas le bras armé du devoir envers soi-même et les autres

Comme précédemment, partons d’une autre définition plus globale du coaching que les deux premières : « Le coaching se doit aux hommes, à la réussite de leur évolution, à leurs performances, et à la seule place qui leur revienne dans les systèmes et les organisations du monde qui est le notre …, le centre » (Plessis S.). Que signifie l’expression « se doit aux hommes »  et « la réussite de leur évolution » ? Le coaching envisagerait-il des devoirs envers les hommes sous la forme déontologique ? Ou bien les envisagerait-il sous une forme conséquentialiste en se fondant sur les conséquences des actions et leur efficience ? Comme il est apparu, étant donné que ces deux théories sont impératives, au sens où la maxime de l’action m’est imposée, nous pouvons répondre aux deux questions en même temps.
En réalité, il s’agit de distinguer deux éléments. Que le coaching soit responsable devant les hommes de sa pratique est une chose cela signifie que ce métier a conscience de son identité et de son impact sur l’individu et la société — mais qu’il prenne la forme d’un discours général portant sur les devoirs de l’individu, c’en est une autre. Finalement, ce qui empêche le coach de céder à la tentation de ressentir des devoirs envers soi-même, en tant qu’individu, ou envers les autres, en tant que professionnels, c’est encore une fois le fait qu’il s’attache à l’individu. Mais à la différence du premier argument qui concernait la vision personnelle, il s’agit ici de renoncer à l’idéal d’autonomie au profit d’une texture d’être en considérant l’individu au centre. Dans le perfectionnisme moral bien compris de Murdoch I., celle-ci

« accorde à l’individu une place centrale, désignant la vie intérieure comme lieu, non exclusif et privilégié, de l’amélioration morale. […] L’individu est bien réhabilité comme « centre moral », et ce dans ce qu’il a de plus intime, si la matière morale n’est autre que sa vie intérieure » (Halais E., 2010, p. 119 et p. 138).

La pulsion de généralité est au cœur du déontologisme et du conséquentialisme parce qu’ils veulent trouver une maxime d’action unique valable pour tous. C’est le caractère impersonnel et impartial de ces deux théories qui les rendent fondamentalement incompatibles avec le métier de coach car ce dernier est centré sur l’individu certes, mais il le considère surtout comme un centre. Le coach est attentif à la texture d’être de son client dans toute sa complexité. Toutes les évaluations que l’individu peut porter, ses goûts, ses approbations et désapprobations, bref ce que Murdoch I. appelle « les configurations de leur pensée » sont autant de « choses qui peuvent être montrées de façon ouverte et compréhensible ou être intérieurement élaborées puis devinées, [elles] constituent ce que … on pourrait appeler la texture d’être d’un homme » (Murdoch I., 2010, p. 68). Cette texture est tout ce qui constitue l’individu dans sa pratique même d’être un moi. Cette métaphore décrit la densité de l’individu toujours et déjà impliqué dans le monde. On ne saurait donc réduire l’acte moral à une règle formelle, qu’elle soit déontologique ou conséquentialiste, car ce serait renier la vie même de l’individu dans sa globalité.
En conclusion de cette partie, nous voyons donc que le métier de coach ne peut être soupçonné ni de conformisme social, ni de perfectionnisme maximaliste se basant sur une nature humaine ni de devoirs déontologiques ou conséquentialistes. En fait, si l’éthique du coaching devait être défini, elle semble tirer à la fois les avantages du vertuisme, du déontologisme et du conséquentialisme mais sans leurs inconvénients. En effet, le coaching, parce qu’il définit le centre au niveau de l’individu, rejoint le postionnement de l’éthique des vertus mais refuse l’idée d’excellence imposée par une nature humaine. Et en tant qu’éthique moderne, il prend en compte la dimension proprement normative du métier, en ce qu’il impose des devoirs par rapport aux intérêts égoïstes de l’individu. Mais ces devoirs ne sont pas fondés sur une maxime formelle universaliste mais sur la texture d’être de l’individu et de toutes les relations qu’il entretient avec lui-même et la société.
Cette attention constante à l’individu ne nous fait pas tomber pour autant dans le piège du relativisme et des intérêts privés et égoïstes car toute l’ambition de l’éthique perfectionniste est justement de se départir fondamentalement de nos préjugés comme nous l’avons vu dans la critique du vertuisme. Surtout, le Code de déontologie, en tant qu’il crée un espace normatif commun entre les coachs permet d’éviter l’écueil du relativisme. Les clients en prennent également connaissance lors de la contractualisation. Cet espace ainsi créé assure une reconnaissance partagée des devoirs du coach et du client.
C’est pourquoi, à ce stade, il convient de discerner la portée épistémologique du Code de déontologie du coaching qui est par certains traits assez spécifique.

3. Portée épistémologique et pratique du Code de déontologie

3.1. Spécificité du Coaching

Comme tout Code de déontologie, celui propre au coaching définit à la fois la régularité des pratiques, à travers des principes et des normes et une identité professionnelle. Mais le Code de déontologie a une certaine spécificité propre au coaching. Il a en effet une certaine particularité du fait de sa portée épistémologique. En effet, selon Eirick Prairat, il est

« peu légitime d’inscrire au cœur d’une formation professionnelle l’impérieuse exigence d’une transformation de soi. Toute formation professionnelle a, bien évidemment, une incidence sur la personne mais elle n’est pas, à strictement parler, une formation personnelle » (Prairat E., 2015, 1.8).

Or, comme il apparaît au point 4 du Code déontologie global de l’EMCC sur lequel nous nous appuyons, la question de l’excellence de la pratique passe bien évidemment par le développement de compétences et de qualifications professionnelles, la pratique d’une supervision permanente pour réfléchir au sens de la profession mais aussi par « une réflexion régulière … sur leur propre apprentissage et développement professionnel et personnel » (article 4.7).
Cette spécificité du coaching nous est désormais plus familière car nous venons de situer sa place parmi les philosophies morales. Le perfectionnisme modéré  (pour ainsi le démarquer de la tradition vertuiste) qu’il défend nous permet ainsi d’envisager de façon claire et sans contre-sens la profonde humanité du coaching. Mais qu’en est-il de son effectivité dans le monde social ? Si nous évitons le piège du relativisme grâce à la prise en compte de la libération de nos préjugés, comment passe t-on de la focalisation sur l’individu relativement subjective à une approche plus normative et collective de sa pratique ? Selon nous, le moyen terme entre ces deux horizons est rendu possible par le Code de déontologie justement au sens où ce dernier permet de transformer les valeurs en normes. Autrement dit, le Code de déontologie serait alors le moyen terme entre éthique et morale.
Mais avant de considérer cette transition opérationnelle et effective, définissons ce que sont les valeurs et les normes.

3.2. Valeurs et normes

Pour reprendre le fabuleux travail de recherche de Nathalie Heinich dans Des Valeurs (2017), il y a trois sens du mot valeur :
1) la valeur-grandeur, à savoir ce que valent les choses
2) la valeur-objet : ce que les gens valorisent
3) la valeur-principe : au nom de quoi l’on valorise
La valeur-grandeur peut être définie comme la grandeur intrinsèque de l’objet qui motive son importance. Ainsi, la grandeur suscite une appréciation positive et on parle alors d’importance, de mérite, de qualité, de quantité ou de prix selon le type d’objets dont on parle. La valeur tient donc à ce que la grandeur suscite une reconnaissance. On parle alors dans le langage ordinaire de « la » valeur et non d’ « une » valeur. Cela peut donc être le prix d’une montre, le poids d’un poisson ou bien encore la longueur d’un échange de tennis. Tout cela a de la valeur à nos yeux. Certains médias en ont d’ailleurs fait leur commerce. Les valeurs–grandeurs sont donc « ce que valent les choses » (Heinich, 2017, p. 139).
La valeur-objet détermine un objet propre qui a alors « une » valeur positive. C’est par exemple le sens du mot valeur quand il est utilisé dans le milieu bancaire. Un billet de banque a une valeur déterminée. C’est également dans ce sens que nous parlons des valeurs que sont la famille, la religion ou l’art. La valeur-objet désigne aussi bien des valeurs concrètes telles que la France que des valeurs abstraites telles que la beauté ou la justice. Les valeurs concrètes définissent un objet dans son unicité alors que les valeurs abstraites déterminent une valeur plus englobante, plus large et floue : les valeurs de droite ou de gauche par exemple. Les valeurs-objets sont donc « ce que les gens valorisent » (Ibid.).
La valeur-principe enfin renvoie au principe qui justifie une évaluation. Comme on l’a vu avec l’utilitarisme de Bentham, la valeur principe à la base du processus de justification d’une action morale est le plaisir ou le bien-être plus généralement. En ce sens, c’est la valeur de plaisir qui justifie que je dise que mon action est bonne. Pour prendre un autre exemple, si je dis que je trouve ce film beau, je justifie sans le dire mon jugement en accordant à la beauté une valeur. C’est cette valeur qui justifie mon jugement de goût. Nous voyons donc la spécificité de ce troisième sens. Elle arrête tout le processus de justification car elle est autotélique, c’est-à-dire qu’elle est à elle-même son propre but. Nous sommes obligés de nous arrêter un moment dans le processus de justification. L’appel à ce sens de la valeur est alors le moyen d’arrêter la régression à l’infini. Cela ne veut pas dire pour autant que les valeurs sont fixes et qu’on ne peut pas les remettre en cause. Mais néanmoins, elles sont fortement intériorisées dans nos comportements et nos manières de penser et ont tendance à être oubliées et à disparaître au profit des valeurs-objets. Notons toutefois que ce sont bien ces valeurs-principes qui forment souvent le cœur de notre personnalité. Les valeurs-principes sont « ce au nom de quoi on valorise » (Ibid.).
Pour conclure avec un l’exemple très parlant d’Heinich N., la « valeur » de beauté (valeur-principe) confère à une œuvre « de valeur » (valeur-objet) une certaine « valeur » (valeur-grandeur) manifestée par un prix. Mais que sont les normes alors ?

3.3. Les normes comme lieu d’actualisation des valeurs implicites

Une norme

« est une règle, déduite du respect d’une ou de plusieurs valeurs, qui s’impose de façon prescriptive à une pratique, qui a des chances d’être efficiente dans une communauté donnée, qui fait peser la menace d’une contrainte (ne serait-ce que celle de l’opinion défavorable des membres de la communauté) si l’on ne la suit pas, et qui implique une approbation collective quand elle est suivie et une désapprobation collective quand elle ne l’est pas. Pour apprendre une norme, il faut donc arriver à donner un sens prescriptif à une valeur » (Livet P., 2002, p. 145).

Selon cette définition très complète, nous voyons donc qu’une norme est déduite d’une ou de plusieurs valeurs au sens de valeurs-principes qui fournissent une justification à une prescription. En ce sens, pour qu’une norme soit impérative et qu’elle m’impose une action, alors elle doit être sous-tendue par une valeur. Pour agir en conformité avec une norme, il faut qu’il y ait une « adéquation entre les valeurs (an sens de principes) et les êtres … ainsi la conformité à une norme morale fait ce qu’on appelle la vertu, tandis que la non-conformité fait le vice ». Par conformité, il ne faut pas entendre conformisme car les normes peuvent être modifiées tout comme les valeurs bien que les normes soient plus susceptibles d’être modifiées que les valeurs-principes.
Nous voyons alors la force du Code de déontologie et sa position très spéciale dans le métier du coaching car il permet finalement l’adéquation entre les valeurs d’un métier et son effectivité dans le champ social. Les articles du Code sont autant de normes qui sont ainsi directement liées aux actions en tant que guides pratiques. Les valeurs, quant à elles, sont plutôt du côté de nos représentations même si on a vu que ces dernières fournissaient le cadre de référence de notre réalité et la perspective par laquelle nous réagissons. Si les normes sont des concepts proprement normatifs et les valeurs sont des concepts axiologiques, elles sont néanmoins dépendantes en quelque sorte des valeurs principielles qui justifient en quoi les normes ont cette faculté de contrainte.
Dès lors, nous voyons que le Code de déontologie, en fournissant des normes pratiques d’actions renvoient aussi bien au champ éthique des valeurs qu’au champ proprement moral de la collectivité d’une profession. Tout se passe comme si le Code de déontologie serait le moyen terme entre morale et éthique. Plus précisément, il permet de concilier situation éthique et norme morale. Il nous reste donc à décrire ce que pourrait être l’éthique du coaching et les valeurs qu’il défend pour avoir une vision complète de ce métier. « La « noblesse » d’une profession – à laquelle s’attache en général une « vocation » un peu mythifiée – se mesure à cette forme très « personnalisante » de réflexion sur elle-même qui lui permet de produire une théorie morale de sa propre pratique » (Jaunait, 2010, p. 114).

4. Triptyque éthique : éthique de la connaissance de soi, éthique de la déconstruction, éthique de la congruence (Linkup Coaching)

Repenser l’éthique développée par le coaching sous la forme d’un triptyque est novateur et fondamental car si on pense que l’éthique va de soi dans le cadre du coaching, on ne la définit pourtant jamais. Ce qui signifie que quelque part, il y avait comme une sorte d’impensé de la profession, qui se refusait à être abordé de front. Occulter la pensée de l’éthique dans le coaching revient à renier toute la profondeur épistémologique du travail réel du coach, car c’est en fait ce travail qui donne sens à l’éthique. Cavell S. parlait déjà en son temps d’ « un perfectionnisme moralisateur et dégradé » lorsqu’il soulignait que

« les versions fausses ou dégradées du perfectionnisme semblent être partout de nos jours, depuis des best-sellers portant des titres du style Comment s’aimer soi-même, jusqu’à la campagne de publicité pour l’Armée de terre à la télévision encourageant à s’engager avec le slogan « Réalisez-vous complètement » » (Cavell S., 2009, p. 232).

Force est de constater que le climat n’a guère évolué depuis 1989. Les rayons développement personnel bien fournis des librairies en attestent. Mais doit-on alors céder à la forme dégradée du perfectionnisme ambiant ? « Quelles que soient les confusions qui attendent la pensée philosophique et morale, la réalité de versions dégradées ou parodiques d’une possibilité devrait-elle nous priver du bien de cette possibilité ? » (Ibid.)
Cette mini-éthique a donc une assez grande ambition car elle entend mener :

  1. une réflexion profonde sur le cheminement que doit mener le coach afin de pouvoir prétendre à s’améliorer pour acquérir cette vision nouvelle et cette texture d’être évoquées plus haut ;
  2. un examen des savoir-faire à mettre en place pour que la pratique du coach devienne efficiente ;
  3. une réflexion sur le sens de l’identité du coach et de son autonomie repensée en termes de confiance en soi.

Cette analyse complète nous permettra ainsi de saisir ce qui fait la spécificité de ce métier et les valeurs principielles qui le fondent. Nous allons ainsi parcourir le processus que tout coach se doit d’entreprendre pour envisager une pratique saine et efficiente de son métier. Cela nous engage donc à explorer trois champs :

  1. un champ philosophique en terme de sens à travers l’analyse de la conscience et de la connaissance de soi,
  2. un champ épistémologique,
  3. un champ opérationnel, effectif pour élaborer une confrontation pragmatique à la réalité.

4.1. Conscience et connaissance de soi

4.1.1. Conscience de soi
Dans cette partie, nous allons définir l’image personnelle du coach mais plus globalement l’image de l’agent moral. En effet, celui-ci ne doit pas être compris comme une personne déjà transparente à elle-même, lucide dans ses représentations et autonome dans ses actions. Telle est certes la représentation de l’individu moderne mais il ne saurait constituer la réalité. Nous serions toujours conscient de ce que nous faisons et nous aurions une conscience claire des choix et des possibilités qui s’offrent à nous. Or, c’est cette image pourtant prépondérante qui est fausse. Nous sommes la plupart du temps complètement déterminés par nos représentations et nos cadres de référence.  Ceux-ci constituent certes une partie de notre identité mais en même temps réduisent considérablement notre vision du monde. Comme nous l’avons vu précédemment, la vision est un élément central et essentiel de la moralité.
Il s’agit donc d’opérer une véritable conversion du regard au sens platonicien du terme. Il s’agit plus que de regarder autrement. Il s’opère un décentrement du regard par rapport à notre ego et pas par rapport à notre relation au monde ou au langage. La conversion n’a pas pour conséquence de remettre en cause le langage, qui serait en quelque sorte défectueux, ou la réalité, qui serait en réalité trompeuse. Au contraire, ces arguments ont été développés par des philosophes comme Descartes pour démontrer la transparence de la conscience à elle-même comme un donné. Or, ici c’est l’inverse que nous voudrions montrer. Ré-évaluer la conscience de soi, c’est prendre conscience de nos cadres de références, la plupart du temps égoïstes, qui nous empêchent de voir ce qui est devant nous et de ne plus être attentif au sens du détail. « La vertu est l’effort pour traverser le voile égocentrique et pour retrouver le monde tel qu’il est réellement » (Murdoch I., 1994, p. 113).
Une véritable philosophie morale ne saurait faire l’économie de la conscience et de son rôle majeur mais alors avec un point de vue renouvelé. La conscience n’est pas toujours et déjà connaissance et transparente. Elle n’est pas non plus de l’ordre du pur privé et incommunicable. Toute évaluation morale passe par la conscience finalement et c’est pour cette raison que le perfectionnisme, à savoir le fait de s’améliorer est possible. « Si la matière de l’évaluation est consciente, la qualité de conscience, alors la conscience est vue elle-même non comme une réalité figée mais comme un matériau susceptible d’évolution et par-là même de progrès » (Halais E., 2010, p. 138). Seul un travail d’amélioration de notre qualité de conscience transformera notre vision et surtout rendra possible une certaine forme de connaissance morale.
4.1.2. Connaissance de soi
En effet, étant donné que l’éthique et les valeurs ne sauraient se réduire aux préférences des individus, puisqu’ils constituent un horizon normatif, alors l’idée de connaissance morale retrouve un sens. Comme le souligne Larmore C. (1993), il n’y a pas que des vérités physiques et psychologiques dans le monde. Il y a aussi des vérités normatives. Cela signifie que toute action dans un contexte donné émerge sur le fond d’un champ normatif sur lequel des individus s’accordent pour savoir si l’action peut être jugée bonne ou mauvaise. Le concept même de réalité est normatif car c’est toujours sur le fond de la réalité des valeurs et des normes entrevues que s’engage une action.
Seule l’acceptation d’une réalité normative permet de comprendre en quoi l’attention au contexte est primordial. Et on sait ô combien le contexte est d’une importance capitale lorsque l’on pratique le coaching. Saisir le mot au bon moment, savoir rebondir, reformuler, adapter le bon outil dans un juste temps. Autant de procédés qui ne seront efficaces que si le coach opère un travail de connaissance de soi qui peut être définie comme

« la capacité à se placer dans le monde […] pour savoir si, quant à moi, j’ai réellement fait ce que je désirais (ou espérais, ou avait promis), je dois chercher à voir si, oui ou non, cela a été fait ; mais surtout, et cela est crucial, je dois savoir si cette circonstance-là est bien (compte bien pour) ce que j’ai fait » (Cavell S., 1996, p. 174).

La connaissance en ce sens n’est pas repli sur soi mais au contraire ouverture au monde. Elle n’est pas l’acquisition de savoirs théoriques mais la recherche de l’expression juste, contextualisée dans un univers normatif.
La connaissance de soi est donc le travail sur soi et sur le sens profond de nos actions. Et c’est grâce à ce travail de connaissance que l’éthique devient une compétence. Nous voyons donc que la conscience de soi et la connaissance de soi sont toutes deux inséparables. La conscience amène à la connaissance, mais pas de manière nécessaire. On peut être conscient et tout à fait se méconnaître. Seule la liaison des deux permet d’approcher l’éthique. C’est pourquoi, dans une perspective cohérente, il vaut mieux lorsqu’on parle de connaissance de soi évoquer Platon plutôt que Socrate.  
En effet, pour Platon, la vertu ne saurait se réduire à une opinion droite, c’est-à-dire à une croyance vraie. La vertu est selon Platon une forme de connaissance et on pas seulement un ensemble de dispositions et d’habitudes conformes. Or, même si Socrate utilisait la méthode de la maïeutique, et qu’il nous engageait à se connaître soi-même, comme le mentionnait le fronton du temple de Delphes, il ne faut jamais oublier que le ressort du questionnement socratique est l’ironie. Et celle-ci, surtout lorsqu’elle est utilisée par Socrate, est dévastatrice.
L’utilisation de Socrate est ainsi dévoyée car le connais-toi toi-même du fronton renvoie en dernier ressort à la connaissance de l’univers et des Dieux. Il y a donc une  dimension proprement métaphysique et ésotérique derrière cette tendance. Mais surtout, c’est le fonctionnement de l’ironie hyper critique et non empathique qui suscite l’interrogation. Dès lors, on ne saurait rapprocher le coaching de la maïeutique socratique pour deux raisons. La première tient en ce que le coaching n’est pas une simple méthode, au même titre que la maïeutique. La deuxième raison tient au fait que cela reviendrait alors à nier le fonds épistémologique du coaching en réduisant ce dernier à un art de questionnement. Il n’y a donc aucunement un questionnement socratique dans le coaching à cause justement de la fonction utile constituée par l’ironie. Ce détour par l’ironie socratique nous permet en ce sens d’entrevoir la valeur fondamentale du coaching.
Ce que l’ironie socratique dévoile en creux, c’est le socle inaliénable sur lequel repose tout processus de coaching : la valeur ontologique de l’individu. La valeur-principe ou principielle de l’art du coaching serait donc la sécurité ontologique du client. Si le coach respecte cette sécurité ontologique, alors il ne peut rien arriver au client de mal. C’est la valeur qui guide ainsi tout le processus. Si un élément peut nuire à la sécurité du client, alors il ne doit jamais être utilisé. C’est pourquoi le coach doit toujours faire preuve de scepticisme.
4.1.3. Nécessité du scepticisme et auto-réflexivité
Le scepticisme est au cœur de toute pensée éthique concrète et soucieuse d’autrui. Ce scepticisme n’est pas un scepticisme et une remise en cause du monde extérieur comme doute global. Il prend plutôt la forme d’un scepticisme sur le mode de fonctionnement de nos comportements et de nos réflexions. Ce scepticisme est là pour nous éviter de dire ou croire que ce que nous faisons est la bonne chose à faire. Ou plutôt de penser que nous en sommes certain. Toute doctrine proprement éthique est pour Murdoch I., une pensée faillible, sujette à l’erreur. Sinon, si l’on savait ce qu’on devrait faire, alors il n’y aurait même plus de questions à se poser. Le doute et la remise en cause ne doivent pas être permanente néanmoins mais sa présence évite certains dangers. De plus,

« il en est du scepticisme en éthique comme du scepticisme partout ailleurs : plus il est large, moins il est dangereux […] En éthique aussi, un scepticisme partiel est plus redoutable et plus instructif, parce qu’il jette le doute sur nos convictions morales (en raison de leurs origines psychologiques et de notre situation historique actuelle » (Williams B., 1998, p. 55).

En coaching, ce scepticisme se traduit par l’auto-réflexivité du coach, qui est consubstantiel au coaching. Il ne peut pas y avoir de coach engagé sans penser l’auto-réflexivité, à savoir un regard objectif et lucide sur soi augmenté d’un accès à un scepticisme. Ce dernier constitue une ouverture à la dimension critique. L’auto-réflexivité permet au coach de discerner comment il est capable d’activer un questionnement critique et objectif sur lui-même. C’est donc un doute sur la connaissance de soi qui féconde cette connaissance pour éviter qu’elle ne sombre dans le moralisme. « Ce n’est que dans une version sceptique de la connaissance de soi  — un nouveau mode d’ignorance  — qu’on peut se servir du moi pour accéder à la société de ce moi » (Laugier S., 2010, p. 348). C’est pourquoi il nous faut voir désormais la forme que prend cette forme de scepticisme à travers le deuxième moment éthique de la déconstruction.

4.2. Ethique de la déconstruction

L’éthique de la déconstruction entend poser le problème d’une limite, à savoir celui du champ épistémologique de la cognition et des possibles dissonances cognitives. Nous discuterons à ce propos de l’empathie. Par déconstruction, nous entendons ici l’effort réel du coach de s’approprier le fond épistémologique des sciences humaines sur lequel s’appuie cette discipline et conditionne sa posture. Sans un réel approfondissement de ce fond épistémologique, aucune conscience de soi ne saurait alors être utile. La qualité de la conscience, comme nous l’avons vu, est nécessaire mais non suffisante. Il est bien d’être au clair avec soi mais encore faut-il manipuler des concepts cognitifs pour ensuite mettre en œuvre la connaissance de soi.
L’éthique de la déconstruction n’est pas seulement un désir mis en application ou une simple volonté d’investissement. Comprendre des champs théoriques divers nous renvoient à notre pratique et à notre posture de coach. Il s’agit de comprendre comment les travaux de Festinger, de Lazarus, de Deci et Ryan interrogent et questionnement notre pratique en nourrissant notre métier de coach. Cet apport ne peut être intégré que s’il y a eu travail sur soi préalable. La déconstruction est donc le moment d’un adossement aux sciences humaines profond. On ne peut pas avoir accès à la déconstruction sans avoir parcouru des champs théoriques spécifiques. D’autant plus que nos concepts changent, et de plus rapidement. Comme l’a bien remarqué Murdoch I., l’apprentissage et la compréhension d’un concept ne sauraient se réduire à l’application d’une règle dans un contexte déterminé « car les mots peuvent ici nous tromper, vu qu’ils restent la plupart du temps identiques tandis que les concepts changent ; à quarante ans, notre image du courage est différente de celle que nous en avions à vingt » (Murdoch I., 1994, p.43). Si le coach veut accompagner de manière continue ses clients, il doit sans arrêt travailler sur soi et approfondir le fond épistémologique de la discipline.
Ce fond va agir sur nous comme cadre de pensée et comme cadre de représentation. Notre cognition va alors changer. Elle va nous permettre d’envisager ce qui se dit par le client de manière nouvelle. Une analogie avec la notion de différance (avec un « a ») chez Derrida peut être éclairante pour comprendre le sens de la déconstruction. Selon ce philosophe, il y a toujours une différence entre (1) ce que la personne veut dire, (2) ce qu’elle dit réellement et (3) ce qui est compris par le destinataire. Si l’identité est toujours le résultat de l’intersubjectivité, d’un rapport à l’autre, sous quelque forme que ce soit (pensée, rêvée, réelle, imposée), alors il y a toujours une différance. Le coaching est bien la résultante de l’intersubjectivité, car cette dernière constitue la nature même et profonde du coaching. « L’identité est donc le produit de l’interaction au sens plein, c’est-à-dire le produit des interactions avec les autres autant qu’avec soi-même. Elle est, en cela, toujours distance » (Laroussinie T. & Portocallis G., 2017, p. 21).
Nous comprenons maintenant pourquoi le moment de la déconstruction apparaît dans un second moment après l’éthique de la conscience et de la connaissance de soi. Nous avons donc vu en quoi la déconstruction était à la fois :

  1. un adossement à un champ épistémologique,
  2. une manière de se donner de nouvelles possibilités de voir et de penser,
  3. une façon de percevoir notre identité de manière nouvelle comme un écart entre ce qu’on est, ce qu’on croit être et ce qui nous est renvoyé par l’autre.

A travers cette idée d’écart, nous discernons pourquoi il ne peut y avoir d’empathie sans éthique de la déconstruction. Car l’empathie est une projection intellectuelle et non pas affective dans les principes de la réalité de l’autre mais tels qu’on a cru les percevoir. Car il serait vain de croire qu’on puisse accéder à la réalité de l’autre. Il ne peut donc y avoir d’empathie si on n’est pas déjà dans cet écart là, si on n’est pas déjà sorti de ses propres schémas cognitifs et si nous ne les avons pas  circonscrits (grâce à la connaissance de soi). Une fois conscient, je peux ensuite comprendre le sens profond de ces schémas et la relation qu’ils ont avec mon identité. Enfin, je peux alors, en me projetant dans la réalité de l’individu, voir quels schémas et quelles raisons logiques structurent la pensée du client. Pour en revenir à la notion de théorie morale, on pourrait dire qu’une bonne théorie morale n’est pas celle qui nous donnerait la maxime de notre action juste mais celle qui nous fournirait « un fonds de schèmes conceptuels riches et féconds, propres à nous faire réfléchir sur et à nous faire comprendre la nature du progrès et de l’échec moral, ainsi que les raisons des divergences entre tempéraments moraux différents » (Murdoch I., 1994, p. 60). Le phénomène de l’empathie peut être ainsi entendu comme le fil rouge de l’application opérationnelle de cette éthique du coaching. Pour être réellement en empathie, il faut déjà être déconstruit dans un certain sens. Sinon, les coachs seront alors des imposteurs et des gens dangereux, pour eux-mêmes et pour leurs futurs clients. Il faut toutefois noter que la déconstruction elle-même peut être aussi très dangereuse.
4.2.2. De l’éthique de la déconstruction jusqu’au fond identitaire construit
Le problème qui pourrait survenir dans l’éthique de la déconstruction est la perte d’identité voire une forme de suicide cognitif ou réel. La déconstruction peut aboutir à une forme de vertige car on n’abdique pas sa cognition, c’est-à-dire l’ensemble des choses que je me représente et qui constituent ma réalité psychologique. Se pose réellement la question du risque de l’identité flottante à cause d’une possible régression à l’infini de la déconstruction. Néanmoins, si le premier travail sur la conscience et la connaissance de soi a été effectué, alors émergera un fonds construit et anthropologique sur lequel je pourrais m’appuyer. Ce fonds n’est pas unique. Ce sont en effet, la connaissance de soi, le Code de déontologie, la supervision, la relation au monde du coaching et les principes de réalité. Je m’appuie toujours sur une forme de vie, à savoir un fond identitaire construit comme une sorte de forme anthropologique, qui rend possible le travail de déconstruction et évite la remise en cause infinie de soi.

« Mais il n’y aurait rien sur quoi s’appuyer si nos désirs n’étaient pas incarnés dans l’espace public, dans ce que nous faisons et essayons de faire, dans l’arrière-plan naturel du dévoilement de soi, que l’expression humaine travaille sans fin » (Taylor C., 1997, p. 86).

Nous comprenons ainsi à quel point le métier de coach est exigeant. La possibilité du suicide identitaire souligne la vacuité d’un désir de s’inscrire dans ce métier sans l’ambition et l’investissement nécessaire. Mais même l’investissement n’est pas suffisant car il n’est pas ici question de bonne volonté mais d’humanité nécessaire qu’il s’agit de trouver au fond de soi au terme d’un travail sur soi de construction et de déconstruction. Tant que le coach n’est pas passé par ces deux éthiques, il risque de se mettre en danger. De deux choses l’une, soit le coach est un amateur et son coaching n’aura d’effet que cosmétique, soit il est investi dans son travail sur soi et de déconstruction, et il pourra alors opérer un véritable coaching profondément humain et centré sur l’individu. Il n’y a pas de place pour un entre-deux car finalement c’est cette position qui est la plus dangereuse.
En effet, les dangers de la déconstruction sont bien présents. A cet égard, la critique de Cederström C. et Spicer A. dans Le syndrome du bien-être (2015) du coaching à travers l’exemple d’un couple de coachs spécialisés dans le bien-être qui se sont suicidés est à la fois révélateur mais pas pour les raisons que les deux auteurs évoquent. Ce qui se montre à travers cette « sinistre affaire » (Ibid., p. 17), ce n’est pas tant une remise en cause du coaching au sens où il se contredirait dans les faits : « Pourquoi ce binôme prêchant le bonheur avait-il ainsi décidé de mettre brutalement fin à ses jours ? » (Ibid., p. 17) mais le dévoilement de la vacuité de la démarche lorsqu’elle n’est pas prise assez au sérieux et que le vent se retourne contre les imposteurs. On peut parler en ce sens de suicide identitaire même s’il peut conduire jusqu’au suicide réel. Néanmoins, remarquons que ces dangers se limitent aux professionnels eux-mêmes. Ce sont les coachs qui se suicident et pas les clients.
Cette représentation de la mise en abîme à l’infini de la déconstruction, s’il n’y a pas de fond identitaire construit, ressemble étrangement à la vision existentialiste de l’homme et de sa liberté telle que nous la retrouvons chez Sartre par exemple. Finalement, c’est cette illusion typiquement moderne — la croyance que l’individu se choisit dans l’action à partir d’une liberté totale et détermine son essence dans chaque action à partir de rien — qui empêche de penser de manière réaliste et ordinaire l’inscription de la moralité dans nos vies et nos pratiques. « Et pouvons-nous avec raison nous identifier à ce vertige d’une volonté vide ? » (Murdoch I., 1994, p. 51). Il faut ainsi savoir distinguer la confrontation à nos propres zones d’ombre de la sensation de vide lorsque nous effectuons nos choix. Nos dispositions et nos capacités à accéder à des champs épistémologiques qui nous questionnement et nous remettent en question profondément ne doivent pas conduire à une sensation de vide où le sujet se perd mais à la reconnaissance de cet arrière-plan ou forme de vie qui constitue « l’ensemble normatif que l’individu intériorise » (Laroussinie T. & Portocallis G., 2017, p. 21). Néanmoins, entrer dans le monde du coaching c’est connaître ce coût, avoir une pleine conscience de l’engagement que nous prenons et en déduire le prix à payer : un travail sur soi continu. Le coaching n’est pas un fantasme.

4.3. Ethique de la congruence et confiance en soi

En revanche, le coach, s’il est passé par les deux moments précédents de la conscience/connaissance de soi et de la déconstruction, peut accéder alors à l’éthique de la congruence. Car cette dernière résulte entièrement des deux premières éthiques. Il faut concevoir ce triptyque comme une dynamique en mouvement ou un passage. La congruence est ainsi la déclinaison des deux premières éthiques car la congruence n’est ni une simple cohérence (je fais ce que je dis) ni une forme de l’exemplarité (faites comme moi je dis). La véritable congruence au sens d’alignement de mes valeurs provient à la fois du sens philosophique que je donne à mon engagement de coach et du cheminement qui a conduit à ma posture. Il faut donc avoir vécu les principes éthiques évoqués dans ce triptyque. C’est d’ailleurs cette raison fondamentale — le fait de vivre les principes éthiques — qui rend caduque tout appel à l’exemplarité pour nous donner une idée d’une action morale.  « Et c’est précisément le côté historique et individuel des vertus concrètement pratiquées qui fait la difficulté d’apprendre le bien de quelqu’un d’autre. C’est bien beau de dire que « copier une action correcte, c’est agir correctement (Hampshire, Logic and Appreciation ) […] Mais il est caractéristique de la morale qu’on ne puisse pas toujours s’en tenir à ce niveau conventionnel et qu’en un sens on ne soit pas dans l’obligation de s’y tenir » (Murdoch I., 1994, p. 44).
Nous ne pouvons pas être congruent si nous ne sommes pas professionnel au sens où il y a eu une assimilation du Code de déontologie et une transposition opérationnelle de ce Code dans la pratique.
En effet, les trois éthiques ne peuvent se concevoir sans une obligation pragmatique. Le coaching est toujours au bénéfice du client. La sécurité ontologique est la valeur principielle qui sous-tend toute la pratique de ce métier et constitue le fondement des normes évoquées dans le Code de déontologie. La congruence ainsi réalisée permet de considérer avec toute la distance nécessaire tout ce qui pourrait constituer une  tentation moralisatrice, conformiste, paternaliste ou typologisante. La congruence permet alors de remplacer l’idéal d’autonomie qui allait de pair avec une image erronée de la conscience transparente à elle-même au profit d’un retour à l’idée de confiance au soi, beaucoup plus pragmatique et en accord avec la texture d’être de l’individu.
La confiance en soi selon Emerson est bien l’aversion de la conformité. Concevoir la congruence comme confiance en soi revient à l’élaboration d’un travail de perfectionnement de soi. Le coach confiant et congruent essaie donc de s’améliorer sachant que le travail est continu et toujours personnel. Nul ne fera le travail à ma place. C’est pourquoi la confiance en soi a une dimension pratique fondamentale. Ce n’est pas une simple vue de l’esprit ou simple sentiment de reconnaissance de soi envers soi. La confiance en soi est surtout et déjà confiance en l’expérience que nous faisons des autres et de nos propres réactions face à une situation conflictuelle. Il s’agit dans un double mouvement d’accueillir l’expérience mais aussi de la contrôler grâce au travail préalable réalisé sur nous, en essayent de remarquer ce qui est important dans l’expérience. « Sans cette confiance en notre expérience, qui s’exprime par la volonté de trouver des mots pour la dire, nous sommes dépourvus d’autorité dans notre propre expérience » (Cavell S., 1993, p. 19).
L’attention aux détails est ainsi primordiale pour mieux comprendre ce qui se trame derrière chaque expérience. Seule cette attention aux détails assure au coach une pratique éthique. Aujourd’hui et plus que jamais, les activités humaines ont besoin d’humanité (© linkup coaching).

Conclusion

On pourrait conclure en disant que si le coach participe de la moralité, ce n’est pas parce qu’il développe chez son client des habitudes et dispositions à pratiquer le bien (vertuisme), parce qu’il l’accompagne pour agir tel qu’il le devrait de manière absolue (déontologisme) ou parce qu’il le rend apte à calculer les meilleures conséquences de ces actions (conséquentialisme). Si le coach participe de la moralité, c’est parce qu’il est attentif au sens plein du terme aux concepts et aux mots de son client afin de discerner sa manière de voir le monde et de rentrer en discussion avec ce territoire. « J’ai employé le mot « attention » […] pour exprimer l’idée de regard juste et bienveillant dirigé sur une réalité individuelle. C’est là, me semble-t-il, la marque caractéristique et propre de l’agent moral actif » (Murdoch I., 1994, p. 49). Cette définition pourrait s’appliquer parfaitement au métier du coaching : regarder de manière juste et empathique le client, c’est-à-dire l’individu dans sa globalité et son unicité.
N’enfermons donc pas le coaching dans les différentes théories morales existantes car elles permettent aux détracteurs, en s’appuyant sur ces théories, de critiquer le bien fondé du coaching. Le problème dès lors vient moins du coaching et du métier que de la volonté de certains critiques d’enfermer cette discipline dans un carcan moral ou conformiste. Pour paraphraser une dernière fois Murdoch I., si pour cette philosophe, « faire de la philosophie, c’est faire l’exploration de son propre tempérament tout en s’efforçant de découvrir la vérité » (Ibid., p.62), nous pouvons alors affirmer que pratiquer le coaching, c’est faire l’exploration de ses propres cadres de référence et l’approfondissement de sa conscience personnelle tout en s’efforçant d’accompagner un individu toujours à son bénéfice.


Références

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